Ce texte a été recopié à partir du  site de l'Ambassade du Mexique à Paris
 
 

La séparation des Églises et de l'État
dans le système politico-constitutionnel du Mexique
par le Dr Jorge Carpizo
Directeur de Recherches
à l'Institut de Recherches Juridiques
de l'Université Nationale Autonome de Mexico
Ancien Ambassadeur du Mexique en France

    Ce principe essentiel représente un des problèmes politiques les plus graves que le Mexique ait dû affronter.

    Durant la colonisation espagnole, l'Église catholique détenait un pouvoir politique considérable qu'elle accrut, en refusant de reconnaître à partir de l'indépendance, en 1821, que le gouvernement mexicain pouvait se substituer au monarque espagnol dans le patronage ecclésiastique qui permettait au roi d'Espagne de nommer les évêques et "pourvoyait de bénéfices ecclésiastiques et jouissait d'autres privilèges lucratifs et pécuniaires sur les rentes ecclésiastiques" ; par ailleurs, l'Église catholique était le principal propriétaire terrien du pays et ses biens devenaient des biens de mainmorte.

    A partir de 1859, le président Juarez édicta huit normes, connues historiquement comme "Lois de Réforme", qui établissaient la séparation de l'Église et de l'État, la nationalisation des biens du clergé, la liberté des cultes et la sécularisation des actes relatifs à la vie civile des personnes. Ces principes ont été élevés au rang constitutionnel en 1873.

    La Constitution de 1917 a dépassé le principe de la séparation de l'État et des églises pour structurer la pleine suprématie du premier sur les secondes, en conformité avec les dispositions de l'article 130 de la Constitution, notamment dans la mesure où aucune personnalité n'était plus reconnue aux églises ; les ministres des cultes devaient être mexicains par naissance, étaient considérés comme membres des professions libérales et n'avaient ni droit de vote actif ou passif, ni droit d’association politique. Les études destinées à l'enseignement professionnel des ministres du culte n'étaient pas reconnues officiellement.

    Les articles 3, 5, 24, 27 et 130 de la Constitution ont été réformés en 1992. Cette réforme a profondément transformé les rapports État-églises - surtout en ce qui concerne l'église qui détient la plus grande influence et le plus grand pouvoir : l'église catholique - afin de rendre possible le passage de la suprématie de l'État sur les églises à leur séparation.

    Voici les principes les plus importants du nouvel article 130 de la Constitution qui s'écartent des dispositions adoptées par les constituants de 1916-1917 :

        a) Octroi de personnalité juridique aux églises ayant obtenu leur registre ;

        b) Suppression de l'interdiction faite aux étrangers d'exercer le ministère des cultes ;

        c) Les ministres des cultes reçoivent le droit de vote actif ; l'interdiction d'occuper une charge publique ou d'y être élus est maintenue, sauf pour ceux qui renoncent à leur ministère en conformité avec les dispositions légales ;

        d) Avant 1992, les ministres des cultes ne pouvaient hériter que d'une personne avec laquelle ils avaient des liens de parenté au quatrième degré au moins ; les ministres peuvent désormais hériter, exception faite des legs de personnes ayant bénéficié de l'aide spirituelle des ministres concernés, et avec lesquels ils n'auraient pas le degré de parenté susmentionné ;

        e) Suppression de la disposition qui considérait les ministres des cultes comme membres de professions libérales et, en conséquence, les soumettait aux lois applicables à cette catégorie ;

        f) Suppression de la faculté pour les entités fédératives de déterminer le nombre maximum de ministres des cultes ;

        g) Suppression de la disposition exigeant l'autorisation du Ministère de l'intérieur pour ouvrir de nouveaux lieux de culte public ;

        h) Suppression du contrôle de l'autorité municipale sur les lieux de culte et sur leurs responsables ;

i) Suppression de l'interdiction de reconnaître la validité des études effectuées dans des écoles destinées à l'enseignement professionnel des ministres des cultes ;

        j) Suppression de l'interdiction absolue de soumettre aux jurys populaires les infractions à l'article 130 de la Constitution ;

        k) Introduction d'une certaine flexibilité concernant les interdictions fondées sur des critères politiques, de publications à caractère religieux;

        l) Suppression de la disposition interdisant aux ministres des cultes de critiquer, dans des réunions privées, la Constitution et les lois, et à l'occasion de réunions publiques, de critiquer le gouvernement en général et les autorités en particulier.

        Il faut bien remarquer qu'avec la promulgation des lois de Réforme, en particulier celle 1859 et 1860, on a instauré au Mexique un principe constitutionnel fondamental de la plus haute importance, la séparation de l'État et des églises, qui a subsisté jusqu'à la Constitution de 1917. Celle-ci a franchi quelques pas supplémentaires, mettant en place la suprématie de l'État sur les églises, dans ce qui apparaît comme une conséquence des excès politiques commis par la hiérarchie catholique au cours des années précédentes.

        La réforme de 1992 des articles précités est revenue au principe de séparation entre les deux entités, et c'est bien cela qui est affirmé d'emblée par le libellé du nouvel article 130 de la Constitution. En dépit de cette réforme, qui peut s'avérer dangereuse pour l'État et la nation mexicains, il est extrêmement clair que ce qui a été ratifié est : le caractère laïc de l'État mexicain, le caractère laïc de l'éducation, auquel on a imprimé une certaine flexibilité, le texte affirmant à maintes reprises que les églises et leurs ministres ne doivent, sous aucun prétexte, participer à des activités politiques. Si ces principes essentiels ne sont pas respectés, cette réforme constitutionnelle pourrait se révéler une grave erreur historique.