29 octobre 1891

Dépôt d'une proposition de loi

M. le président. La parole est à M. Dreyfus.

M. Camille Dreyfus. Messieurs, au nom d'un grand nombre de mes collègues et au mien, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre une proposition de loi relative à la séparation des Églises et de l’État

Ont signé avec moi MM. Jacques, Baulard, Calvinhac, Baudin, Leygues, Dumay, Emile Moreau, Ferroul, Mathé(Henri). Pajet, Dethou, Boudevllle, Antide Boyer, Rathier, Rézine, Pelletan, Barodet, Rolland, Lagnel, Emile Brousse, Jules Lasbaysses. Bovier-Lapierre, Terrier. Mathé (Félix), Millerand, Desmons, Salis, Ville, Braud, Deville, A. Leconte, Camille Raspail, Basly, Bizouard-Bert, etc.

En leur nom et au mien, je demande la déclaration d'urgence.

M. le président. Veuillez lire l'exposé des motifs de votre proposition.

M. Camille Dreyfus, lisant. «Messieurs, les soussignés, désireux de ne laisser ni interrompre ni prescrire les traditions du parti républicain, ont l'honneur de reprendre une proposition relative à la séparation des Églises et de l’État, déposée à la dernière législature, prise en considération par la Chambre et sur laquelle la commission spéciale n'a jamais fait de rapport. » (Très bien ! sur divers bancs. Bruit.)

M. Cuneo d'Ornano. En fera-t-elle cette fois-ci?

M. Camille Dreyfus. Nous l'espérons.

M. le président. Ou demande la déclaration d'urgence sur la proposition de loi déposée par M. Dreyfus.

M. Camille Pelletan. On pourrait remettre la discussion de l'urgence à un autre jour.

M. Camille Dreyfus. Pourquoi ? Personne ne s'oppose à la déclaration d'urgence. (Exclamations.)

M. le président. Quelqu'un demande-t-il la parole sur l'urgence ?. . .

A droite,. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Yves Guyot, ministre des travaux publics. Le Gouvernement s'oppose à l'urgence.

M. Camille Pelletan. Je demande la parole.

M. le président. La parole est a M. Pelletan.

M. Camille Pelletan. Messieurs, il me parait qu'il est un peu tard pour examiner une question aussi grave que celle de l'urgence d'un projet de loi sur la séparation des églises et de l’État, à moins que ce ne soit un principe établi dans cette Chambre que cette question doit être votée à la muette.

Il me semble qu'il y aurait intérêt pour tout le monde à ce qu'on remit la discussion de l'urgence à un moment où nous aurons un peu plus de loisir.

Je ne demanderais pas mieux, pour ma part, que de m'expliquer sur ce point, sur lequel nous avons depuis longtemps notre opinion faite. Je ne demanderais pas mieux que de m'en expliquer non pas pour reprendre les vieilles questions doctrinales que nous discutons depuis si longtemps et qui ont conservé toute leur force, mais, pour rechercher, ce qui me paraît tout indiqué dans les circonstances où nous nous trouvons aujourd'hui, quels peuvent être, d'après le tour qu'ont pris la politique républicaine et les événements, les sentiments d'une Chambre républicaine devant une proposition de cette nature. (Très bien ! à gauche)

Il me parait, quant à moi, que les événements auxquels nous avons assisté dans ces derniers temps ont donné à cette proposition une actualité nouvelle et lui ont apporté une force incontestable.

Nous avons vu en effet, d'un côté, se produire je ne sais quelle opinion dans le public que tout un ordre de fonctionnaires, dont vous votez tous les ans le traitement, se serait rallié aux institutions actuelles — je parle des évêques. — Alors d'un côté un cri s'est élevé: Comment, ils acceptent les institutions du pays? Ce ne sont pas de vrais évêques. Et, de l'autre côté, il s'est manifesté un certain doute, si je puis m'exprimer ainsi.

J'aurais jusqu'à un certain point compris que des fonctionnaires d'un ordre aussi particulier se montrassent assez peu étroitement soumis au Gouvernement en ce qui concerne les questions intérieures; mais non, c'est à propos d'une question extérieure, d'une question dans laquelle il s'agissait de la situation de la France devant l'étranger, que nous avons vu, alors que le Gouvernement usait d'un droit qui lui est assuré par la législation actuelle et qui est dans les traditions du pays, se produire une révolte véritable de ces fonctionnaires, tant ils sont de nature singuliers et tout à fait exceptionnelle !

Dans ces conditions, est-ce que vous pouvez considérer la question de la séparation des églises et de l’État comme étant de celles qui ne nécessitent pas un débat sérieux, et est-ce que quelqu'un peut demander de bonne foi à qui que ce soit dans cette Chambre d'engager ce débat à l'heure actuelle et dans cette séance ? (Très bien ! sur divers bancs.)

Je demande donc que nous fixions une date pour en discuter l'urgence, et que cette date soit remise à une époque où nous aurons plus de loisir, quand nous aurons fini la discussion du budget; car il me parait nécessaire que la question d'urgence elle-même soit examinée avec soin et que les raisons pour ou contre en soient mûrement pesées. (Très bien ! très bien .')

M. le président. Ce n'est ni la Chambre ni le président qui ont posé la question d'urgence, c'est l'auteur de la proposition. (C'est vrai! — Très bien!)

M. Cuneo d'Ornano. Je demande la parole.

M. Camille Dreyfus. Je m'arme des raisons mêmes qui viennent d'être apportées à la tribune par notre honorable collègue M. Camille Pelletan, pour dire que la question d'urgence doit être immédiatement posée.

Voulez-vous engager le débat à fond et non pour la galerie et pour le public?

Il faut voter l'urgence.

Si vous voulez aborder la question au fond, il faut vous débarrasser de la procédure parlementaire primitive, celle qui consiste à passer par la commission d'initiative. Si vous voulez la suppression des Églises et de l’État, il n'est plus nécessaire d'aller devant la commission d'initiative parlementaire. Toutes les commissions d'initiative ont jugé cette question, dans la Chambre précédente qui était composée, en grande partie, des membres qui siègent sur ces bancs. Au surplus, sur cette question tous les hommes politiques ici présents ont leur opinion faite.

Je le répète, le véritable débat se présentera au fond ; mais pour qu'il puisse être abordé, il faut passer par-dessus les formalités parlementaires. Je persiste donc à demander l'urgence. (Mouvements divers.)

M. Cuneo d'Ornano. Messieurs, je crois que la Chambre partagera ma surprise : je suis stupéfait d'entendre l'honorable .M. Dreyfus venir ici demander aujourd'hui l'urgence sur une proposition qu'il a laissé trancher l'autre jour sans l'ombre d'une observation ou d'une critique. (Très bien: à droite.)

Vous avez laissé passer, monsieur Dreyfus, sans protestation, sans discours, le budget des cultes, sur lequel l'urgence se produisait d'elle-même et vous était d'avance acquise.

M. Camille Dreyfus. Vous savez bien que ce n'était là qu'un vote platonique. (Exclamations.)

M. Cuneo d'Ornano. Je ne me serais pas permis de parler ainsi de vos votes, (Rires à droite.)

M. Camille Dreyfus. Vous savez bien que, lors même que les radicaux de cette Chambre auraient voté contre le budget des cultes toute sanction pratique eût fait défaut, car il faut régler d'abord la question organique et la question diplomatique. Par conséquent, c'est une querelle de parti que vous nous faites eu ce moment. (Bruit.)

M. Cuneo d'Ornano. Comment ! depuis vingt ans que le budget des cultes vous est présenté à cette tribune, s'était-il passé une seule année où vous ne l'ayez attaqué, vous ou vos amis?

D'après vous-mêmes alors, ce que vous faisiez ainsi n'était donc qu'une manifestation vaines et tenues par vous-même pour platoniques ?

Pourquoi portiez-vous vos protestations, vos refus de crédits à cette tribune? Pourquoi nos honorables collègues MM. Thévenet, Pichon et d'autres s'étaient-ils encore fait inscrire cette année et comptaient-ils encore nous demander de repousser le budget des cultes ? Ils ont ensuite renoncé à la parole: c'est leur affaire. Mais ils avaient annoncé leur intention. Si finalement ils n'ont pas empêché la prescription qu'ils semblent avoir laissé venir par leur silence... (Rumeurs sur plusieurs bancs à gauche.)

Voyons! est-ce vrai que vous pouviez, mardi dernier, émettre un vote, non point platonique comme aujourd'hui sur votre tardive urgence, mais pratique, sérieux, immédiat, et que cependant nul d'entre vous, cette fois, ne s'est levé pour parler?...

M. Emile Moreau. On nous dit toujours que cette réforme ne peut pas être faite par voie budgétaire !

M. le comte de Douville-Maillefeu, à l'interrupteur. C'est M. Freppel qui dit cela! (Rires et bruit.)

M. Cuneo d'Ornano. Si ce n'est point sur le budget que votre assaut peut aboutir, vous blâmez alors ce que vous avez fait depuis quinze ou vingt ans, puisque depuis quinze ou vingt ans c'était sur le vote du budget des cultes que se donnaient rendez-vous les partisans de la suppression du budget des cultes et de la dénonciation du Concordat de Bonaparte?

N'allez pas croire cependant que mes constatations ironiques tendent à vous obliger à attendre jusqu'à l'an prochain pour débattre entre nous, devant le pays, ce grand problème... (Réclamations à gauche.)

Non, non; nous sommes prêts au débat, quand il vous plaira. C'est vous qui l'avez évité, l'autre jour, sur le budget ; mais nous pouvons nous retrouver très vite, l'examen d'une commission d'initiative, si vous n'obtenez pas l'urgence, ne devant vous retarder que d'une quinzaine de jours au plus. Seulement, je connais les précédents... Ce n'est pas la première fois qu'on soulève ici ces agitations vaines. Peut-être, sur la discussion de l'urgence, pourrez-vous effleurer un peu le fond même de ce grand débat. Mais quant à un débat pratique, sérieux, ayant une conclusion toute prête pour remplacer les dispositions du Concordat ou pour effacer du chapitre de la dette publique le budget des cultes, je ne crois pas que vous l'obteniez bientôt...

L'expérience des affaires rectifie bien des théories! Et je sais un sûr moyen de vous faire retirer votre proposition actuelle, c'est de vous asseoir au banc des ministres ! (Rires et applaudissements à droite.)

M. Camille Dreyfus. Vous vous trompez absolument ! (Bruit.)

M. le président. La parole est à M. Déroulède.

M. Paul Déroulède. Messieurs, je crois volontiers, comme mon honorable collègue M. Camille Dreyfus, que tout a été dit pour et contre la séparation des Églises et de l’État et, loin de m'opposer à la demande d'urgence, j'insisterai pour que la Chambre se prononce immédiatement sur cette question. ,

Notre opinion à tous est faite: il importe peu de savoir quel en sera le résultat. On a parlé de politique d'apaisement et de conciliation : et voilà que vous déclarez la guerre. Eh bien, soit. Va pour la guerre, ainsi que nous l'a dit l'autre jour M. de Mun. Tous ceux qui croient, aussi bien nous les républicains chrétiens que les catholiques de la droite, nous sommes tous prêts à accepter le combat. Oui! si vous voulez déchristianiser la France, nous lutterons contre vous pour empêcher ce rabaissement de notre pays. (Très bien! très bien! à droite.)

Oui, dussé-je me séparer sur ce point de beaucoup de mes amis, je repousserai énergiquement votre proposition, qui ne tend à rien moins qu'a fermer l’Église à la nation. Or, j'estime qu'à pareille heure ce n'est certes pas la politique des intérêts matériels qu'il faut préconiser ni un peuple entouré d'ennemis et de périls.

Et j'ajoute, messieurs, que je suis surpris qu'un débat semblable soit précisément ouvert devant vous non pas par un des 30 millions de catholiques mis en cause, mais bien par un des 500,000 ou 600,000 Israélites. ( Vives interruptions à gauche. — Bruit.)

M. Camille Dreyfus. Je ne suis pas israélite.

M. Paul Déroulède. Pardon, monsieur! C'est un point que je trouve intéressant d'établir.

M. Camille Dreyfus. Je ne suis ni Israélite ni catholique : je suis libre penseur, et je l'ai prouvé toute ma vie.

M. le président. Monsieur Déroulède, je ne puis vous laisser dire... (Bruit.)

M. Paul Déroulède. Monsieur Dreyfus, vous êtes un libre-penseur qui suivez fidèlement .les offices de votre synagogue, de même que vous assistez aux installations de vos rabbins... (Bruit prolongé.)

M. Camille Dreyfus. Je demande la parole.

M. le président. Monsieur Déroulède, il n'est pas permis de faire des questions personnelles à la tribune.

M. Paul Déroulède. Pardon, monsieur le président, je ne fais pas de questions personnelles. Mais il y a, d'un côté, une question d'irréligion et, de l'autre, une question de religion, et il est assez curieux de faire remarquer de qui émane la proposition irréligieuse.

M. le président. Ici, nous ne connaissons aucune distinction résultant de religion. (Très bien! très bien! à gauche et au centre) .

M. Paul Déroulède. Eh bien, moi, je fais hautement connaître ma religion: je suis un républicain chrétien (Bruit à gauche. — Applaudissements à droite), et je proteste quand je vois que l'on veut déchristianiser la .France pour la judaïser peut-être!

Voilà ce que je dis. Voilà pourquoi je proteste et pourquoi mon vote de républicain est tout prêt à tomber dans l'urne avec ceux de la droite pour la défense de la foi chrétienne. Car, en poursuivant la disparition de toute idée spiritualiste, en travaillant à l'arrachement de toute croyance, on rabaisse les consciences, on divise les esprits et l'on disperse le trésor des forces morales dent nous aurons tôt ou tard besoin pour le relèvement de la patrie. (Très bien! très bien! à droite et sur quelques bancs à l'extrême gauche. — Réclamations sur d'autres. — Bruit.)

M. Camille Dreyfus. Je n'ai qu'un mot à dire, un simple mot de rectification personnelle.

Je ne m'abaisserai pas, par respect pour l'Assemblée, jusqu'à me livrer à des discussions confessionnelles, à des professions de foi. Je respecte les croyances et les sentiments de chacun ; on sait parfaitement, par mon passé, ce que je suis : je suis un libre-penseur, relevant de l'école anglaise, de l'école française du dix-huitième siècle, et je n'admets pas qu'on m'applique une autre qualification.

J'ajoute qu'à ce titre, et comme homme politique, ayant à me préoccuper des liens qui existent entre l’État et un certain nombre d'organismes spéciaux qui tiennent à une conception spéciale du monde, j'ai le droit de m'en occuper, quelle que soit mon origine et quelle que soit la vôtre. C'est le droit de la libre pensée que je défends, et je le défends énergiquement. (Très bien! très bien! à gauche.)

M. le comte de Douville-Maillefeu Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. de Douville-Maillefeu

le comte de Douville-Maillefeu Messieurs, je suis de ceux qui trouvent que la question dent il s'agit a été soulevée d'une singulière façon, alors surtout que personne n'avait demandé la parole au moment de la discussion des fonds affectés aux dépenses des cultes.

M. Cuneo d'Ornano. Parfaitement !

M. le comte de Douville-Maillefeu. Je ne comprends pas qu'on puisse soutenir — je n'ai pas l'intention de faire de profession de foi, car je pense que ce point n'intéresserait guère mes collègues — que les catholiques les plus éminents, dent personne ne conteste l'orthodoxie, n'ont pas été partisans de la séparation de l’Église et de l’État et de la suppression du budget des cultes.

M. Armand Després. Ceux-là n'avalent guère l'esprit politique !

M. le comte de Douville-Maillefeu Je ne veux offenser personne, mais il me semble qu'il ne faut pas être bien fier pour accepter de ministres qui font profession, je ne dis pas de déisme ou d'athéisme — car, à mes yeux, ces mots n'ont aucun sens, — mais d'anticatholicisme, de libre-pensée, de judaïsme et de protestantisme, il faut vraiment, dis-je,que les catholiques soient bien peu difficiles pour accepter de ces ministres des directeurs de conscience et les membres de leur clergé ...

M. Paul Déroulède. L’État est au-dessus des ministres ! Eux ne sont rien !

M. du Breil, comte de Pontbrîand. On ne les accepte pas : on les subit !

M. le comte de Douville-Maillefeu Comme je mets les questions religieuses — c'est peut-être un tort, mais c'est comme cela — bien au-dessous des questions politiques et économiques, qui sont plus importantes à mes yeux, je me désintéresse absolument de ce débat. Mais, enfin, je rappelle que les catholiques les plus autorisés, comme Montalembert. comme Cochin...

M. Paul Déroulède, Cochin donne plus qu'il ne reçoit, mon cher collègue ; il a donné des hospices.

M. Leydet. Et vous l'avez combattu. (On rit.}

M. le comte de Douville-Maillefeu ... comme Lacordaire et tant d'autres, étaient partisans de la séparation de l’Église et de l’État

M. Cuneo d'Ornano. Mais sous la réserve d'une liberté complète d'association que vous leur refusez !

M. le comte de Douville-Maillefeu Pour ma part, je suis décidé à accorder la liberté la plus complète. Je suis partisan non seulement de la liberté des associations et des réunions, mais aussi de la liberté de tester. (Exclamations en sens divers.)

Je combattrai toutes les manifestations faites contre la liberté, et j'ai toujours refusé de m'associer aux propositions de ce genre; seulement, il y a des questions qui sont plus ou moins urgentes, et celle dont il s'agit en ce moment me parait rentrer dans cette dernière catégorie.

Je réponds maintenant à mon honorable collègue M. Déroulède que, quoique pratiquant peu ma religion, je suis catholique — sans l'avoir voulu, car c'est à ma naissance que je suis entré dans cette religion et je n'en suis pas encore sorti, (Rires à gauche.) Le temps m'a manqué pour m'occuper de cette question, tellement nous avons eu jusqu'ici à défendre notre patrie et à y organiser la liberté politique. (Très bien ! très bien ! sur divers bancs.)

M. Cuneo d'Ornano. Renvoyons à samedi le vote sur l'urgence !

M. le président. La parole est à M. Terrier.

M. Terrier. Je suis l'un des signataires de la proposition qui a été déposée sur le bureau de la Chambre par notre collègue M. Dreyfus; mais je ne m'attendais pas, en mettant ma signature au bas de cette proposition, que la Chambre dût être appelée immédiatement à se prononcer sur l'urgence.

Comme l'a fort bien expliqué notre honorable collègue, M. Camille Pelletan, — et je ne veux pas rentrer dans cette discussion, — il est probable, il est à présumer, il est possible tout au moins que toute la discussion se borne à ce qui sera dit de part et d'autre sur cette question d'urgence.

Cependant, il est de la dignité de ceux qui, dans celte Chambre, estiment qu'il convient d'appeler le Parlement, les représentants du pays, à se prononcer sur cette question, de ne pas permettre que, par un scrutin auquel il serait procédé immédiatement, la question soit enterrée une seconde fois sans débat.

M. Armand Després. Retirez la demande d'urgence.

M. Terrier. Que nous soyons la majorité ou la minorité, il est de la dignité de cette Assemblée que tout ce qui doit être dit puisse l'être et le soit complètement : car il existe dans cette grave question une multitude d'aperçus qu'il faudra exposer avant qu'une résolution définitive soit adoptée.

J'estime, si vous voulez me permettre de vous le dire en passant, qu'on peut être à la fols respectueux de toutes les croyances et penser qu'il est de la dignité des catholiques aussi bien que des libres-penseurs de trancher une fois pour toutes les malentendus et les contradictions qui semblent résulter de l'existence du budget des cultes.

M. Armand Després. C'est une question de politique internationale.

M. Terrier. Mon cher collègue, je soutiens en ce moment une thèse qui doit être la vôtre; je vois à votre agitation que vous avez des choses très intéressantes à nous dire...

M. Armand Després. Oh! Ce ne sera pas long..

M. Terrier.... et je demande à la Chambre de vous en réserver le loisir.

Appuyant la proposition de M. Pelletan, qui est partisan du vœu qui a été émis par M. Dreyfus, en son nom et au nom de plusieurs de ses collègues, appuyant aussi les explications données à un autre point de vue par M. Cuneo d'Ornano, je vous demande, messieurs, au nom de la dignité du Parlement, de ne pas admettre qu'une pareille question, dès l'instant qu'elle est soulevée, puisse être tranchée a la muette, silencieusement, par un scrutin hâtif, en fin de séance. (Très bien! très bien!)

M. le président. MM Pelletan, Terrier et plusieurs de leurs collègues demandent l'ajournement de la discussion sur l'urgence.

Au centre. Après le budget.

M. Camille Dreyfus. je m'oppose absolument à l'ajournement dans ces termes.

M. Camille Dreyfus. je demande la parole sur la fixation du jour du débat

M. le président. M. Camille Dreyfus a la parole.

M. Camille Dreyfus. Messieurs, je crois qu'il serait possible de trancher la difficulté en renvoyant le débat, non pas sine die, mais a jour fixe. je propose a la Chambre de décider, par exemple, que le débat aura lieu le 20 novembre. (Dénégations sur divers bancs.)

Au centre. Non ! après le budget !

M. Camille Dreyfus. Après le budget mais savez-vous quand vous aurez fin la discussion du budget? (Bruit.)

Alors, je maintiens ma demande de discussion immédiate.

M. le président. M. Dreyfus maintien sa demande de discussion immédiate su l'urgence; d'autres de nos collègues proposent le renvoi de cette discussion après le vote du budget.

Je vais consulter la Chambre.

J'ai reçu une demande de scrutin, signé par MM. F. Mathé, Pajot, Maurice-Faure, Cousset, Lasbaysses, Lacroix, Vival, Gacon Terrier, Bony-Cisternes, Ducoudray, Bézine, Lagnel, Guillemet, Hervieu, Dumas, Dubois, etc.

Il va être procédé au scrutin, (Bruit.)

Sur divers bancs. On n'a pas compris la position de la question !

M. le président. Messieurs, on me dit qu'il y a un malentendu sur la position de la question. Je demande à la Chambre la permission de le dissiper.

J'ai mis aux voix la proposition tendant ajourner après le vote du budget la discussion sur l'urgence de la proposition de M. Camille Dreyfus.

C'est donc sur l'ajournement que la Chambre est appelée à se prononcer. (Très bien!)

Le scrutin est ouvert.

(Les votes sont recueillis. — MM. les secrétaires on font le dépouillement.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin :

Nombre des votants.......... 522

Majorité absolue............. 202

Pour l'adoption...... 185

Contre............... 337

La Chambra des députés n'a pas adopté.

En conséquence, la discussion sur l'urgence a lieu immédiatement.

M. Camille Dreyfus. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. Camille Dreyfus... ; . . ,-.

Camille Dreyfus. Messieurs, m'inspirant des paroles que prononçait à la tribune, il y a un instant, l'honorable M. Camille Pelletan, et pensant qu'en effet un débat de cette Importance ne peut pas être touffe, surtout à une fin de séance, je vous demande de vouloir bien fixer à samedi, après l'interpellation de M. Ernest Roche, le débat sur l'urgence de ma proposition. (Interruptions sur divers bancs.

M. Du Bodan. Non ! non ! Tout de suite !

M. Yves Guyot, ministre des travaux publics. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. le ministre des travaux publics.

M. le ministre des travaux publics. Messieurs, je crois qu'il est difficile de se méprendre sur la signification du vote qui vient d'être émis. L'honorable M. Camille Dreyfus, à la fin d'une séance, a tout d'un coup déposé une demande de séparation des églises et de l’État, alors, comme on l'a fait justement remarquer, qu'au moment de la discussion du budget des cultes il n'était pas intervenu, (Rires à droite. — Bruit sur divers bancs à gauche.)

Eh bien de deux choses l'une : ou M. Camille Dreyfus trouve que sa proposition a un caractère d'urgence tel qu'il lui est absolument impossible d'en remettre la discussion..... (Interruptions à gauche) … ou bien M. Camille Dreyfus a tout simplement voulu produire un effet qui n'est pas digne de lui. (Nouvelles interruptions à gauche. Applaudissements sur divers bancs au centre et à droite.)

M. Camille Dreyfus. De pareils arguments sont indignes de vous, monsieur le ministre.

M. le ministre. Mais, de tonte manière, ce que le Gouvernement désire...

M. Camille Dreyfus. Il n'a pas délibéré sur la question.

M. le ministre. ... ce qu'il veut, c'est poursuivre la discussion du budget (Très bien! très bien! au centre) et ne pas la laisser interrompre par des discussions parasites.... (Nouvelles interruptions à gauche. — Très bien ! très bien ! au centre et droite. Bruits.)

M. Camille Pelletan. je demande la parole.

M. Camille Raspail. Vous avez voté cette proposition autrefois avec nous, monsieur le ministre. (Bruits.)

M. le ministre. ...alors surtout que, l'autre jour, au moment de la discussion du budget des cultes, il ne s'est présenté aucun orateur pour discuter sérieusement la question qui se présente aujourd'hui. (Mouvements divers.)

L'honorable M. Dreyfus a demandé l'urgence en faveur de cette proposition. Vous la voulez, mon cher collègue? Eh bien, je considère qu'il est du devoir de la Chambre de discuter immédiatement l'urgence et de la repousser. (Très bien! très bien!)

M. Emile Moreau. le ministre des cultes n'est pas présent.

M. le président. La parole est à M. Camille Pelletan.

M. Camille Pelletan. Messieurs, II y ici une question de bonne fol, et je voudrais m'adresser A la Chambre tout entière pour obtenir d'elle qu'elle adopte un ordre de discussion conforme, si je puis dire, à sa dignité. (Très bien! très bien! sur divers bancs.)

J'avais pensé qu'en présence d'une proposition dont nul ne peut méconnaître l'importance, puisqu'elle porte sur une des grosses questions qui sont perpétuellement discutées entre nous (C'est vrai! à droite), tout ce qu'il restait à faire dans l'intérêt de tout le monde, et étant donné que personne ne peut vouloir étouffer une discussion de cette nature, c'était d'attendre que la Chambre eût expédié la discussion urgente qu'elle poursuit en ce moment, de façon que toutes les opinions pussent se produire sans nuire aux intérêts matériels du pays. (Très bien ! très bien '.) C’était, à ce qu'il me parait, la proposition la plus acceptable dans l'intérêt de tous.

Au centre. La Chambre l'a repoussée!

M. Camille Pelletan. Que s'est-il produit cependant? La Chambre a émis un vote dont le sens assurément est difficile à dégager... (Réclamations au centre.)

M. Armand Després. Nous avons voté en parfaite connaissance de cause.

M. Godefroy Cavaignac. Je demande la parole.

M. Camille Pelletan. Voulez-vous me. permettre de m'expliquer, mes chers collègues ? et vous allez voir que nous allons être d'accord. La Chambre a émis un vote dont le sens d'ensemble est difficile pour ne pas dire impossible à dégager... (Nouvelles réclamations sur les mêmes bancs), attendu que, d'un côté, quelques-uns ont voté avec la crainte de rejeter la proposition trop loin et que, d'un autre côté, ceux qui ont fait l'appoint de la majorité ont voté pour en finir immédiatement avec la proposition d'urgence. Ce vote n'a donc pas un sens précis, puisque ceux qui y ont pris part l'ont fait dans des conditions diamétralement opposées, — aucun de vous ne peut le nier.

Dans cette situation, peut-on vouloir étouffer une discussion de cette nature. A tous les républicains je ne poserai qu'une question. Demandez-vous combien il y en a dans cette Assemblée qui, au moins par souvenir des programmes qu'ils ont signés autrefois, sont obligés de marquer un certain respect à des revendications comme celle-là ! (Très bien! très bien! sur divers bancs à gauche.) Demandez-vous si c'est une de ces questions que vous puissiez écarter dédaigneusement par une sorte de question préalable. Et je demanderai aux partisans du principe du budget des cultes, s'ils pensent qu'il soit de leur dignité de paraître devant le pays fuir le débat à l'heure où est posée devant la Chambre la question de principe. (Très bien! et applaudissements sur divers bancs à gauche.)

M. Armand Després. Vous n'avez qu'un but, c'est de revenir sur le vote du budget des cultes, (Bruit.)

M. Cuneo d'Ornano. Le débat aurait pu se produire efficacement à propos du budget des cultes.

M. Camille Pelletan. J'ai le regret de ne pas saisir les observations de M. Després.

M. Armand Després. Si vous le désirez, je vais les reproduire.(Non! non! À gauche.)

M. Camille Pelletan. Je les devine. Mais j'entends l'objection qu'on me fait de ce côté (la droite). On fait allusion à ce qui s'est passé dans la séance de mardi. Je ne voudrais pas insister sur ce point; mais il est certain que, pour des causes que je n'ai pas à rechercher, la Chambre a voté trois budgets plus vite qu'on ne pouvait le prévoir, en sorte que — il faut le reconnaître de bonne foi — aucun de ceux qui avaient l'intention d'engager cette discussion, ne s'est trouvé en mesure de monter à la tribune. (Très bien! très bien! À l'extrême gauche. — Bruit.)

M. du Breil, comte de Pontbriand. Ou avait eu le temps d'étudier la question !

M. Camille Pelletan. Dans ces conditions, je fais appel à la Chambre, je fais appel au Gouvernement lui-même, qui n'est représenté malheureusement dans ce débat que par un de nos anciens amis, un de ceux qui ont tant de fois réclamé avec nous la réforme dont nous demandons le vote aujourd'hui. (Applaudissements et rires à l'extrême gauche.)

Je fais très sérieusement la part des nécessités de sa situation; mais je me permets de dire, que peut-être il a moins qualité que tout autre pour savoir ce que le Gouvernement peut peiner au fond sur cette question.

Je demande à la Chambre s'il n'est pas de sa dignité de réserver à une question aussi sérieuse une discussion sérieuse. (Très bien! très bien! à l'extrême gauche.Mouvements divers}.

M. Fernand de Ramel. Retirez la demande d'urgence, alors !

M. le ministre des travaux publics. L'honorable M. Pelletan a invoqué contre le seul membre du Gouvernement qui se trouve en ce moment sur les bancs du ministère un fait personnel, mais ce fait personnel se retourna précisément contre la thèse qu'il a soutenue.

Quand j'ai soulevé la question de la séparation des Églises et de l’État, je ne suis pas venu à une fin de séance demander une discussion d'urgence; j'ai déposé une proposition de loi étudiée qui a été repoussée à l'unanimité moins ma voix dans la commission qui en était saisie, et aucune autres ne lui a été substituée.

Cela prouve évidemment que la question n'est pas simple, et vous devez, conformément à la procédure parlementaire, la faire murir devant une commission. Rien ne presse et c'est pour cela que je considère qu'aujourd'hui...

M. Camille Dreyfus. Nous demandons l'urgence, pour éviter la formalité de la commission d'initiative.

M. le ministre des travaux publics. ...il est absolument indispensable que la Chambre se prononce nettement en acceptant la discussion immédiate et en votant contre l'urgence. (Très bien! très bien!)

M. la président. La parole est à M. Cavaignac.

M. Godefroy Cavaignac. Messieurs, M. Pelletan nous demandait tout à l'heure de préciser le sens du vote que nous avons émis.

M. Camille Pelletan. J'ai dit qu'on l'avait émis dans des sens divers.

M. Godefroy Cavaignac. J'estime, en effet, que ce sens doit être précisé, et c'est pour cela que je suis à la tribune.

Nous pensons—et nous croyons en le disant répondre au sentiment des électeurs — qu'il est nécessaire d'écarter de nos délibérations les questions qu'on ne peut résoudre; nous pensons que c'est faire la plus mauvaise des politiques que d'agiter l'opinion à propos de questions insolubles. (Humeurs à L'extrême gauche. Très bien! au centre.)

Je demande à M. Pelletan, qui s'adressait à nous tout à l'heure, s'il croit qu'il soit possible, dans cette Chambre, de résoudre la question de la séparation de Églises et de l’État; je lui demande si le vœu le plus manifeste de l'opinion, ce que le pays a demandé au parti républicain tout entier, n'est pas que la Chambre écarte de ses délibérations les questions qui sont de nature à soulever ici des discussions stériles, irritantes, contraires à la politique qui doit être, pour nous, celle du parti républicain ! (Très bien! très bien!)

C'est parce que telle est notre conviction que nous avons demandé à la Chambre de vouloir bien statuer immédiatement sur l'urgence, et que, quant à nous, nous sommes résolus à la repousser. (Très bien! très

bien ! Aux voix !)

M. Basly. Messieurs, voilà près d'une heure que nous débattons pour savoir si l'on discutera la proposition de M. Dreyfus. La question s'éternise ; aussi, pour ne pas entraver la discussion du budget, je propose à la Chambre de décider qu'elle tiendra séance demain. (Mouvements divers.)

M. le président. M. Desprês a demandé la parole. (La clôture!)

M. Armand Després prononce, de son banc, quelques paroles qui se perdent dans le bruit.

A gauche. A la tribune!

M. le président. J'autorise M. Després, comme j'en ai le droit, à parler de sa place.

M. Armand Després. Je renonce à la parole. M. Cavaignac a développé a la tribune les idées que je n'aurais pas mieux défendues.(Très bien ! très bien ! au centre.)

M. Jules Gaillard (Vaucluse), ironiquement. Nous sommes éclairés, maintenant !

M. le président. Voici les propositions qui sont faites à la Chambre, non pas sur la question du fond, mais sur la question de l'urgence :

M. Dreyfus demande que la discussion de l'urgence de sa proposition soit fixée à samedi après les interpellations indiquées;

M. Basly demande qu'il y ait pour cette discussion une séance exceptionnelle demain vendredi ;

Le Gouvernement demande que la question d'urgence soit vidée immédiatement. (Très bien! très bien!)

La Chambre doit d'abord voter sur la date la plus éloignée.

M. Paul Déroulède. Je demande la parole.

M. le président. Vous auriez dû la demander plus tôt.

M. Paul Déroulède. Je voudrais donner lecture d'un ordre du jour.,.

M. le président, il ne s'agit pas en ce moment d'ordre du jour. Il faut s'habituer à demander la parole pendant les discussions et non quand le vote commence.

M. Camille Dreyfus a demandé le renvoi à samedi ; c'est la date la plus éloignée. Je mets aux voix cette fixation.

Il y a une demande de scrutin, signée par MM. Mathé, Pajot, Maurice-Faure, Cousset, Lasbaysses, Lacroix, Vival, Gacon, Terrier, Bony-Cisternes. Ducoudray, Bézine, Lagnel, Guillemet, Hervieu, Dumas, Dubois, etc.

(Les votes sont recueillis. — MM. les secrétaires en font le dépouillement.)

M. 1e président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin :

Nombre des votants.......... 498

Majorité absolue............. 250

Pour l'adoption...... 148

Contre............... 352

La Chambre des députés n'a pas adopté.

M. le président. Est-ce que vous maintenez votre proposition, monsieur Basly ?

M. Basly. Parfaitement, monsieur le président, et j'ai déposé une demande de scrutin. (Exclamations.)

M. le président. Je mets aux voix la fixation à demain de la discussion sur l'urgence de la proposition de M. Camille Dreyfus.

Il y a une demande de scrutin, signée de MM. F. Mathé, Pajot, Maurice-Faure, Cousset, Lasbaysses, Lacroix, Vival, Gacon, Terrier, Bony-Cisternes, Ducoudray, Bézine, Lagnel, Guillemet, Hervieu, Dumas, Dubois, etc.

Le scrutin est ouvert.

(Les votes sont recueillis. — MM. les secrétaires en font le dépouillement.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin :

Nombre des votants.......... 498

Majorité absolue............. 250

Pour l'adoption...... 159

Contre............... 339

La Chambre des députés n'a pas adopté.

En conséquence, la discussion immédiate sur l'urgence est ouverte. La parole est à M. Camille Dreyfus.

M. Camille Dreyfus. Je regrette d'être obligé do monter a la tribune à cette heure, mais je dois avertir la Chambre que j'en ai au moins pour deux heures et demie. (Parlez! parlez!)

La proposition que vous nous obligez à défendre en ce moment à la tribune...'(Exclamations au centre).

Plusieurs membres. C'est vous qui avez demandé l'urgence !

M. Camille Dreyfus. ... a été souvent l'objet de débats dans les Assemblées parlementaires. Depuis que le parti républi­cain est arrivé en majorité dans les Assemblées, il ne s'est point pas passé de législature sans que cette proposition n'ait été renouvelée.

Si on nous objectait qu'en ce moment elle ne répond pas a un état d'esprit dans le pays ; si on nous disait que ce n'est que le vœu d'une minorité, nous répondrions à notre tour que mainte autre réforme qui a été apportée devant les Assemblées successives a fini par conquérir la majorité dans le pays et dans le Parlement, et que c'est le droit imprescriptible des minorités de parler devant les Chambres et devant le pays de façon à conquérir les suffrages et augmenter le nombre des adhérents. (Très bien! très bien! sur divers bancs à gauche.)

La tactique que nous employons en ce moment pour la séparation de l’Église et de l’État, nos prédécesseurs l'ont employée et pour l'instruction laïque et obligatoire, et pour le service militaire de trois ans. et pour tant d'autres réformes qui ont été votées successivement depuis 1876 jusqu'au jour où je parle. (Très bien! très bien! sur les mêmes bancs.)

Nul d'entre nous n'a oublié le discours brillant que prononçait à cette tribune, lors de la discussion du budget de 1887, dans l'automne de 1886, mon collègue et ami M. Pichon, alors qu'il apportait la preuve historique que le Concordat avait été en quelque sorte le résultat d'un malentendu et d'une erreur. (Exclamations an centre et à droite.)

Voix diverses. Vous discutez le fond !

M. le président. Monsieur Dreyfus, permettez-moi de vous faire une observation.

Je ne veux pas limiter votre discussion; mais je suis obligé de vous rappeler que la discussion porte exclusivement sur la déclaration d'urgence... (Très bien ! très bien!) et qu'en conséquence votre discours et votre discussion peuvent être assez brefs, car, d'après les votes précédents, il me semble que la Chambre est toute disposée à voter l'urgence. (On rit.)

M. Camille Dreyfus. Monsieur le président, vous auriez mille fois raison si la discussion se passait simplement et suivant le bon sens. (Vives exclamations au centre.)

M. le président. Mais, messieurs, M. Dreyfus ne parle pas de vous! (On rit.)

M. Camille Dreyfus. Je dis que, s'il n'avait pas été établi en quelque sorte par une discussion préalable qui a eu lieu à cette tribune, que c'était le débat sur l'urgence qui devait remplacer le débat sur le fond, Je ne me trouverais pas entraîné comme je le suis... (Réclamations au centre.) Comment ! vous avez applaudi tout à l'heure M. Pelletan quand il a émis cette idée ; il ne faudrait pas cependant vous déjuger à cinq minutes d'intervalle! (Bruit.)

Il a été entendu, et c'est pour cela que M. Pelletan demandait le renvoi de 1a discussion, que le débat sur l'urgence devait être le débat sur le fond. (Non! non.' au centre.)

J'en demande pardon à ceux qui le nient, mais on peut se reporter au procès-verbal.

M. Cuneo d'Ornano. C'était une ironie pour laisser entendre qu'il n'y aurait jamais de débat sur le fond !

M. Camille Dreyfus. M. Pelletan ne se sert jamais de l'ironie. (On rit.)

M. Cuneo d'Ornano. Il s'en sert au contraire admirablement! (Nouveaux rires.)

M. Camille Dreyfus. Je disais donc que, si les choses se passaient comme il est naturel, je serais évidemment très bref ; mais il ne peut en être ainsi, parce que, sous peine de voir la proposition écartée, c'est maintenant que, nous devons instituer a la tribune un véritable débat.

Nos adversaires ont voulu que ce débat, institué à une heure tardive, porte sur le fond même... (Non! non.' au centre.) Je tâcherai de me conformer, autant que je le pourrai, au règlement que me rappelait tout a l'heure M. le président, mais je vous demande de tenir compte de la situation qui m'est faite.

M. le président. Et moi, je vous demande de tenir compte de la situation de la Chambre et des heures normales de discussion. (Très bien ! très bien ! )

M. Camille Dreyfus. C'est elle-même qui s'est fait cette situation, monsieur le président. (Bruit.)

Je disais donc que M. Pichon avait apporté à cette tribune un discours qui avait établi de la façon la plus péremptoire que l'acte sur lequel repose l'union des églises et de l’État est un acte qui a été entaché, dans son origine historique et diplomatique, d'une erreur, d'un vice, d'un dol. Il l'a démontré à la tribune. (Exclamations sur divers bancs.)

Sur divers bancs.. C'est une discussion sur le fond et non pas sur l'urgence. —A la question ! Aux voix !

M. Camille Dreyfus. Je ne veux pas m'imposer a la Chambre... (Interruptions.)

M. Labrousse. Vous êtes puni par où vous avez péché.

M. Camille Dreyfus .... seulement, je serai obligé, si on ne veut pas discuter ma proposition dans les termes où il me parait qu'elle doit l'être, de la retirer... (Bruit.)

A gauche.. Et du la représenter.

M. Camille Dreyfus. ... en déclarant que c'est grâce à l'intolérance d'un certain nombre de mes collègues qu'elle n'a pu être discutée. (Réclamations.)

M. Terrier. Nous demandons le renvoi de la discussion a demain.

Un membre d droite-. Une séance de nuit alors ?

Un autre membre. Retirez. votre proposition, monsieur Dreyfus; le résultat sera 1e même

M. Camille Dreyfus. Non, je la maintiens.

Un membre. Le fond viendra plus tard. Maintenant, discutez l'urgence, aux terme du règlement;

M. Camille Dreyfus, Je discute l'urgence dans les termes mêmes où la Chambre a fixé le débat. (Dénégations au centre et à droite.) |

Il appartenait à la Chambre — et nous avons fait appel à sa courtoisie — de fixer le débat dans d'autres conditions. C'est elle même qui a fait la loi qu'elle subit en ce moment.

M. le président. Cependant, c'est vous même qui, en déposant votre proposition et malgré les adjurations de vos amis...

M. Camille Dreyfus. De quelques-un seulement.

M. le président. ... et même du président, avez insisté pour que l'urgence fût déclarée et quo le vote eut lieu immédiatement. II ne faut pas maintenant adresser un reproche à la Chambre. (Applaudissements.)

M. Camille Dreyfus. je suis obligé de rectifier ce que vous venez de dire, monsieur le président : ce ne sont pas les adjurations de mes amis, mais de quelques-uns de mes amis (Exclamations); car si j'avais voulu compter, j'aurais trouvé autant de membres de ce côté (la droite) qui m'engageaient à continuer. Par conséquent, il ne faut pas me représenter ici comme un homme indiscipliné (Nouvelles exclamations) et cherchant a s'imposer quand même à l'attention de la Chambre: je cherche à maintenir mon droit quand c'est un droit strict. Vous avez voulu que la discussion eût lieu d'urgence il cette heure, et le débat à été engagé de telle façon qu'il a été convenu que la discussion d'urgence serait une discussion de fond. (Non ! non.' sur divers bancs.)

M. le président. Personne n'a établi cela, et je n'aurais pas pu le permettre. Le débat porte uniquement sur l'urgence de la proposition, et pas sur autre chose. (Très bien '. très bien.')

M. Camille Dreyfus. Au sujet de l'urgence, d'autres orateurs que moi viendront à la tribune. Je n'ai qu'un mot à dire aux républicains qui sont ici : Qu'ils usent leurs programmes, qu'ils se rappellent les promesses qu'ils ont faites...

Plusieurs membres à gauche. Nous ne les avons pas oubliées.

M. Camille Dreyfus. Je ne désigne personne on particulier, je parle en général. Je dis aux républicains qui sont ici, à ceux évidemment qui ont été, autrefois, partisans de la séparation des Églises et de l’État, et non pas à ceux qui en ont été toujours les adversaires; eh bien, je demande à ceux qui sont partisans de la séparation des Églises et de l’État, qui l'ont déclaré dans leurs programmes, si, après avoir fait la concession de retarder la discussion autrefois sur cette question pour ne pas entraver la discussion du budget, si, après avoir donné ce gage de conciliation aux autres fractions du parti républicain avec lesquelles nous avons marché, la main dans la main, en mainte circonstance, nous avons, par ce fait, abandonné cette question de la séparation des Églises et de l’État

Je demande si ceux qui, jadis, ont voté la séparation des Églises et de l’État nous refuseront leur concours, alors que nous reprenons une partie de notre programme qui n'engage ni le budget ni la responsabilité ministérielle. (Interruptions diverses.) Quant a moi, je ne doute pas de la réponse du pays. Je ne parle que des électeurs radicaux que nous avons seuls l'ambition de représenter; ces électeurs radicaux nous sauront gré de notre attitude, qui leur fera voir que dans la Chambre on n'a oublié ni le programme de 1869 ni celui de 1889. (Très bien! très bien! sur divers bancs à gauche.)

Sur plusieurs bancs. Aux voix! la clôture.

Sur d'autres bancs. A demain !

M. la président. Plusieurs de nos collègues demandent la clôture; d'autres proposent le renvoi à demain.

Quoique le renvoi à demain ait été déjà repoussé par la Chambre d'une manière générale, je suis obligé, puisqu'il est demandé de nouveau, de le mettre aux voix avant la clôture, aux termes du règlement.

(La Chambre, consultée, se prononce contre le renvoi à demain.)

M. le président. Je mets aux voix la clôture de la discussion.

(La Chambre, consultée, prononce la clôture.)

M. Camille Dreyfus. Je retire ma proposition. (Exclamations en sens divers.)

M. le président. La proposition est retirée.

Personne ne demande la parole? L'ordre du jour a été fixé.