(Session ord. — Séance du 8 mai 1800.)
PROPOSITION DE LOI tendant à la suppression du budget des cultes
et au retour à la nation des biens dits de mainmorte, meubles ou Immeubles appartenant aux congrégations religieuses,

présentée par MM. Alexandre Zévaès, Bénézech, A. Boyer, Bernard Cadenat, Carnaud, Colliard, Dufour (Indre), Ferrero,

 Ferroul, Jourde, Krauss, Legitimus, Palix, Pastre, Sauvanet, Devèze, Paul Narbonne, Allard, Breton (Cher), Chauvière, Coutant, Dejeante, Groussier, Lassalle, Poulain, Sambat, Vaillant, Walter, Lètang, Renou, Berton, Pajot, Gallot (Yonne), députes.

EXPOSE DES MOTIFS
    Messieurs, ce n'est pas une revendication d'ordre socialiste, c'est une mesure purement et simplement républicaine que nous proposons à la Chambre.
    En tête du programme républicain, du «vieux programme », de celui à qui l'on "jurait obéissance » en même temps que « fidélité au peuple souverain», figuraient la suppression du budget des cultes et la séparation dos Églises et de l'État.
    Comment cet engagement a-t-il été tenu ? Est-il nécessaire de le rappeler ?
    Après avoir feint de mettre l'Église hors de l'école primaire par une laïcité mensongère ; après avoir déclaré une guerre pour rire à ses irréguliers des ordres non autorisés, non seulement on ne lui a pas coupé les vivres, non seulement on a persisté à la considérer et à la renter en service public; mais — avant même que soufflât l'esprit nouveau — on lui a tout abandonné, l'enseignement secondaire et supérieur, les bureaux de bienfaisance et les hospices, jusqu'à l'atelier où, sous le nom do Notre-Dame-de-l'Usine, elle domine les consciences et les corps.
    Certes, les socialistes ne sont pas de ceux qui attendent du régime capitaliste la fin des religions, ou de la « superstition », comme on disait au siècle dernier. Ils savent que l'émancipation intellectuelle ne peut pas précéder, mais suivre l'émancipation économique et que c'est seulement dans une société devenue une véritable « providence» pour chacun des membres qui la composent que pourra disparaître jusqu'à l'idée d'une providence imaginée par delà les nuages, dans le domaine mythique.
    Mais, dès maintenant, ce que peut, ce que doit faire un gouvernement républicain, c'est en finir avec cet État dans l'État que constitue, un siècle après la Révolution de 1789, le clergé catholique romain ; c'est le soumettre au droit commun en lai enlevant tous les privilèges qu'il tient de l'époque où il faisait, où il était la loi.
    La suppression de ce salaire du clergé qu'est le budget des cultes s'impose donc immédiatement — suppression qui aura, en outre, le mérite d'épargner cinquante et quelques millions par an à ce taillable à merci qu'est le peuple travailleur.
    Mais dans cette voie ilc ne conviant pas de s'arrêter, comme le font les anticléricaux bourgeois, trop conscients des services que rendent les religions à la propriété et à la sûreté capitaliste, pour vouloir s'en priver en frappant le clergé au coeur, c'est à dire à la caisse.
    Depuis près d'un siècle, au mépris de l'article du code qui punit les « les tromperies sur la qualité de la marchandise vendue », la gent porte-soutane a arraché à la confiance publique plus d'un milliard. C'est ce milliard, converti en immeubles ou placé dans les banques, sur lequel il faut mettre la main, qu'il faut restituer à la nation, comme l'avait décrété la Commune de Paris (2 avril 1871), comme le demande le programme du parti ouvrier français.
    Cette expropriation s'impose d'autant plus que les biens à nationaliser ne représentent pas seulement une longue exploitation religieuse des masses, mais aussi une exploitation industrielle et commerciale directe.
    Depuis longtemps, l'Église — qu'on accuse à tort de ne pas transiger avec la société moderne — s'est mise au pas de notre civilisation capitaliste. A ses sacristies, à ses confessionnaux, elle a adossé des ouvroirs, des orphelinats et autres maison de travail et de profit. Et, pour les bénéfices réalisés, comme pour les tortures infligées aux travailleurs de tout sexe et de tout âge, ces bagnes ecclésiastiques ne le cèdent en rien aux bagnes les plus laïques. Il y a là des millions qui ont été acquis sur le dos de milliers et de milliers d'enfants du peuple ouvrier et sur lesquels, par suite, ce dernier a autant de droits que n'en avait le Tiers de 1789 sur les dîmes ecclésiastiques. Le retour à la nation de la propriété mobilière et immobilière des corporations religieuses a donc pour lui le droit et les précédents.
    Enfin, nous demandons que, protégeant la liberté de conscience de la classe qui n'a que son travail pour vivre, la République intervienne pour empêcher les employeurs d'édifier des chapelles particulières à l'intérieur de leurs exploitations industrielles, d'enrôler dans les sociétés dite de Notre-Dame-de-l'Usine et de contraindre à des pratiques religieuses quelconques des milliers de femmes et d'hommes placés entre la perte de leur pain et le sacrifice de leurs sentiments les plus intimes à la religion du maître. En même temps que l'église sera séparée à l'État, il importe, pour assurer la liberté de confiance prolétarienne, de séparer l'église de l'atelier, sans quoi la suppression du budget des cultes n'aurait d'antre effet que de faire supporter, par les sels travailleurs, tout le poids de l'entretien des différents clergés.
    En conséquence, nous soumettons a la Chambre   la proposition de loi suivante : 
PROPOSITION DE LOI
    Art. 1er. — Le Concordat et les articles organiques sont abolis.                         
    Le budget des cultes est supprimé.
    Art. 2. — Toutes les congrégations religieuses précédemment autorisées ou non autorisées sont supprimées.
    Sont réputées congrégations tontes les associations dont les membres vivent en communauté dans un but religieux, liés par des vœux perpétuels ou temporaires, d'obéissance, de pauvreté ou de célibat.
    Art. 3. — Les biens dits de mainmorte, meubles ou immeubles, appartenant aux congrégations  religieuses,  y compris  toutes es annexes industrielles et commerciales de ces congrégations, sont déclarés biens nationaux,
    Tous droits consentis on aliéné h à dater du dépôt de la présente proposition de loi sur les biens appartenant aux congrégations religieuses sont entachés de nullité absolue.
    Art 4. — II est interdit à tout employeur collectif ou individuel d'ériger aucune chapelle particulière, d'enrôler ses ouvriers ou ouvrières dans aucune société religieuse et de les soumettre à aucune pratique religieuse.
    Art. 5. — Les crédits rendus disponibles pan la suppression du budget des cultes, ainsi que la propriété ecclésiastique qui a fait retour à la nation, sont exclusivement consacrés à la constitution d'une caisse de retraites pour les vieillards et les invalides du travail.
    Art. 6. — Toute contravention à l'article 4 sera punie d'une amende de 300 à 3000 fr. et, en cas de récidive, d'un emprisonnement de quinze jours à trois mois.
    Art. 7. — Toutes les dispositions contraires à la présente loi sont et demeurent abrogéses.

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