"Archives Israélites"
Jeudi 6 juillet 1905

Le Vote de la Loi sur la Séparation

    Si le Sénat met autant de diligence que la Chambre à délibérer le projet de séparation, la grande réforme dont, à l'inverse du mot fameux de Gambetta sur l'Alsace-Lorraine, on parlait toujours, mais à laquelle on ne pensait guère comme apte à être réalisée, sera accompli dans quelques mois.
    On ne peut guère prévoir ce que le divorce définitif des Églises et de l'État donnera au point de vue social et politique. Mais c'est déjà un résultat considérable que les plus hardis parmi nos hommes d'État n'auraient pas escompté, il y a deux ans, que ce vote, par la Chambre, après une discussion approfondie où la hâte d'en finir n'a cependant pas nui au développement que les débats sur une question de cette magistrale envergure devaient prendre pour que toutes les faces de ce redoutable problème fussent envisagées avec l'attention réfléchie voulue.
    Entre le projet de loi voté par la Chambre, qui y a consacré tant de séances laborieuses et ceux, non seulement de M. Combes, mais aussi du ministère Rouvier, il y a de sensibles différences dont d'ailleurs ceux qui ont à cœur de voir assurer la paix sociale, n'ont qu'à se montrer satisfaits. A la passion qui paraissait devoir présider à ces délibérations, a bientôt fait place un sincère désir de faire du projet non pas une œuvre de parti, une œuvre sectaire, se ressentant de l'animosité de ses auteurs contre l'esprit religieux, dirigée contre la liberté de ses manifestations et ayant pour effet d'accentuer encore davantage les divisions confessionnelles, mais une œuvre  de sincère équité, de concorde, de paix et de justice.
    La séparation, telle que l'avaient conçue ses plus bouillants partisans, pouvaient devenir une machine de guerre braquée contre l'Église qui, c'est certain, n'aurait pas manqué de riposter, en dressant à son tour ses batteries contre une société qui prenait la grande liberté d'entrer en lutte avec elle sur le terrain légal.
    Telle qu'elle sort du Palais-Bourbon, pour rendre à celui du Luxembourg, elle apparaît exempte de tracasseries inutiles, de vexation sans raison, avec le souci visible non d'accentuer les angles, mais de les arrondir, de débarrasser le forum où depuis tant d'années l'esprit laïque et la doctrine théocratique se livrent d'acharnés combats de toute matière inflammable.
    Et, à vrai dire, l'Église qui a vu de si mauvaise grâce poindre à l'horizon politique ce projet de séparation, qui s'y est montré si nettement hostile, car elle le considérait, à tort ou à raison, comme visiblement dirigé contre ses influences, y est, somme toute, moins maltraitée que les confessions des minorités attachées au regard de la Loi à sa fortune, parce qu'elle ne pouvait disjoindre leur cause de celle du catholicisme.
    En effet, le culte protestant et le culte israélite surtout auront sous le futur régime, - qui ne sera pas celui de l'indépendance pleine et entière si favorable à l'expansion religieuse comme on peut s'en rendre compte en Amérique, mais celui de la liberté mitigée, - la vie assez dure, alors qu'au contraire l'Église, grâce à sa puissance, à l'ingéniosité, à la fertilité de ressource de ses dirigeants saura faire tourner les dispositions libérales de la nouvelle loi à son avantage, l'accommoder à ses besoins et s'en servir pour augmenter son prestige et asseoir encore plus solidement son empire sur les âmes.
    Le judaïsme, pour ne nous occuper que de ce qui nous intéresse le plus directement, libéré de la servitude de l'État qui a pesé si lourdement, si malencontreusement sur ses destinées, entravant le libre jeu de ses institutions traditionnelles, gênant son expansion, alors que l'Église, grâce à ses moyens d'action et ses intelligences dans la plupart des gouvernements qui se sont succédé au pouvoir, avait su si bien s'en dégager, le judaïsme, disons-nous, se trouvera fort embarrassé d'assurer, avec la nouvelle loi, l'existence de tant de ses Communautés où le nombre des fidèles est infime.
    Par maintes de ses dispositions, la loi votée a tenu compte, sur l'intervention éloquente et énergique des députés catholiques, de certaines exigences, d'ailleurs légitimes, de l'Église, mais le culte israélite n'ayant trouvé personne à la Chambre pour exposer ses misères et ses revendications que d'ailleurs, il avait à peu près totalement négligé de formuler, sort de cette délibération où le protestantisme, de son côté, a fait si fière figure, considérablement amoindri au point de vue moral.
    Et c'est ici que se révèle, s'affirme l'inanité d'une des assertions les plus facilement acceptée par l'opinion candidement crédule de la doctrine antisémite. Admirez la puissance de ces Juifs tenant, à les entendre, bouclés gouvernement et Parlement, régnant sans frein sur les fonctionnaires et conduisant les journaux par le bout du nez et qui n'arrivent pas, quand une loi est discutée qui touche aux intérêts les plus graves de leur culte, à faire amender dans le sens qui serait favorable à son existence et à son développement et qui en sont réduits à profiter par répercussion des avantages concédés aux protestants !
    Qu'il s'agisse des associations cultuelles ou de la pension accordée aux ministres du culte en exercice, le judaïsme se trouve en sensible infériorité, par les dispositions votées, sur les autres confessions.
    Et voilà comment cette activité dévorante qu'on attribue aux Juifs et qui leur ferait mettre la main comme les tentacules de la pieuvre sur tous les ressorts du pays, se traduit par une inertie complète quand il s'agit des affaires qui les touchent intimement et comment cette puissance débordante portée à son maximum par l'esprit d'intrigue aboutit à laisser sacrifier les intérêts de leur culte !
    Nos coreligionnaires n'ont, au dire de nos bons ennemis, qu'à froncer le sourcil pour que les pouvoirs parlementaire, militaire, judiciaire, se vautrent à leurs pieds et ils ont été incapables d'obtenir de la Chambre non pas un traitement de faveur, mais un traitement d'égalité.
    Vraiment, le Juif est surfait d'une façon par trop exagérée, et il faut des faits comme le vote de la loi sur la Séparation pour réduire en poussière les légendes artistement tissées sur la prétendue omnipotence de la race israélite !
    A ce point de vue, la discussion qui vient de se dérouler à la Chambre est une démonstration éclatante de l'inanité de ces assertions brodées par l'imagination de nos adversaires.
    Mais quelle que soit la pauvreté des moyens dont Israël dispose en France pour défendre les intérêts de son culte, elle est encore supérieure à la sollicitude qu'il leur témoignera dans cette grave circonstance.
    Le sujet est trop pénible pour y insister. Mais vraiment, tout est à redouter pour une communauté qui ne trouve pas en elle le ressort et les ressources, tant au point de vue moral qu'au point de vue matériel, que la récente discussion a mises en lumière chez les catholiques et les protestants.
    Nous assistons ici à une dégénérescence du sentiment des responsabilités qu'il est urgent de combattre par tous les moyens. Il faut espérer que le nouveau régime des cultes, en augmentant pour la synagogue les difficultés de la vie, le fera revivre au sein de notre communauté avec l'esprit d'initiative, de zèle et de dévouement religieux la volonté et l'action qui ont caractérisé le judaïsme dans le passé quand il s'agissait pour lui d'assurer l'existence et le développement de ses institutions sacrées !
                        H. Prague
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