Le Siècledu 30 janvier 1907

Déclaration des évêques de France

    Sous ce titre, l'épiscopat fait publier le texte officiel de la déclaration suivante approuvée, sinon imposée, par Pie X :
    Nous, évêques de France, invariablement inspirées par le double sentiment de l'amour des âmes et de nos devoirs envers la patrie, après avoir mûrement médité soit sur les événements douloureux qui désolent l'âme chrétienne de notre pays, soit sur les enseignements qui ont jugé ces événements, et enfin sur les amendements législatifs qui ne les corrigent pas assez, déclarons ce qui suit :
    1° Nous restons inébranlablement fidèles à nos déclarations précédentes, relatives aux lois et aux autres dispositions portées contre l'Église dans ces derniers temps; et nous maintenons contre ces lois les protestations que nous avons faites en union avec le souverain pontife. Avec Sa Sainteté nous réclamons pour l'Église de France le respect de sa hiérarchie, l'inviolabilité de ses biens et sa liberté.
    2° Les biens sacrés dont nous avons été spoliés réclameront indéfiniment leurs légitimes maîtres, que personne n'est en droit de remplacer, même provisoirement, sans l'autorisation du souverain pontife.
    3° Au sein de la lutte qui se poursuit et que seule une honnête réparation des attentats commis peut apaiser, nous voulons tout mettre en œuvre pour maintenir jusqu'à la dernière heure l'exercice du culte public dans nos églises et défendre ces lieux sacrés, pour autant qu'il dépendra de nous, contre toute profanation.
    A cet effet, et à cet effet seulement, nous consentirons à faire l'essai d'une organisation d'une organisation d'un culte public  si les obscurités de certains textes de la loi de 1907 se dissipent pour ne pas rendre vains nos efforts dans ce sens.
    4° Un contrat administratif passé entre préfets ou maires d'une part, évêques ou curés de l'autre, pourra, aux termes de la loi, mettre ces derniers en jouissance des édifices cultuels. Au sujet de ce contrat, la loi n'impose à la partie civile qu'une condition : la gratuité de jouissance.
    En nous déclarant disposés à faire l'essai de conventions de ce genre, nous réclamons le droit d'y introduire toutes clauses non contraires à l'ordre public et destinées à nous donner deux sortes de garanties rigoureusement nécessaires : les unes concernant la permanence et la sécurité morale du service religieux dans les églises concédées en jouissance, les autres ayant trait à la sauvegarde des principes de la hiérarchie. Ces clauses se trouvent formulées au modèle de procès-verbal ci-annexé ; elles sont légales. Notre devoir strict nous interdit d'en rien retrancher.
    5° Comme il ne faut pas que l'organisation de l'Église de France ne puisse dépendre de l'arbitraire des magistrats, nous, évêques, nous nous établissons dans la solidarité la plus complète et déclarons que le contrat de jouissance susdit sera accepté partout ou que nous ne le voudrons nulle part. Ces contrats ne seront valables qu'au moment où il sera constaté que les clauses exprimées ci-dessus auront été agréées de l'unanimité des parties civiles représentants d'autorités municipales ou autres.
    La conscience droite de tout le pays appréciera nos conditions. Une fois de plus, elle verra si, en les formulant, nous sommes et nous paraissons préoccupés d'autre chose que de l'intérêt des âmes qui nous sont confiées.
    Suivent les signatures de tous les archevêques et évêques de France.
    Voici, d'autre part, le projet de procès-verbal de jouissance :

PROCÈS-VERBAL DE CONCESSION DE JOUISSANCE

    Entre X..., maire de ..., et l'abbé Z... , curé de ...., agissant en cette qualité en vertu des pouvoirs qui lui ont été conférés par Mgr.... , évêque de ... et avec son autorisation expresse.
    Il a été convenu ce qui suit :
    A partir de ce jour, et pour une durée de dix huit ans, l'abbé Z... a la jouissance gratuite de l'église de ... et de tous les objets la garnissant, sous réserve des obligations énoncées par l'article 13 de la loi du 9 décembre 1905.
    Au cas où l'abbé Z... , ne serait plus curé de ... soit par suite de son décès, soit parce qu'il changerait de résidence, soit parce que ses pouvoirs lui seraient retirés par l'autorité diocésaine, la présente jouissance sera acquise de plein droit à son successeur nommé par l'évêque diocésain, sur justification des ses pouvoirs, auquel successeur l'abbé Z... la cède et la délègue d'une manière définitive.
    Pendant toute la durée ci-dessus prévue, l'abbé Z... aura la jouissance entière et complète de l'édifice plus haut dénommé et des objets qui y sont contenus. En conséquence, le maire s'interdit - lui et ses successeurs - toute ingérence soit dans l'administration de la paroisse, soit dans les conditions d'occupation de l'immeuble.
    L'abbé Z... aura la police de l'église. Le maire ne pourra intervenir que dans les circonstances graves où ses fonctions l'appelleraient, en vertu des lois, à rétablir l'ordre troublé.
    Le présent procès-verbal ne sera définitif, et la signature du curé n'aura de valeur qu'après ratification signée de MGr l'évêque diocésain.

    A la publication de ce manifeste, la Croix ajoute la note suivante :
    Préparée par l'assemblée générale des évêques réunis à la Muette, ce document a été approuvé par le souverain pontife, auquel les délégués de l'épiscopat l'avaient porté.
    Réunis sur invitation télégraphique à Paris, à Bordeaux, à Toulouse et à Lyon, les évêques y ont mis la dernière main avant-hier lundi dans la journée. Des télégrammes ont été envoyés à la réunion de Paris par les autres assemblées régionales et c'est à Paris que le document est devenu définitif.
    Le Nouvelliste de Lyon l'a publié cette nuit en province et, ce matin, le Figaro à Paris. Mais, au sujet de cette publication, nous recevons la note officielle suivante :
    "Le document paru ce matin dans le Figaro n'était qu'un projet non définitif, dont le texte ne devait pas être livré sous cette forme à la publicité."

    On le voit, c'est un vrai traité de paix que l'Église propose.
    Elle fait une avance qui sera assurément très remarquée. Elle offre de se servir de la loi du 2 janvier 1907, à condition qu'on lui donne "deux sortes de garanties rigoureusement nécessaires,  les unes concernant la permanence et la sécurité morale du service religieux dans les églises concédées en jouissance, les autres ayant trait à la sauvegarde des principes de la hiérarchie."
    Cette proposition, elle la fait à la conscience du pays; elle s'adresse spécialement aux maires qui représentent directement les populations.
    Ce sont, en réalité, des traités de paix locaux proposés. Mais la nécessité absolue de sauvegarder l'unité a fait ajouter une clause supplémentaire : "Ce contrat sera accepté partout ou il ne le sera nulle part."
    Les évêques vont réunir les archiprêtres ou doyens et, ceux-ci, leurs confrères. La proposition de contrat sera donc notifiée partout aux maires sous peu de jours.
    Suivant le résultat de cette démarche, la signature épiscopale sera ou ne sera pas apposée.
    La bonne intention, l'amour de la paix de la part de l'Église sont évidents.
    En face de cette déclation si loyale, si nette et digne, il ne pourra être douteux pour personne que les évêques sont "uniquement préoccupés de l'intérêt des âmes".
    La parole est aux maires et au gouvernement, de la direction duquel dépend l'ensemble du mouvement.
    Rejeter les propositions des évêques sanctionnées par le pape serait une folie.
   
    La Gazette de France, qui réflète maintenant si parfaitement les idées de la curie, s'exprime ainsi :
    C'est au gouvernement à voir s'il consent à accepter l'ultimatum de l'épiscopat.
    Le voilà au pied du mur.
    Briand ne pourra plus jouer de son libéralisme à chausse-trapes, de ses "coups de libertés"
    Oui ou non, acceptera-t-il cette station sur la route de Canossa ?
    Si retors qu'il soit, il ne peut plus faire le Machiavel.
    Aux conditions formulées, au nom de Rome, par l'épiscopat français, formant bloc, il ne peut répondre que par un refus dont on comprend les conséquences graves, ou par une acceptation qui l'obligerait à mettre lui-même à la raison les municipalités récalcitrantes, les maires francs-maçons.
    La déclaration des évêques de France ne pouvait venir à un moment plus opportun.

Le Figaro du 29 écrivait : Nous croyons n'avoir pas besoin de souligner l'importance du document qu'on vient de lire. Son acceptation par le Souverain Pontife, acceptation officielle, puisque ce document, rapporté de Rome par les cinq prélats qui en sont arrivés hier matin, a été communiqué aux évêques de France au nom du Saint-Siège ouvre une phase nouvelle dans la crise religieuse que traverse notre pays et pour laquelle tous les bons français appellent de leurs voeux les plus ardents la solution pacifique la plus conforme à l'intérêt national..
Dans son numéro du 31, le journal s'expliquera sur les légères différences entre les textes en le justifiant par des corrections apportées à Rome au document épiscopal.


Le Temps du 30 janvier 1907

Le nouveau manifeste des évêques français

    Le clergé français serait-il, avec l'autorisation pontificale,  à la veille d'entrer dans la voie des accommodements ? le document dont nous publions plus loin le texte officiel montre, en tout cas, qu'il ne juge pas impossible de mettre à profit notamment les dispositions de la loi du janvier 1907 pour assurer le maintien du culte public.
    Il serait puéril de s'étonner de la véhémence du ton adopté par les évêques de France pour protester contre l'oeuvre législative d'où la séparation est sortie. On ne pouvait attendre de l'épiscopat une autre appréciation : elle devait être aujourd'hui ce qu'elle était hier. De même, on aurait tort de s'arrêter aux formules tranchantes, impératives, dont il se sert pour préciser les conditions de "l'essai de l'organisation du culte public" qu'il se déclare prêt à faire, sous le couvert des lois. S'il fallait prendre au pied de la lettre quelques-unes de ces précisions, on serait amené à penser que la bonne volonté du clergé français est plus apparente que réelle, mais il n'y aurait sans doute quelque injustice à suspecter a priori cette bonne volonté.
    Il est clair, par exemple, que les évêques ne peuvent attacher qu'une portée relative à leurs expressions, lorsqu'ils affirment que les contrats de jouissance des édifices cultuels - dont ils publient un modèle - "ne seront valables qu'au moment où il sera constaté que les clauses exprimées auront été agrées de l'unanimité des parties civiles - représentants d'autorités municipales ou autres", et qu'il faut que le contrat susdit soit "accepté partout" ou qu'ils ne le voudront "nulle part".
    S'il fallait entendre cette clause dans un sens absolu, ne sera-t-on pas fondé à soutenir qu'en fait le clergé français ne veut pas de "l'essai de l'organisation du culte public" en mettant à cette organisation une condition impossible ? Comment pourrait-on se flatter d'obtenir que les maires des 36 000 communes de France acquiesceront unanimement au contrat proposé ? Il y aura toujours des maires récalcitrants, plus ou moins nombreux, mais il y en aura sûrement. Suffira-t-il donc du refus opposé par quelques-uns de ces magistrats municipaux, fussent-ils les représentants de communes minuscules, pour que le clergé français renonce partout ailleurs au culte public ?
    La conséquence serait tellement absurde qu'il n'est pas permis d'interpréter la pensée des évêques dans un sens aussi restrictif.
    Ce qui est infiniment probable, c'est que sous cette forme, ils ont voulu appeler l'attention des pouvoirs publics sur les inconvénients qu'il y a à laisser, suivant les cas, les municipalités où les préfets maîtres de concéder ou non la jouissance gratuite des édifices cultuels. C'est, en effet, un des défauts de la loi de 1907, et nous n'avons pas manqué, quant à nous, de le signaler - et de le déplorer. Mais s'il en est ainsi, il n'est pas interdit d'espérer qu'une entente pourra se faire. Elle serait vraisemblablement aisé, si, au lieu de formuler indirectement leurs desiderata, les évêques prenaient contact avec le gouvernement. Une libre et brève conversation dissiperait peut-être des malentendus. Pie X, en acceptant qu'ils recherchent les moyens d'adapter les textes législatifs aux conditions canoniques de l'exercice du culte et qu'ils se mettent, dans ce but, en communication avec les municipalités et les préfets représentants du gouvernement, ne les autorise-t-il pas, implicitement tout au moins, à demander au gouvernement lui-même les éclaircissements que la situation comporte ?
    L'acte des évêques ouvre, à notre avis, une porte sur la voie qui conduit à la conciliation et à l'apaisement. Et ce n'est pas, apparemment, le gouvernement, dont la politique prudente n'est pas étrangère à ce premier résultat, qui la fermera. Lorsque des deux côtés on fera résolument le sacrifice de vaines questions d'amour-propre pour chercher la solution du problème cultuel avec le désir commun de sauvegarder à la foi la liberté de conscience, la dignité du culte et la paix publique, ce problème n'attendra pas longtemps une raisonnable solution.

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    Déclaration des évêques de France

    Nous avons annoncé hier, dans le Petit Temps, que les évêques de la province de Paris s'étaient réunis, dans l'après-midi, à l'hôtel de M. Denys Cochin, sous la présidence du cardinal Richard pour prendre la connaissance des instructions rapportées du Vatican par Mgr Touchet, évêque d'Orléans, qui était allé à Rome soumettre au pape les délibérations de la récente assemblée plénière de l'épiscopat.
    Voici le texte de la déclaration adoptée par les évêques et approuvée par le pape, relative aux conditions dans lesquelles pourrait s'exercer le culte public dans toute la France. ce texte officiel diffère sur quelques points de celui publié par les journaux de ce matin.

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    A Lyon également s'est tenue une réunion des évêques de la province lyonnaise. 18 évêques étaient présents. L'assemblée, que présidait le cardinal Couillé, a pris communication de la déclaration qu'on vient de lire.
    M. Dadolle, évêque de Dijon, qui avait rapporté de Rome un exemplaire de ce document, l'a communiqué, à Dijon, aux évêques de la région de l'Est.
    A Toulouse, une réunion d'évêques a eu lieu hier sous la présidence de M. Germain, archevêque de Toulouse, au domicile privé de ce prélat. Étaient présents l'archevêque d'Avignon, les évêques de Montpellier, Nîmes, Valence, Viviers, Montauban, Pamiers, Carcassonne, Mende, Perpignan, Rodez; M. Mignot, archevêque d'Albi, malade, s'était fait excuser.
    Cette réunion était motivée par la transmission aux prélats des archidiocèses d'Avignon, d'Albi et de Toulouse des instructions pontificales.

    Mais, dans son numéro daté du 6 mars, le Siècle annonçait que les prélats avaient reçu les instructions du pape défendant absolument de continuer les pourparlers relatifs aux contrats de jouissance ....