Annexe n° 204.
 (Séance du 6 décembre 1881.)

PROPOSITION DE LOI
ayant pour objet l'abrogation des lois sur le rétablissement des congrégations et de la mainmorte,
présentée  par M. Gatineau, député.

EXPOSE DES MOTIFS

    Messieurs, dans sa déclaration du 15 novembre. la Gouvernement a annoncé qu'il était décidé à suivre désormais une politique strictement concordataire.

    Bien qu'à nos yeux la séparation s'impose comme la solution nécessaire, nous croyons utile, en prévision d'un échec possible du principe et sans entrer définitivement dans les vues du Gouvernement, de demander l'abrogation des lois des 7 janvier 1817 et du 24 mai 1825 et des décrets et ordonnances qui ont le plus profondément modifié la loi du 18 germinal an X et le concordat.

    Une brève analyse des dispositions contenues dans ces lois et décrets suffira pour justifier notre proposition. Toutefois, pour bien apprécier leur caractère et leur portée, il convient de rappeler préalablement l'état de la législation sur les établissements ecclésiastiques et sur les congrégations, au moment où sont intervenues, sous l'influence d'une réaction passionnée, les lois
que nous proposons aujourd'hui d'effacer de nos codes.

    Par l'article 14 du concordat, le Gouvernement, après s'être engagé à assurer un traitement convenable aux évêques et aux curés doyens, s'obligeait (art. 15) à prendre des mesures pour laisser aux catholiques la faculté de faire des fondations en faveur des églises. De divisions ecclésiastiques autres que les diocèses et les paroisses, et d'établissements ecclésiastiques autres que les chapitres cathêdraux et les séminaires, il n'était pas même mention dans ce contrat. Quant aux congrégations et communautés religieuses supprimées par les lois des 13 et 19 février 1790, 18 août 1792, etc., etc., si, durant les négociations, on s'était préoccupe de leur rétablissement, ce n'avait été que pour en exclure jusqu'à l'idée, car le concordat ne les nomme même, pas.

    Sur ces deux points, les articles organiques n'ont pas sensiblement modifié la convention. En ce qui touche les fondations d'abord, l'article 73 indique en quelle nature de bien, elles devront consister, et, très sagement, il édicte qu'elles ne pourront être constituées qu'en rentes sur l'État. A la vérité, par les articles 71 et 75, les législateurs semblent avoir oublié cette prohibition
 ordonnant 1a restitution aux évêques, et aux curés des palais; maisons, presbytères et jardins ayant autrefois dépendus des biens du clergé Mais cette restitution n'a point pour but, et encore moins pour effet; de constituer en faveur des évêchés et des cures, un patrimoine propre aux titulaires successifs des sièges épiscopaux ou paroissiaux. La loi déclare, au contraire, que c'est: 1a jouissance à ces biens seulement qu'elle entend affecter aux titulaires ecclésiastiques, de telle sorte que, les titres venant à disparaître, les biens rentrent dans le domaine auquel ils appartiennent. Il en est de même pour les immeubles affectés aux séminaires dont la loi du 23 ventôse an XII, article 7, abandonne la jouissance à ces établissements. Dans ces divers cas, il n'y a pas aliénation au profit des évêchés, des paroisses ou des séminaires, et par conséquent, dérogation aux lois de la. Révolution sur l'abolition de la mainmorte.

    Les articles organiques et le concordat ne se sont pas, d'autre part, montrés plus favorables aux congrégations religieuses et à leur rétablissement.

    Du silence qu'ils ont intentionnellement gardé sur ce sujet, il ressort, en effet, qu'ils ont été laissés dans l'état où les avaient placés les lois de février 1790, 18 août 1792, et que les vœux monastiques solennels, ainsi que les congrégations séculaires ecclésiastiques, familiarités, confréries, etc., demeurent toujours frappés de la même interdiction.

    Il était réservé à l'empire de porter le premier la main sur cette partie de notre droit public. Des religieux appartenant aux congrégations ou associations supprimées avaient persisté à vivre sous leurs anciennes règles. Vu décret du 3 messidor an XII, bientôt suivi d'un autre, -18 février 1809, -prononça leur dissolution. et, en même temps, autorisa, par son article 4, la création des communautés hospitalières sous diverses conditions. Chaque religieux devait, il est vrai, conserver l'entière propriété de ses biens personnels et le droit d'en disposer sans pouvoir le faire cependant au profit de la congrégation. Quant aux biens de celle-ci, ils devaient être possédés ou régis conformément au code civil.

    Malgré ces restrictions, il y avait là une double dérogation aux principes consacrés par les lois de la Révolution: l'abolition de la. mainmorte, la suppression des ordres religieux de toute nature.

    Aussi longtemps que dura l'empire, cette situation équivoque se maintint. C'était, d'ailleurs, ou a peu près, le régime du bon plaisir. Mais 1a Restauration survient et, avec elle, le gouvernement change d'esprit et de tendances. Alors ce ne sont plus seulement des hospitalIères qu'on autorise, -souvent par un simple arrêté de police, -à se former en communauté, ce sont des associations de toutes sortes, notamment, des associations pour l'instruction primaire.

    De ces violations de notre droit public il devait naître naturellement, -on pourrait dire nécessairement, -un état de choses irrégulier et anormal qui, à la fin, pèserait sur les résolutions du législateur.

    C'est ce qui arriva.

    Cependant. on n'était pas encore assez loin de 1792 et de l'an X pour oser rompre ouvertement avec les principes consacrés dans les lois de ce temps. Aussi le projet de 1817, au lieu de réagir d'une manière générale contre la double législation que nous venons d'analyser, se borne-t-il à restaurer la mainmorte au profit des établissements ecclésiastiques reconnus par la loi seulement. On essaye bien, il est vrai, d'étendre le bénéfice de ces dispositions aux établissements religieux en cherchant à les confondre avec les précédents notamment par l'ordonnance du 2 avril 1817; mais on échoue.

    Les innovations, introduites à ce moment dans notre droit public par cet effort du parti clérical, peuvent se résumer en quelques mots. A l'interdiction, pour les établissements ecclésiastiques, de recevoir on de posséder autre chose que des rentes sur l'État, les article, 1 et 2 de la loi du 26 janvier 1817 substituent le droit d'acquérir " les biens meubles immeubles ou rentes. " L'article 3 déclare en outre ces biens inaliénables.

    Sous l'influence de ce courant d'idées monastiques, les associations religieuses s'étaient multipliées d'une façon alarmante. Elles  sollicitaient, et avec elles un parti appuyé sur le roi Charles X, un titre légal qui les affranchit à la   foi des incertitudes d'une situation irrégulière  et leur permit de se développer librement. La chambre des pairs fut saisie en conséquence, d'une proposition ayant pour but d'autoriser le rétablissement des congrégations. de leur reconnaître la personnalité civile et de leur conférer le droit de posséder des immeubles.   

    L'opinion publique était mal préparée à accueillir  cette proposition. D'abord rejetée en 1821, on crut  un moment qu'elle allait être abandonnée. Mais, à la session suivante et- en même temps que la loi sur le sacrilège- 0n la soumit de nouveau à l'examen des Chambres.

    ".. De grandes familles dans l'État, a dit M. Lainé, au cours de la. discussion, jouissant de droits plus étendus et plus durables. que les autres, et pouvant acquérir toujours: sans jamais aliéner, héritant sans laisser d'héritage, transmettant leurs biens à perpétuité, par une substitution  interdite à tous les citoyens", semblaient aux hommes les plus modérés de la pairie héréditaire ne pouvoir être autorisées que par des lois spéciales, après  enquêtes et examens  de leurs statuts particuliers en conseil d'État. Aussi la lutte se  poursuivi telle   avec acharnement. Ou obtint cependant deux concessions  : 1° la  loi s'appliquerait exclusivement  aux congrégations de femmes; 2° ces congrégations ne pourraient être autorisées que par une loi.  Mais il fût impossible d'arracher ces établissements crées avant le 1er février 1825, au privilège de l'autorisation par une simple ordonnance royale.

    Beaucoup pensèrent, par cette transaction, avoir échappé aux dangers d'une reconstitution générale des ordres religieux. Mais, sous une autre forme, et grâce à la tolérance de tous les gouvernements, les craintes qu'on avait conçues ne tardèrent pas à se réaliser, car, selon l'observation de M. Pasquier, dans la discussion à la Chambre des pairs: "une fois posés ou admis,  les principes ne reculent jamais".

    Il est inutile d'ajouter que la loi des 24 mai et 2 juin 1825 étendait aux congrégations religieuses les dispositions de la loi de 1817 sur la mainmorte. Ainsi, on se trouvait irrévocablement engagé dans une voie où deux des grandes conquêtes de la Révolution allaient disparaître et où l'on verrait s'accomplir les prédictions des esprits les plus éclairés de cette époque.

    En effet, "héritant sans cesse san laisser d'héritage", les communautés ont acquis un degré de puissance et de richesse dont le moment est venu d'arrêter le développement. En les ramenant, d'ailleurs, aux règles posées par les lois de la Révolution, on ne leur enlève autre chose que le privilège dont les  ont investies les lois de la Restauration. Dès lors, les rappeler au droit commun, ce n'est pas créer une exception à leur préjudice, c'est seulement leur enlever les immunités au moyen desquelles elles ont été arrachées à la loi générale. Ce que nous voulons, c'est la cessation d'un état de choses contraire à l'égalité, en attendant une solution d'ensemble plus radicale et plus juste de la question.

    Les dangers de ces corps moraux, fondés avec la complicité volontaire ou involontaire des gouvernements passés, et destinés à servir de milice aux ennemis de la société moderne, se révèlent au surplus avec un éclat irrésistible. Vainement on objecte que, tolérés pour la plupart, ils peuvent être dissous en vertu d'une simple ordonnance de police. Il n'y a là qu'un de ces arguments destinés à endormir la vigilance des magistrats. Ce n'est pas seulement, en effet, la richesse ou l'illégalité de la constitution de ces établissements qu'il faut craindre, c'est leur existence. Les lois de la Révolution, en les supprimant, les articles organiques et le concordat en maintenant leur suppression, ont voulu affranchir la société et le clergé lui-même de la pression qu'elles font peser sur l'une et sur l'autre. C'est la politique strictement concordataire telle qu'elle a été expliquée par M. Portalis lui-même dans son exposé des motifs.
    "Le pape avait autrefois, dit-il, dans les ordres religieux une milice qui lui prêtait obéissance, qui avait écrasé les vrais pasteurs, et qui était toujours disposée à propager les doctrines ultramontaines. Nos lois ont licencié cette milice et elles l'ont pu, car on n'a jamais contesté à la puissance publique le droit d'écarter ou de dissoudre des institutions qui ne tiennent pas à l'essence de la religion et qui  sont jugées suspectes ou incommodes."

    Pour revenir à ces principes, il suffit de revenir à la loi de l'an X. L'obstacle était dans les lois de 1817 et 1825, ainsi que dans les ordonnances royales et décrets impériaux qui s'y réfèrent. Le but serait atteint si le projet suivant recevait votre approbation.

PROPOSITION DE LOI

Article unique. - Sont abrogées les lois des 2 janvier 1817 et 24 mai 1825, les décrets des 3 messidor an XII, 18 février 1809, 31 janvier, 16 février 1852 et les ordonnances royales des 29 février 1816 et 3 avril 1820.