Journal officiel du 9 octobre 1908

Ministère de la justice et des cultes.

Le garde des sceaux, ministre de la justice et des cultes, à M. le préfet d...
                                            Paris, le 8 octobre 1908.
    Par mes circulaires en date des 5 mai et 3 juin 1907, je vous avais indiqué les moyens qui paraissaient le plus propres à assurer en l'absence d'associations cultuelles, la location ou l'évacuation des anciens presbytères encore occupés par des ministres du culte.
    Je vous invitais à agir à cet égard, avec une équitable modération. Vous aviez à apprécier le loyer qu'il convenait de réclamer pour chaque location, non d'après des règles fixes, mais en tenant compte de toutes les circonstances de fait et en vous inspirant du plus large esprit de conciliation. Vous deviez notamment examiner si la modicité de certains loyers ne pouvait pas se justifier par des conditions particulières inscrites dans le bail et qui paraissaient de nature à augmenter les charges du preneur ou à diminuer les obligations de la commune.
    Grâce aux mesures prises en conformité de ces instructions la presque totalité des presbytères ont fait l'objet de baux de location ou ont été volontairement évacués par les anciens curés ou desservants.
    Il résulte cependant du rapport que vous m'avez adressé en réponse à ma dépêche du 27 juin dernier que, malgré l'esprit de libéralisme qui a présidé, notamment sur ce point, à l'application des lois sur la séparation, vos efforts à cet égard n'ont pas complètement abouti, et qu'un certain nombre de presbytères désaffectés sont encore occupés gratuitement.
    D'accord  avec M. le président du conseil, ministre de l'intérieur, j'estime qu'une plus longue attente serait illusoire et qu'il importe de mettre fin à cette situation illégale.
    Pour la clarté des instructions que je dois vous donner à cet effet, il convient de distinguer entre:
    I. Les presbytères communaux qui ne sont grevés d'aucune charge;
    II. Les presbytères donnés ou légués aux communes, ou acquis par elles, avec charge d'y loger les curés ou desservants successifs;
    III. Les presbytères qui appartenaient aux anciens établissements publics du culte.
    I. - En ce qui concerne les presbytères communaux libres de toute charge, vous examinerez tout d'abord la question de savoir s'il est nécessaire d'inviter une dernière fois les maires à louer aux occupants ou à raire évacuer, dans un délai déterminé, soit à l'amiable, soit par les voies judiciaires, les presbytères dont il s'agit. Vous apprécierez s'il ne convient pas plutôt de procéder dès à présent vous-même à l'expulsion par la voie administrative, après avoir toutefois informé les maires, en temps utile, de la mesure que vous êtes contraint de prendre et en leur rappelant qu'elle a le caractère d'exécution, sur un point intéressant l'ordre public, des lois du 9 décembre 1905 et du 2 janvier 1907.
    Vous adresserez alors aux occupants des presbytères une dernière mise en demeure de louer à un prix convenable ou d'abandonner l'immeuble, où ils persistent à demeurer contrairement aux exigences de la loi. Je vous rappelle à ce sujet qu' en procédant à cette mise on demeure comme aux mesures d'exécution qui pourront la suivre, vous n'êtes pas appelé à agir en vertu de l'article 85 de la loi du 5 avril 1884 et à défaut du maire, mais bien comme délégué du Gouvernement, chargé d'assurer l'exécution tant des lois des 9 décembre 1905 et 2 Janvier 1907 que des présentes instructions.
    Faute par les Intéressés d'obtempérer à cette mise en demeure, vous procéderez aux expulsions dans un délai que vous déterminerez suivant les circonstances, mais qui ne paraît pas, sauf exception, devoir utilement excéder quinze jours à dater du moment où la mise en demeure devient exécutoire.
    Il paraît plus sage d'agir tout d'abord dans les communes où vous estimeriez qu'une plus longue attente ne servirait qu'à organiser la résistance ou à entretenir l'agnation.
    Vous ferez connaître au Gouvernement votre projet à cet égard, en sollicitant, le cas échéant, les instructions du président du conseil, ministre de l'intérieur, sur les mesures de police que vous croirez devoir prendre pour éviter autant que possible toute difficulté d'exécution.
    II. - Pour les presbytères légués ou donnés aux communes ou acquis par elles, avec charge de loger les curés ou desservants successifs, je crois devoir vous rappeler:
    1° Que les charges de cette nature figurent parmi celles dont l'exécution est interdite par l'article 3, paragraphe 14, de la loi du 13 avril 1908. La Chambre des députés s'est formellement prononcée en ce sens au cours de la séance du 10 avril 1908. (V. Journal officiel du 11 avril 19081 page 982, rejet de l'amendement Beauregard);
    2° Que l'inexécution de la charge ne peut donner lieu à une action que de la part des auteurs des libéralités et de leurs héritiers en ligne directe.
    Il convient, dès lors, en principe, d'appliquer à cette catégorie de presbytères la procédure indiquée pour la catégorie précédente. Toutefois, dans le cas où le donateur vivrait encore et dans celui où il existerait des héritiers directs du donateur ou du testateur, vous demanderez aux municipalités intéressées si elles désireraient, et dans quel délai, user de la faculté de s'entendre à l'amiable avec eux au sujet soit de l'abandon de l'immeuble par la commune, soit des conditions de l'abandon des droits du donateur ou des héritiers directs. J'ai à peine besoin d'ajouter que cette entente amiable ne saurait comporter des conditions contraires à la loi, telles, par exemple, que la jouissance gratuite de l'immeuble au profit d'un ministre du culte; rien ne s'opposerait, en revanche, à ce qu'une municipalité accordât aux donateurs ou aux héritiers directs une indemnité pécuniaire moyennant laquelle la commune conserverait l'immeuble libre de toute charge.
    III. - Les règles que je viens d'exposer sont applicables aux presbytères qui appartenaient aux anciens établissements ecclésiastiques avec cette différence que l'intervention du séquestre se substitue, en l'espèce, à celle de l'autorité municipale. Les directeurs et agents de l'administration des domaines chargés du séquestre recevront, d'ailleurs, à cet égard, de M. le ministre des finances les instructions nécessaires, et vous aurez soin de ne prendre aucune mesure concernant les presbytères placés sous séquestre sans vous être au préalable concerté avec le directeur des domaines.
    Vous voudrez bien, dès que la présente circulaire, dont je vous prie de m'accuser réception, vous sera parvenue, me faire connaître les mesures que vous prendrez d'urgence pour en assurer l'exacte application, et réclamer de moi, si besoin était, des instructions complémentaires.

A. BRIAND.