25 janvier 1956 :


     Proposition de résolution
tendant à inviter le Gouvernement au respect intégral de l'article 2 de la loi sur la séparation des églises et de l'État, présentée par MM. Garaudy, Thamier, Pierard, Mme Grappe, M. Boutavant et les membres du groupe communiste, députés. (Avec demande de discussion d'urgence, conformément à l'article 61 du règlement.). -(Renvoyée à la commission de l'intérieur.)

EXPOSE DES MOTIFS

    Mesdames, messieurs, l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des églises et de l'État dispose que "la
République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ".
    L'article 1er de la Constitution déclare que la République française est laïque . Et voici comment, il y a dix ans, l'un des
dirigeants d'un parti qui a le plus ouvertement méconnu ce principe fondamental du droit public français, M. Maurice Schumann,
après avoir condamné le cléricalisme en tant que tendance que pourrait avoir une société spirituelle à se servir des pouvoirs publics pour satisfaire sa volonté de domination, a excellemment défini la laïcité: " La laïcité de l'État signifie son indépendance vis-à-vis de toute autorité qui n'est pas reconnue par l'ensemble de la nation, afin de lui permettre d'être impartial vis-à-vis de chacun des membres de la communauté nationale et de ne pas favoriser telle ou telle partie de la nation ".
(Séance du 3 septembre 1916, Journal officiel, Débats, p. 3474.)
    La laïcité de l'État est la garantie des libertés des citoyens.
    Les libertés individuelles sont aujourd'hui en grave péril. Des ministres et des fonctionnaires sous leurs ordres ont ouvertement servi l'Église catholique et sa hiérarchie, ont favorisé son enseignement, alors que la politique vaticane va ouvertement à l'encontre des intérêts de la France.
    C'est ainsi que le Gouvernement français s'est fait officiellement représenter: 1° en avril 1955, à la béatification de prêtres "martyrs des Boxers en Chine", par un ministre et deux sénateurs; 2° en mai 1955 à la béatification du Père Champagnat, par un ministre; 3° en juin 1955 au sacre de Monseigneur Fontenelle, par un ministre et un député; 4° en juin 1955, à la béatification de prêtres ayant refusé de prêter serment à la Constitution civile du clergé et exécutés à Laval en 1794, par un ministre ; 5° en juillet 1955, au congrès eucharistique international de Rio de Janeiro, par un député; 6° en juillet 1955, à l'exposition missionnaire catholique de Colmar, par un ministre; 7° en août 1955, aux cérémonies mariales du pèlerinage national de Lourdes, par un secrétaire d'État; 8° en septembre 1955, à la quinzaine missionnaire catholique de Lille, par un ministre.
    Il faut que ces méthodes changent et que le Gouvernement et la France redeviennent laïques.
    Aucune participation officielle, gouvernementale administrative ou militaire à des cérémonies religieuses  ne doit avoir lieu en France; dans l'Union française, à Rome ou ailleurs.
    Aucune bénédiction religieuse de monuments ou d'ouvrages publics, aucune cérémonie religieuse incluse dans des manifestations officielles - procédés devenues si fréquents - ne devra plus être demandée ou autorisée.
    Aucun office religieux ne devra plus être autorisé ou toléré - hormis l'exception légale des processions antérieures à 1906 - sur la voie publique ou le domaine public. Le clergé et les fidèles catholiques ont la plus entière liberté touchant les offices dans les églises. Mais c'est un abus que les messes soient célébrées sur des places publiques, y compris sur la place Saint-Sulpice, au square des Batignolles ou sur la Seine à Paris. Aucune autorisation de ce genre ne devra plus être donnée.
    Aucun rang protocolaire ne devra plus être conféré, parmi les personnalités et fonctionnaires publics à des ministres des cultes en cette, qualité, ou à des dirigeants d'organismes ou d'établissements religieux. Il n'est pas admissible de voir dans les cérémonies officielle, un évêque à côté du préfet et des parlementaires  ou les doyens et professeurs facilités catholiques à côté de ceux des facultés d'État. La seule place protocolaire des ecclésiastiques, selon le décret de 1907 toujours en vigueur, sa trouve après toutes les personnalités officielles, tous les corps constitués et les fonctionnaires, parmi les personnalités privées. Il n'y a plus, légalement, de religion "reconnue" en France. Les cultes ne sont que des activités  "privées", sinon l'État n'est plus en régime de " séparation".
    Il convient  de revoir toutes les questions de radiodiffusion, de télévision, de censures cinématographiques etc. l'État ayant souvent mis gratuitement et sans contrôle préalable  des moyens de diffusion et de propagande très puissants à différents cultes et en favorisant spécialement le culte catholique romain.
  Il faudra veiller à la plus stricte impartialité de l'État en matière religieuse à l'égard de ses fonctionnaires et agents dans leur service.
    En outre, le respect de l'article 2 de la loi de séparation exige que les pouvoirs publics, les collectivités publiques locales et les établissements publics à caractère industriel et commercial que l'État, cessent d'aider pécuniairement ou de favoriser l'action et  la propagande de ministres des cultes. L'État n'a pas à les reconnaître, à les salarier ou à les subventionner.
    Nous sommes sous un régime où l'État, sans  ignorer les cultes (toutes les lois de 1905 à 1908 établissent entre les cultes et lui les rapports nécessaires) ne les reconnaît pas officiellement et, surtout, ne les aide en rien.
    Citons un cas typique : le Conseil d'État avait admis en 1921 -  dans le silence de la loi à cet égard - qu'une très modique indemnité pouvait être versée par une commune au curé en tant que gardien de l'église (bâtiment public communal) sans que cela soit là une subvention indirecte au culte. Il fallait naturellement aussi que le curé résidât dans la commune et non loin de l'église afin d'en être véritablement le "gardien". Le taux annuel maximum très minime, fixé par arrêté du ministre de l'intérieur, passa progressivement de 300 F le 20 mai 1921 à 3.000 F le 14 avril 1947; il fut, ensuite, porté à 8.000 F depuis lors, aucune raison économique ne justifiait l'accroissement de ce taux. C'est pourtant ce qui fut fait; deux ans après, le 31 août 1954, et on porta ce montant maximum à 16.000 F par an. En même temps, avec audace, malgré la jurisprudence de 1921 contraire à de tels errements, l'on admit que le curé desservant plusieurs paroisses pourrait percevoir une indemnité, même comme gardien de la ou des églises dans la commune desquelles il ne résidait pas. Un particulier propriétaire payerait-il un concierge à Saint-Denis pour garder aussi un autre immeuble à Sceaux ? Il est clair que dans ces cas, il y a subvention indirecte au culte. De tels actes doivent cesser et cette circulaire illégale de 1954 doit être rapportée.
    Il faut que le Gouvernement rapporte immédiatement l'acte  dit décret du 25 janvier 1949 et le décret du 10 octobre 1952 relatif au régime de l'aumônerie militaire qui viole ouvertement non seulement la loi de séparation, mais la loi toujours en vigueur du 8 juillet 1880 sur l'aumônerie militaire. Il faut, en maintenant l'annulation de l'acte dit décret du 28 août 1941, revenir au régime du décret du 9 novembre 1935, seul légal en France.
    Pour terminer par une question intéressant  la souveraineté de la France,, il faut que les autorités publiques n'accordent plus aucun honneur, facilité ou prérogative prétendument diplomatique à des ecclésiastiques de nationalité non françaises au cours de leurs voyages. L'église catholique ne doit pas être un État dans l'État et ses émissaires romains s'ils s'immiscent dans des affaires internes françaises - ce qu'aucun Gouvernement n'avait toléré et encore moins encouragé avant ces dernières années - doivent sentir au moins la froideur publique et la désapprobation officielle.
    En outre, il est indispensable de revoir le cas des aumôniers étrangers de plus en plus nombreux, arrivant en France, munis d'ordres et de pouvoirs du Saint-Siège, pour desservir religieusement les nouvelles paroisses étrangères, formées par les groupements de leurs compatriotes émigrés en France. Bien souvent, dailleurs, ils freinent ou empêchent  l'assimilation de ces émigrés dans la communauté nationale, assimilation particulièrement souhaitable lorsqu'il s'agit d'enfants nés en France.
    C'est pourquoi nous avons l'honneur de vous soumettre la proposition de résolution suivante, avec demande de discussion d'urgence;
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
    L'Assemblée nationale invite le Gouvernement à revenir à une stricte application de l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 - garantie de la laïcité constitutionnelle de l'État et de la liberté de conscience de tous les citoyens - et à veiller à son respect par les administrations et les collectivités publiques.