25 janvier 1951 

    Proposition de loi tendant à modifier les dispositions de la loi du 2 janvier 1907 concernant l'exercice public des cultes, présentée par MM. René Capotant, Michelet, Legendre, Palewski, les membres du groupe d'action démocratique et sociale et les membres du groupe des républicains populaires indépendants, députés.

Reprise le 3 août 1951 par MM. Prélot, Clostermann, Vendroux, Barrachin et les membres du groupe du rassemblement du peuple français, députés.

Reprise le 12 octobre 1955 par MM.Jean-Paul Palewski, Bayrou, Kauffmann, Alfred Krieger, Liquard, Malbrant, Nisse, Vendroux et Wolff, députés.

EXPOSE DES MOTIFS
    Mesdames, messieurs, la loi du 3 janvier 1907, concernant l'exercice public des cultes, a déterminé les conditions juridiques des édifices appartenant à l'État, aux départements et aux communes qui étaient sous l'empire de la loi du 18 germinal an X affectés à l'exercice public des cultes ou au logement de leurs ministres. Les dispositions de cette loi procèdent d'une distinction fondamentale entre les deux catégories d'édifices.
    Pour la première catégorie, l'affectation ancienne est maintenue gratuitement, sous réserve d'une désaffectation prononcée selon les cas par une loi ou par un décret en conseil d'État. La lettre même de la loi marque fortement la continuité de l'affectation : ces édifices " ainsi que les meubles les garnissant, continueront ... d'être laissés à la disposition des fidèles et des ministres du culte pour l'exercice de leur religion ". (Art. 5.)
    Trois modalités sont prévues par le même article. La jouissance gratuite des édifices cultuels peut être accordée, soit à des associations cultuelles constituées conformément à la loi du 9 décembre 1905, soit à des associations formées selon le droit commun de la loi du 1er juillet 1901 et ayant pour objet la continuation de l'exercice public du culte, soit, en l'absence d'association quelconques, directement au ministre du culte.
    La première modalité d'affectation a été la plus fréquemment mise en œuvre au profit du culte protestant et du culte israélite. Pour le culte catholique, au contraire, la troisième modalité est la situation générale. On sait, du reste, avec quel souci de respecter la liberté de conscience et des cultes, la jurisprudence, tant judiciaire qu'administrative, a protégé et sanctionné une affectation que des juristes ont qualifiée comme ayant créé un véritable droit d'occupation au profit des ministres des cultes.
    Pour les immeubles précédemment affectés au logement des ministres, la règle adoptée est toute différente. L'affectation traditionnelle a été supprimée. La loi du 9 décembre 1905 avait prévu que la jouissance des logements serait laissée aux associations cultuelles durant une période s'étendant, selon le cas, à deux ans ou cinq ans. La loi du 2 janvier 1907, en son article 1er, a restitué à la collectivité, du domaine de laquelle chaque immeuble dépendait, la libre disposition de tous les édifices servant au logement des ministres et qui n'avaient pas été réclamés par une association cultuelle avant le 10 décembre 1906. Libre disposition qui comporte au demeurant une réserve : contrairement au droit commun, la location de ces immeubles est subordonnée à l'approbation préalable du préfet.
    La distinction faite par la loi n'est pas heureuse, elle est illogique et méconnaît la nature des choses. Le logement du ministre du culte - le trait est particulièrement net dans les communes rurales, qui sont l'immense majorité - n'est pas détachable de l'édifice cultuel. Il en constitue l'accessoire nécessaire au même titre que les autres dépendances telles que les sacristies, les salles de catéchisme (conseil d'État, 17 décembre 1919, abbés Chausse et Gagnaire. Rec. Lebon, 1919, p.932), les enclos entourant l'église (conseil d'État, 22 juin 1934, abbé Badoual. Rec. Lebon, 1934, p. 722, et conseil d'État, 26 novembre 1936, abbé Rivière, Rec. lebon, 1936, p. 1009, Dalloz, 1939, III, 17, note de M. Walinel) et que les monuments extérieurs, calvaires et croix, où se déroulent un culte traditionnel (conseil d'État, 1er avril 1938, sieur Laplanche-Coudert et autres, Rec. Lebon, 1938, p. 339).
    La pratique percevant l'erreur commise par le législateur, a, dans un très grand nombre de cas, corrigé l'œuvre de celui-ci. La plupart des communes n'ont pas disposé des presbytères. Elles les ont donnés à bail aux ministres des cultes qui les occupaient traditionnellement, moyennant  des loyers qui, le plus souvent, n'ont aucun rapport avec la valeur locative réelle. Jamais, à notre connaissance, l'administration préfectorale n'a mis obstacle à ces pratiques, contraires à la loi peut-être, mais nettement conforme à la nature des choses et à la destination normale des immeubles.
     En quelques communes, cependant, le droit de disposition prévu à l'article 1er de la loi a fourni l'occasion de luttes regrettables. Certains conseils municipaux, qui demeurent animés d'un sectarisme heureusement en voie de disparaître, ont entendu disposer des presbytères dans le seul dessein d'accomplir un geste vexatoire envers les fidèles et les ministres des cultes. De telles mesquineries provoquent une irritation et causent des blessures nuisibles à la paix publique et à la concorde des citoyens. Ce n'est pas le propre d'une bonne loi que d'engendrer des conflits.
    Il apparaît dès lors opportun et urgent de faire disparaître de nos lois l'incohérence échappée au législateur de 1907 et d'éliminer ainsi une source de conflits locaux, lesquels, pour rares qu'ils soient, sont insupportables parce qu'ils atteignent les citoyens dans leurs convictions les plus dignes de respect. Le moyen est simple : il suffit de soumettre les édifices destinés au logement des ministres au régime juridique de l'édifice cultuel dont ils constituent la dépendance naturelle.
    La proposition de loi que nous avons l'honneur de vous présenter ne revient pas sur les actes de disposition régulièrement accomplis conformément à la loi du 2 janvier 1907. Elle dispose pour l'avenir en décidant que les immeubles prévus à l'article 1er de cette loi et dont il n'a pas été disposé suivront désormais la condition juridique de l'édifice cultuel, dont ils sont l'accessoire. Ils seront légalement affectés au logement des ministres, comme ils le sont actuellement dans la majorité des cas.
    La jouissance en sera accordé gratuitement, selon les distinctions mêmes de la loi de 1907, soit aux associations cultuelles, ce qui sera l'hypothèse pratique pour les cultes protestants et israélites, soit à des associations constituées selon la loi de 1901 et ayant pour objet la continuation de l'exercice public du culte, soit aux ministres des cultes individuellement, ce qui constituera le cas général pour le culte catholique.
    Les baux en cours consentis à des ministres du culte cesseront de produire effet, le locataire étant exonéré de son obligation relative au payement du loyer et des obligations accessoires du privilège du bailleur. Cependant,  les personnes, physiques ou morales, bénéficiaires de la jouissance gratuite, seront tenues des obligations mises à la charge des preneurs à loyer par le titre 8 du livre III du code civil, autres que celles concernant le payement du loyer. L'État, les département et les communes seront tenus des obligations habituelles du bailleur, en ce qui concerne notamment les réparations.
PROPOSITION DE LOI
    Art. 1er. - L'article 1er de la loi du 2 janvier 1907 est abrogé.
    Art. 2. - Sont insérés, entre les article 5 et 6 de la loi susvisée, les dispositions suivantes :
    "Art. 5 bis. - Les immeubles dépendant du domaine de l'État, des départements ou des communes, qui étaient affectés au logement des ministres des cultes à la date du 3 janvier 1907 et dont il n'a pas été disposé au jour de la promulgation de la présente loi, suivent la condition juridique de l'immeuble cultuel dont ils constituent un accessoire.
    "La jouissance gratuite de ces immeubles sera accordée conformément à l'article 5, alinéa 2, ci-dessus, soit à des associations, soit aux ministres des cultes, selon le mode de jouissance auquel est soumis l'édifice cultuel.
    "Les bénéficiaires de la jouissance gratuite, tels qu'ils sont définis à l'alinéa précédent, sont tenus aux obligations des preneurs à loyer selon  les termes du titre 8 du livre III du code civil, à l'exception de l'obligation de payement du loyer et des obligations accessoires du privilège du bailleur.
    "L'État, les départements et les communes supportent, dans les mêmes conditions, les obligations du bailleur.
    "Les ministres des cultes, locataires des immeubles visés au précédent article, cesseront dêtre tenus au payement du loyer, à compter de la présente loi.
    "En ce qui concerne les immeubles loués à d'autres personnes que des ministres du culte, les dispositions des alinéas 1er et 2 prendront effet à l'expiration des baux en cours."