5 juin 1908

PROPOSITION DE LOI
tendant à modifier l'article 41 de la loi du 9 décembre 1905,
relative à la séparation des Églises et de l'État,
présentée par MM. Fitte, Dreyt et Noguès, députés

    Messieurs, la proposition que nous avons l'honneur de soumettre a votre approbation à pour but de modifier l'article 41 de la loi du 9 décembre 1905, relative à la séparation des Églises et de l'État.
    Cet article est ainsi conçu :
    "Les sommes rendues disponibles chaque années par la suppression du budget des cultes seront réparties entre les communes au prorata du contingent de la contribution foncière des propriétés non bâties qui leur aura été assigné pendant l'exercice qui précédera la promulgation de la présente loi."
    Vous savez, messieurs, à quelles préoccupations ont obéi les auteurs de cet article; vous rappelez les circonstances dans lesquelles il a été voté à une très grande majorité.
    Un certain nombre de républicains, partisans résolus de la séparation, ont pense qu'il était nécessaire, pour que la réforme fut acceptée sans difficulté par l'ensemble du pays, qu'il n'en résultat, soit directement, soit indirectement aucune charge nouvelle pour les contribuables.
    Ils ont estimé qu'il fallait, au moment même où l'on supprimait le budget des cultes, venir en aide aux communes qui auraient le plus à souffrir de cette suppression, c'est-à-dire les communes rurales. Leurs vues ont triomphé.
    Au lieu de raire bénéficier - comme la logique l'ordonnait - l'ensemble des contribuables de la suppression du budget des cuites, le législateur de 1905 a décidé de répartir, chaque année, le montant de ce budget - soit 37 millions - entre les communes au prorata du contingent de la contribution foncière des propriétés non bâties, supporté par chacune d'elles, déduction faite ,de la part effectuée au service des pensions et des allocations.
    Voici ce que disait à ce sujet l'un des auteurs de l'article 41, M. Caillaux, à la Chambre des députés, dans la séance du 30 Juin 1905 :
    "C'est pour les petites communes qui ont peu de ressources que la séparation impliquera de grandes difficultés. Il est légitime que le dégrèvement que nous ferons ait lieu en grande partie à l'avantage des petites communes rurales.
    Quelques jours plus lard, dans un article du Siècle, M. Caillaux précisait sa pensée :
    "A Paris, écrivait-il, le service des cultes coûte une somme minime à l'État - environ la sept centième partie du budget des dépenses urbaines. - Dans telle petite ville que je sais, l'État dépense 4.000 fr., environ tandis que le budget municipal s'élève à 100.000 fr.. Les petites communes dont les pauvres budgets ne dépassent pas l.000 ou 2.000 fr. par an, n'en ont pas moins des desservants qui émargent au budget général une somme de 900 fr..
    " Ainsi le rapport entre les dépenses du culte et les budgets communaux va en décroissant à mesure que ces budgets sont plus importants et l'on en peut conclure avec certitude que les sacrifices de l'État sont en raison inverse de la richesse des populations. Cette situation de fait aura, au lendemain de la séparation, les conséquences suivantes: les contribuables des grandes villes seront à peine touchés par la réforme; ceux des petites villes en supporteront assez aisément poids ; les habitants des campagnes seront, au contraire, rudement éprouvés. Il en résulte que tout dégrèvement uniforme serait nécessairement injuste.- Et M. Caillaux, exposant le système de l'article 41, aJoutait: " Le seul système pratique consistait à rendre l'argent non pas directement aux contribuables, mais aux communes, pour qu'elles en fissent tel usage qu'il conviendrait, étant entendu que la base de répartition serait choisie de façon à compenser pour les petites localités le détriment que leur causera la loi de séparation, - (Le Siècle, 3 juillet 1905,)
    A la veille des élections législatives, M. Briand, ministre des cultes, rappelait, avec l'autorité que lui conférait son titre d'ancien rapporteur de la loi de séparation, le but poursuivi par le législateur.
    Voici ce qu'il écrivait aux préfets, dans une circulaire en data du 17 avril t1906, au sujet de l'article 41.
    "C'est on vue de faciliter aux personnes qui voudront participer aux frais d'un culte les moyens de s'acquitter de leur part de contribution, que la loi du 9 décembre 1905 , tout en supprimant le budget des cultes, décida, dans son article 41, que le montant on sera réparti entra les communes; il a été entendu, en effet, que les conseils municipaux auront toute liberté pour régler l'emploi des sommes reçues par les communes et que s'ils peuvent les faire servir à des dépenses d'utilité publique, ils auront également la faculté d'en faire profiter les contribuables par voie d'exonération d'impôts, notamment par la réduction du nombre des centimes communaux. Les contribuables trouveront dans ces dégrèvement, une compensation appréciable des charges nouvelles qu'ils croiront devoir s'imposer en matière cultuelle ".
    Restituer aux communes l'intégralité des sommes qu'elles recevaient sous le régime concordataire et permettre ainsi, par des dégrèvements, rendus possibles aux contribuables, de subventionner le culte, sans charges nouvelles, tel est le but que le législateur s'est proposé. Ce but est-il atteint.? Assurément non, l'article 41, voté hâtivement, en fin de session, sans discussion approfondie, présente des inconvénients sérieux. Il soulève de nombreuses critiques. Un certain nombre d'entre elles ont été formulées dès la première heure par M. Bienvenu Martin ministre des cultes.
    On peut dire, tout  d'abord, que le modo de répartition adopté est défectueux. Nul n'ignore les imperfections, les injustices, les incohérences du mode actuel de répartition de la contribution foncière des propriétés non bâties. Depuis plus d'un demi-siècle, les évaluations cadastrales ont été condamnées. Elles ne correspondent plus à la réalité ni à la justice. La Chambre vient d'ailleurs de décider qu'il serait procédé à une nouvelle évaluation du revenu des propriétés non bâties.
    Il parait difficile, en second lieu, d'établir le moindre rapport entre la richesse d'une commune, exprimée par l'impôt foncier et le dommage qu'elle éprouve du fait de la suppression du budget des cultes. En adoptant le système établi par l'article 41, on arrive d'ailleurs à subventionner les communes en raison même de leur richesse présumée. Plus une commune est riche, plus le contingent qu'elle supporte est élevé, plus la subvention qu'elle recevra sera importante.
    Les régions montagneuses, dont la culture est peu rémunératrice et où la lerre a peu de valeur, recevront des sommes minimes. Les régions fertiles, dont les populations vivent dans l'aisance, seront avantagées.
    Certains départements sont appelés à réaliser des bénéfices considérables.

     Le Calvados .......... gagne 317.936
    Le Nord ...............     """   305.147
    La Saône-et-Loire ....."""   265.049
    L'Eure-et-Loir........... """   250.565
    La manche ............... """   243.422
    L'Eure ...................... """  229.756
    L'Aisne .................... """  206.580
    Etc., etc.
   La Corse ......................... perd 386.842
   Les Basses-Pyrénées ......  """   295.603
   Les Basses-Alpes ............. """  197.507
   Les Hautes-Pyrénées ........ """  234.184
   La Lozère ......................... """  164.319
   Les Hautes-Alpes ..............  """ 146.293
   Etc., etc.

       En outre, des communes qui avaient autrefois un desservant payé 900 fr. par l'État recevront des sommes variant entre 30 et 40 f.. D'autres, par contre, se verront allouer chaque année de 1.000 à 1.100 fr.,
    Donc, l'inégalité la plus choquante est établie entre les communes; et il nous ,semble nécessaire de modifier l'article 41 de la loi de 1905 en répartissant d'une manière plus équitable les sommes rendues disponibles chaque année par la suppression du budget des cultes.
    Sans doute, il eût été préférable d'obliger les communes à affecter les sommes qui leur sont attribuées à des dégrèvements qui permettraient aux contribuables qui pratiquent le culte de le subventionner sans effort nouveau, puisqu'ils se seraient trouvés dégrevés d'une somme égale à celle que l'État consacrait autrefois pour lui assurer le service religieux.
    Mais, outre que de nombreuses communes n'ont pas de centimes additionnels et que d'autres bénéficieraient de dégrèvements supérieurs au montant de leur impôt, on n'aperçoit pas d'une façon bien claire la formule qui permettrait, dans chaque commune, l'attribution de cette allocation par foyer.
    Dès lors, chaque commune, à notre avis, doit recevoir, sous forme de subvention, une somme équivalente à celle qui lui était affectée sous le régime concordataire pour l'entretien du culte avec la faculté d'en disposer à son aise, soit en dégrèvements, soit en améliorations communales.
    Les ministres des cultes recevant, à titre transitoire, des pensions et des allocations, il y a lieu de déduire de la dotation de chaque commune pondant tout le temps où elles seront payées, les sommes versées à ce titre aux curés, vicaires ou desservants de ladite commune, à moins que par une opération de trésorerie, on ne puisse dès maintenant donner aux communes le montant intégral de la somme qui leur reviendra dès que 1a séparation aura son plein effet.
    Les traitements des archevêques, évêques, vicaires généraux, chanoines ne pouvant être affecté à une commune déterminée, leur suppression profitera au budget de l'État.
    Ainsi tous les intérêts seront sauvegardés; chaque commune sera indemnisée dans la mesure même où elle a été lésée par la suppression du budget des cultes, et, si l'assemblée communale le décide, chaque contribuable se trouvant dégrevé d'une somme égale à celle que l'État lui consacrait pour assurer le service religieux, il lui sera possible, s'il le désire de subventionner lui-même le culte.
    Nous avons l'honneur en conséquence, messieurs, de vous soumettre la proposition de loi suivante

PROPOSITION DE LOI
    Article unique. - L'article 41 de la loi du 9 décembre 1905 est supprimé et remplacé par les dispositions suivantes:
    " Les sommes rendues disponibles par la suppression du budget des cultes seront versées, chaque année, par l'État, à titre de dotation, dans la caisse des communes.
    Pour chaque commune, le chiffre de cette dotation sera déterminé par celui du dernier mandat ordonnancé au nom des curés, vicaires ou desservants, avant le 1er janvier 1906.
    Les traitements des archevêques, évêques, vicaires généraux, chanoines, n'entreront pas en compte pour la fixation du chiffre de cette dotation. Leur suppression bénéficiera au budget de l'État.
    Les pensions et allocations, spécifiées à l'article 11 seront déduites de la dotation de chaque commune, mais seulement pendant le temps où elles seront versées aux curés, vicaires et desservants de ladite commune, même dans le cas où ceux-ci auraient quitté postérieurement leur paroisse.