"Archives Israélites"
Jeudi 31 décembre 1905
APRÈS LA SÉPARATION
Voilà les cultes séparés de l'État.
Les esprits les plus téméraires et les plus hasardeux n'auraient
pas cru, il y a deux ans, que le Parlement s'attellerait à cette
réforme capitale et encore moins qu'il la mènerait à
bonne fin. Quand, l'an passé, la Chambre l'inscrivit à son
ordre du jour, on accueillit, avec un ironique scepticisme, la résolution
courageuse qu'elle venait de prendre, sous le coup de l'émotion
causée par l'attitude de Rome, et les prophètes ne manquèrent
pas qui, avec une apparence de raison, prédirent l'avortement lamentable
de ses projets.
L'événement, contre toute attente,
leur a donné tort et nous sommes, en décembre 1905, en présence
du fait accompli. La loi a été votée au Palais-Bourbon
; elle a reçu la sanction du Sénat, et revêtue de l'estampille
présidentielle, munie de tous les sacrements laïques et légaux,
elle devient exécutoire, entre en vigueur dans quelques jours, le
1er janvier 1906.
L'État a rompu les attaches qui enchaînaient
les cultes à son char et faisant de leurs ministres, ses serviteurs.
Il y a séparation, mais non divorce, et entre les conjoints séculaires
subsiste, de par la loi votée, après cette rupture, plus
d'un lien, plus d'une occasion de se voir.
Les grandes lignes de la réforme accomplie,
on les connaît. C'est l'État ne reconnaissant plus les cultes,
ne salariant plus leurs ministres, mais leur accordant, aux uns des pension
de retraite, aux autres des allocations temporaires, laissant les temples
consacrés à la disposition des associations confessionnelles,
mais exerçant son rigoureux contrôle sur le budget de celles-ci
et armé du droit régalien de s'opposer à la constitution
de réserves dépassant un certain taux, c'est la liberté
du culte tempérée par mille restrictions administratives.
L'État se désintéresse désormais
de la nomination des fonctionnaires des cultes qui, affranchis de l'investiture
gouvernementale, perdent tout caractère officiel et ne relèvent
plus, par exemple les rabbins et les ministres officiants, que de leurs
communautés respectives.
Tels sont les principaux points du régime
nouveau qui sera appliqué aux confessions religieuses naguère
reconnues par l'État. En recouvrant une grande partie de leur liberté
d'action, elles ont désormais à faire face, de leurs uniques
ressources, aux besoins du culte.
Pour le Judaïsme français, le déficit
créé par la suppression de la subvention gouvernementale
ne dépasse guère annuellement 150 000 fr., et le sacrifice
que ses fidèles auront à consentir pour le combler n'est
ni au-dessus de leurs moyens, ni surtout au-dessus de leur dévouement.
Et même pour les premières années où le service
des pensions de retraites et des allocations temporaires sera en plein
fonctionnement, on peut réduire d'un bon tiers ce chiffre.
Financièrement parlant, la situation faite
au Judaïsme français par la nouvelle loi régissant les
cultes, tout en ne les reconnaissant pas, n'a rien qui puisse inspirer
des inquiétudes sur l'avenir de la plupart de nos Communautés.
Et, d'ailleurs, l'exemple que nous donne les Kehiloth de l'étranger
qui, dans la plupart des pays, pourvoient de leurs propres fonds à
leurs besoins spirituels et aux nécessités du service cultuel
et dont quelques-unes ont atteint un degré de prospérité
tout à fait prodigieux, est là pour nous montrer que les
ressources en Israël, quand il s'agit d'assurer l'exercice régulier
et traditionnel du culte, sont plus abondantes qu'on ne croit. ce qu'il
faut, pour faire face aux nécessités nouvelles c'est de la
bonne volonté.
Or, cette qualité maîtresse, le Juif
français n'en est pas dépourvu. Il en a donné de larges
témoignages dans le domaine de la charité et de l'assistance.
Pourquoi l'esprit de charité dont il fait preuve quand il s'agit
de soulager la misère, se déroberait-il au devoir de rendre
hommage au Dieu d'Israël, de faire vivre les institutions religieuses
destinées à honorer son saint nom, à entretenir le
culte de la Divinité ?
Certes, depuis trois quarts de siècle que
la Communauté juive est rivée par des chaînes dorées
à l'État, l'habitude s'est émoussée chez ses
membres, délivrés des soucis de son existence, des contributions
régulières pour l'entretien du culte et de ses fonctionnaires,
qui étaient de tradition immémoriale en Israël. C'est
toute une éducation à refaire que de renouer cette tradition.
Mais sous le coup des nécessités urgentes créées
par le nouveau régime, le pli sera bien vite pris et le sacrifice
demandé facilement accordé.
Nous parlons, bien entendu, de ceux qui ont encore
une attache avec la Synagogue, qui, dans les circonstances capitales de
leur existence, ont recours à ses services. Ils se feront facilement
à l'idée que l'autel, pour vivre et donner satisfaction aux
besoins religieux qu'eux-mêmes ressentent tout au moins périodiquement,
doit faire face à des dépenses régulière d'entretien
et de fonctionnaires, et qu'il est de leur devoir d'y contribuer par leur
quote-part.
Seulement pour que ce devoir apparaisse clair, net,
impérieux à leur conscience, il faut que les administrations
du culte, les Conseils des associations cultuelles appelés à
se substituer aux Consistoires tout en les continuant, mettent nos coreligionnaires
au courant de la situation dans tous les détails, qu'ils ne leur
cèdent rien des charges à supporter et, par un exposé
franc, sincère, loyal des conditions de fonctionnement et des besoins
du culte, ils sollicitent la discussion sur les meilleurs moyens d'y pourvoir.
Nous avons déjà dit qu'une Commission
composée mi-partie de membres du Consistoire central et mi-partie
de membres du Consistoire de Paris, est en train d'élaborer les
statuts des associations cultuelles prévues par la loi.
Il importe que les Communautés intéressées
soient appelées à délibérer sur ces statuts,
à donner leur avis sur la nouvelle organisation du culte.
Les Consistoires, dont d'ailleurs le mandat devient
caduc, de par la loi mise en vigueur le 1er janvier, ne peuvent que faire
un travail préparatoire, réunir grâce aux renseignements
qu'ils possèdent et à la pratique qu'ils ont de la question,
les matériaux nécessaires à la construction du nouvel
édifice qui doit abriter les destinées du Judaïsme français.
Il est naturel qu'ils en dressent le plan, mais il ne leur appartient pas
de l'arrêter, ne varietur, de l'imposer d'office sans
consultation préalable, aux Communautés qui ont leur mot
à dire et décisif.
Dans le nouveau régime, c'est la Communauté
représentée par l'association cultuelle qui est l'organisme
vital, embryonnaire de la confession juive.
Elle a son existence propre, et c'est surtout cette
indépendance reconquise, et qu'elle doit payer en assurant l'existence
normale du culte, qu'il lui faut réclamer et jalousement garder.
Le meilleur moyen de la défendre, de la préserver
contre toute entreprise du dehors, c'est de s'assurer que les statuts projetés
la garantissent intégralement.
Qu'il y ait une caisse centrale, qu'un Conseil électif
en ait la gestion, c'est hors de discussion et cela répond, surtout
dans les premières années, à des nécessités
inéluctables.
Mais les droits des Communautés et de leurs
membres doivent rester entiers pour le vote du budget, le choix des rabbins,
officiants et autres fonctionnaires du culte et les décisions engageant
leur avenir religieux et moral. Le Rabbin doit être le maître
dans sa Communauté au point de vue spirituel, comme le Parness
au point de vue temporel.
La centralisation, poussée en ces dernières
années jusqu'aux dernières limites de l'invraisemblable,
qui a été désastreuse pour notre culte, en ce sens
qu'elle a paralysé les bonnes volontés et stérilisé
toute source d'initiative individuelle, doit disparaître avec le
régime napoléonien qui l'avait introduite en Israël.
En un mot et pour conclure, il est de toute nécessité,
si on veut aiguiller notre culte dans la bonne direction, si on veut ouvrir
toutes larges à l'Israélitisme français les avenues
où il pourra s'épanouir librement et donner la pleine mesure
de sa vitalité, qu'une consultation des Communautés sous
forme de congrès ait lieu, comme nous l'avons déjà
proposées, pour délibérer de la nouvelle organisation,
et donner aux mesures proposées soumises à leur arbitre,
la ratification qui, en engageant leur responsabilité, la leur feront
assurer en pleine conscience et avec la ferme volonté de remplir
tous les devoirs qui en découlent.
H. Prague
EN RUSSIE
Londres , 18 décembre. - La Commission envoyée
en Russie pour distribuer des secours aux Israélites n'a pu visiter,
dans son voyage de quatre semaines, toutes les localités éprouvées.
Elle a recueilli l'impression que partout où
la police et les autorités locales ont bien voulu s'opposer aux
troubles, il n'y a pas eu de désordres.
C'est à Kiev que les troubles ont été
les plus graves ; riches et pauvres ont été les victimes.
La police en uniforme indiquait aux malfaiteurs
les maisons israélites, et si les habitants ne rentraient pas, la
troupe postée aux bouts des rues tirait, non pas sur les agresseurs,
mais sur les juifs.
La troupe se gardait d'intervenir et la police faisait
feu contre les maisons où l'on s'était défendu contre
les gens sans aveu. Une quarantaine de Juifs ont été tués
à Kiev, et un grand nombre ont été blessés.
Un grand nombre de maisons et magasins et jusqu'à
une école d'enfants ont été pillés, puis détruits.
La Commission a vu 300 cadavres de Juifs au cimetière
d'Odessa. le nombre des morts ne sera jamais connu, car beaucoup de cadavres
ont été jetés à la mer.
On a été jusqu'à jeter des
femmes, des jeunes filles et des enfants par les fenêtres du troisième
étage des maisons
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