Chambre des député
20 janvier 1893

BUDGET DES CULTES

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M. d'Hulst. Le budget  des cultes nous amène tout naturellement à examiner quelle est la politique religieuse du Gouvernement et de la majorité d'où il est sorti (Mouvements divers) et à nous demander cc qu'elle doit être dans l'avenir.
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    Je viens de prononcer le mot de pacification religieuse ; je n'ai pas dit de paix religieuse, j'ai dit pacification, c'est-à-dire retour à la paix. Cela suppose donc que la paix avait été rompue et qu'il y avait entre l'État français et l'Église en France, je ne dirai pas la guerre, mais enfin des relations tendues et difficiles.
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    Lorsque la paix a été rompue, lorsqu'à un degré quelconque existe un état de guerre entre deux armées, deux nations, deux groupes d'hommes, deux partis, deux institutions, peu importe, il est dans la nature humaine de se renvoyer d'un camp à l'autre le reproche d'avoir commencé.
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    Pour que cette pacification que je réclame qui est dans les intérêts de tous, dans les intérêts de la majorité comme dans les nôtres, pour que cette pacification s'opère et qu'elle se maintienne, que réclamons-nous, nous autres?
    Nous réclamons la liberté, (Très bien! à droite.) Seulement pour aller immédiatement au-devant des objections que vous ferez et quo je connais bien, je vous dirai avec une entière franchise que la liberté que nous réclamons n'est pas une liberté abstraite, c'est une liberté concrète qui, par conséquent, se présente dans des rapports nécessaires avec un ensemble de circonstances dont il n'est pas possible de ne pas tenir compte, et qu'elle suppose de la part du Gouvernement et de la majorité d'où il émane une attitude corrélative à ces circonstances.
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    Pour vous, messieurs, vous ayez une formule pour caractériser l'attitude qui convient au Gouvernement et à la majorité vis-à-vis de l'Église et vis-à-vis des catholiques. Cette formule, c'est la " neutralité ".
    C'est là ce que vous nous répondez toutes les fois que nous nous plaignons de quelque chose. Vous nous dites: Nous observons vis-à-vis de vous la neutralité, et vous, catholiques, vous avez l'habitude et la tradition de crier à la persécution quand vous n'êtes pas les maîtres! (Rires et applaudissements ironiques à gauche.)
    Je savais que je vous ferais plaisir en disant cela.
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    Non, si vous étiez vraiment neutres, si vous pouviez l'être, nous ne nous dirions pas persécutés. Mais la neutralité absolue est absolument impossible de la part du Gouvernement vis-à-vis de l'Église et des catholiques, et cela pour beaucoup de raisons ; d'abord pour des raisons générales et ensuite pour une raison de fait.
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    Il est impossible au Gouvernement de dire à l'Église: Je traite avec vous, mais je vous ignore. Or c'est là ce qu'il faudrait dire pour observer la neutralité absolue; Il faudrait considérer l'Église comme n'ayant pas d'existence, Donc, cette neutralité est incompatible, en tant qu'elle serait absolue, avec l'existence même du Concordat, D'autre part, messieurs, il apparaît tous les ans, ici, qu'il ne peut pas se rencontrer une majorité pour la dénonciation du Concordat.

M. Ubbard. Cela viendra.

M. d'Hulst. Cela viendra peut-être,

M. Hubbard. Sûrement
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    Je crois, en second lieu, que l'État commettra une très grande maladresse et, d'autre part, que nous en souffrirons beaucoup; que, par conséquent, ce conflit résultant de la rupture du Concordat ressemblera à ces batailles lamentables dans lesquelles les pertes sont si grandes et les résultats si douteux de part et d'autre qu'il y a deux vaincus et pas de vainqueur. (Très bien! très bien! à droite.)
    Mais, enfin, nous n'en sommes pas encore là, el je ne sais pas si l'on en viendra là. Quelques-uns d'entre vous s'en croient assurés; d'autres ont la persuasion contraire. Je n'ai pas d'opinion là-dessus, car je ne suis pas prophète. (Bruit à gauche.)
    En attendant que cela vienne, ou si cela ne doit pas venir, messieurs, le Concordat subsistant, la neutralité absolue, je viens de vous le démontrer, est impossible.
    Au-dessous de cette neutralité absolue, on pourrait concevoir une sorte de neutralité relative.
    Cette neutralité partielle consisterait, de 1a part du Gouvernement, ,à dire à l'Église: Je suis bien obligé de reconnaître que vous existez, puisque je traite avec vous; mais je m'en tiens strictement au pacte et, en dehors des stipulations expresses écrites dans le pacte, je ne vous connais pas.
    Je ne crois pas que cette neutralité relative, limitée au contrat, soit jamais le programme effectif de la majorité telle qu'elle est aujourd'hui, puisque ce programme aurait les conséquences les plus inattendues, et en particulier cette conséquence d'amener l'abrogation des articles organiques. Or, je ne sache pas que vous soyez disposés à abroger ces articles organiques; bien au contraire, si vous pouviez en ajouter d'autres, vous n'y manqueriez pas,
    Quel est le caractère de ces articles ? Ce sont des dispositions législatives qui émanent de la puissance civile; elles sont à côté du Concordat, unilatérales et non pas synallagmatiques.
    Si désireux qu'on soit de leur conférer le maximum d'autorité qu'elles comportent, on ne saurait aller au delà de cette qualification d'acte législatif, unilatéral, purement civil ('Très bien! très bien! à droite), réglementant, chose assez étrange, des matières religieuses !
    Comment les matières religieuses sont­elles réglementées par l'acte législatif que nous appelons la loi de germinal an X ? C'est en dérogeant de la manière la plus absolue, la plus formelle, au principe de la neutralité. Eh quoi! elle serait neutre, cette loi de germinal qui ne se contente pas d'édicter des mesures d'ordre public pour l'exercice du culte, mais qui entre dans le détail de la discipline et quelquefois du dogme lui-même, qui décide, par exemple, quel devra être l'enseignement des séminaires sur la déclaration de 1682 ... qui témoigne d'une sollicitude singulière pour l'application des lois canoniques, pour la résidence des évêques et des curés, qui va jusqu'à réglementer les appellations honorifiques et le costume '?
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    Remarquez que je n'apprécie pas en ce moment les articles organiques: je les caractérise seulement en vous montrant que les dispositions de la loi de germinal an X sont la négation la plus formelle du principe de la neutralité, et que, par conséquent, s'il y a un système qui s'éloigne de la pratique et des aspirations du parti qui gouverne aujourd'hui  , c'est celui que j'indiquais en second lieu, après la neutralité absolue, celui de la neutralité relative, (Très bien, très bien! à droite.)

M. Millerand. Voilà un bon discours contre le budget des cultes!

M. d'Hulst. Si la neutralité relative n'est pas plus praticable que la neutralité absolue, qu'est-ce qui reste? Si l'on ne veut pas continuer à avoir la guerre, quelle ressource demeure à notre portée pour faire la paix?
    A gauche, Le divorce !
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    Il y aurait une dernière attitude à prendre pour avoir la paix en maintenant le concordat et en renonçant à la double chimère d'une neutralité absolue, incompatible avec le pacte, et d'une neutralité relative, incompatible avec la loi de germinal.
    Cette attitude, de la part du Gouvernement, de la part de l'État français, serait celle d'un libéralisme bienveillant qui n'implique en aucune façon l'abandon des droits de l'État, pas même un privilège proprement dit au profit de l'Église et des catholiques; car si le concordat stipule en leur faveur des dispositions qui peuvent sembler avoir un caractère de privilège, il ne faut pas oublier que, d'une part, ces dispositions sont le rachat, (Interruptions à gauche) des droits dont l'Église, en 1801, a renoncé à poursuivre la revendication, et que, d'autre part, des prérogatives régaliennes ont été conférées à l'État français, en particulier le droit de nommer les évêques, d'agréer la nomination des curés, celle des chanoines, des vicaires généraux.
    Par conséquent, s'ii y a privilège, il est bilatéral, il est partagé.
    Eh bien, ce que nous demandons en parlant d'une attitude caractérisée par ces mots: " libéralisme bienveillant ", ce n'est pas un privilège; c'est simplement une façon d'entendre les rapports de l'Église et de l'État qui soit propre à mettre la paix dans les consciences et dans le pays.
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    ......... pendant l'année 1892, dans le département que j'ai l'honneur de représenter, on a supprimé un certain nombre de traitements ecclésiastiques. ....
    Le prétexte ordinaire qui a été invoqué, c'est l'ingérence électorale du clergé et, d'une manière générale, son immixtion politique.
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    Messieurs, il n'existe nulle part un autre exemple d'une semblable pratique administrative ou judiciaire. Je ne sais pas si je dois me servir du mot "administratif" ou du mot "judiciaire": d'une part, il s'agit d'une pénalité qui semblerait appeler un jugement préalable; d'autre part, il n'y a pas de jugement: c'est donc alors de l'administration. Mais, dans l'un et l'autre cas, l'enquête, pour être équitable et pour donner une garantie au justiciable, devrait être contradictoire. (Très bien! très bien! à droite.)
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M. Charles Dupuy,ministre se l'instruction publique, des beaux-arts et des cultes. Messieurs, le discours de l'honorable M. d'Hulst contient un certain nombre de thèses sur lesquelles je n'insisterai pas. Il a fait preuve - et de sa part c'était tout naturel - d'une érudition concordataire à laquelle je ne saurais atteindre après six semaines de séjour au ministère des cultes. Il a apporté ici cette déclaration que les articles organiques ne font pas partie intégrante du pacte concordataire.
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    A son affirmation je réponds par une affirmation contraire, et peut-être se produira-t-il, avant la fin de cette discussion, telle circonstance où l'honorable M. d'Hulst sera bien aise qu'un ministre de la République invoque les articles organiques pour lesquels il est si sévère, (Rires approbatifs à gauche et au centre.)
    Si l'honorable préopinant a voulu montrer que dans la politique républicaine il n'avait aucune place et qu'il était particulièrement opposé à ce qu'on appelle l'opportunisme, je crois qu'il a complètement réussi. Il a voulu parler avec sérénité; je lui rends cette justice, là encore il a atteint son but.
    Mais il a touché un certain nombre de points sur lesquels le ministre des cultes doit à la Chambre des explications.
    M. d'Hulst s'est plu à dire qu'il y avait entre le gouvernement d'hier et le gouvernement d'aujourd'hui, dans la manière de traiter la question des cultes, des différences sur lesquelles il s'est peu expliqué, non plus que sur je ne sais quelles espérances.
    Il n y a aucune différence entre celui qui m'a précédé au ministère des cultes et moi, en ce qui concerne le respect de la loi.
    Qu'il s'agisse du Concordat, qui est un pacte bilatéral, ou qu'il s'agisse de la loi civile, M. Ricard et M. Dupuy sont entièrement solidaires, Le pouvoir civil a une autorité disciplinaire que j'exercerai pour ma part avec la plus grande aménité envers les personnes, mais aussi avec le plus strict souci de l'observation de la loi. Je l'ai déclaré lorsque j'ai reçu le personnel des cultes, je le répète encore ici à cette tribune : je ne suis l'homme d'aucune tracasserie, d'aucune vexation.
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    Je ne connais qu'une chose,  la loi de mon pays, et je la ferai observer tout entière. (Très bien! très bien! à gauche et au centre.)
    Si c'est à ce prix que la paix peut être faite entre l'État et l'Église, je crois   qu'elle se fera; mais l'Église n'aurait à s'en prendre qu'à elle-même du retard de la pacification dont on parle par la bouche de M. d'Hulst on par celle de ses autres représentants si elle émettait la prétention de traiter de puissance à puissance avec l'État, dont elle est simplement une subordonnée. (Protestations à droite. - Vifs applaudissements à gauche et sur divers bancs au centre.)
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Vous avez apporté à cette tribune, pour démontrer cet état de guerre dont vous ayez parlé, - c'est ainsi du moins, je crois, que vous l'avez défini, ­ qui existerait entre vous et la République, un certain nombre de faits sur lesquels, vous le comprendrez, je n'insisterai pas en ce moment, car ce que vous avez voulu faire en les apportant, c'est simplement souligner une thèse générale ...  relative, n'est-ce pas? à la suppression de certains traitements ecclésiastiques?
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    Quant à moi, représentant du pouvoir civil, faisant de l'administration des cultes une œuvre régulière et normale, ne cherchant pas à y introduire des distinctions et des difficultés particulières, la traitant on homme de bonne toi, en homme qui voudrait que tous les Français fussent d'accord, si c'était possible (Très bien!), je déclare que quand vous réclamez qu'on vous livre le nom des témoins ou qu'on mette les dossiers à votre disposition, vous demandez une chose absolument impossible. (Réclamations à droite.)
    Parfaitement, messieurs !
    Et laissez-moi vous le dire, monsieur d'Hulst, vous avez passé, avec une habileté de prétérition qui fait honneur à votre talent de logicien sur un fait grave pour des consciences catholiques - c est à vous que je m'adresse - lorsque vous avez dit que vous ne parieriez pas du refus collectif des sacrements.
    Je ne sais pas comment sont faits les électeurs que vous représentez., mais j'en connais dans le pays que j'al l'honneur de représenter qui seraient profondément troublés par ce refus collectif. Vous avez dit que c'était là une affaire de secret dans laquelle les pouvoirs civils n'avaient pas à Intervenir; mais nous avons le droit de nous défier et de nous dire que peut-être de tels refus annoncés à l'avance fermeraient la bouche à ceux qui veulent dire la vérité. (Applaudissements à gauche.)

M. d'Hulst. Je n'ai jamais entendu parler de refus annoncés à l'avance.

M. le ministre. D'ailleurs - et ici il faut s'expliquer d'une manière complète - vous entendez bien que je n'aurais pas assumé au nom de la République la charge périlleuse et difficile d'administrer les cultes en même temps que l'instruction publique si je n'avals pas eu le sentiment très haut de mon impartialité et une entière confiance dans la la. Ces enquêtes, en vérité, croyez-vous qu'elles ne lont pas faites ? Mais, monsieur d'Hulst, si jamais vous arrivez au ministère des cultes - ce que je ne souhaite pas au clergé - (Rires à gauche et au centre) ce jour-là vous verrez par l'énormité des dossiers, par la quantité des correspondances, à combien d informations on doit recourir pour arriver enfin à dégager la vérité dans de telles affaires. Les évêques sont questionnés, les curés sont questionnés, leurs dires sont enregistrés; cc n'est pas seulement la gendarmerie qui intervient: tout le monde est consulté; les intéressés eux­mêmes le sont, et quand nous concluons à la suppression du traitement, ce n'est qu'après des précautions infinies qu'on ne prend pas toujours peut-être à l'égard d'un pauvre fonctionnaire civil. (vifs applaudissements à gauche et au centre.)
    Il est regrettable évidemment de supprimer le traitement d'un homme qui remplit un service public,
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     Voulez-vous que je vous donne un chiffre ? De ce côté ( l'orateur désigne la gauche), ce chiffre va paraître insuffisant, de celui-ci (la droite) Il paraîtra énorme ! tant les passions humaines s'excitent sur ces questions. Mais moi qui les juge avec une impartialité sereine, je l'apporte tel que, sans commentaires.
    Depuis 1881, il y a eu suppression de 1.217 traitements ecclésiastiques.
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    Eh bien, on vérité, permettez-moi de vous le dire, dans l'ensemble de nos administrations civiles il y a en au moins autant de suspensions ou de suppressions de traitements pendant le même temps.
    Est-ce qu'il n'est pas pas naturel de rendre à toutes ces choses les proportions qui leur conviennent, de ne pas vouloir, sous prétexte de liberté, de "libéralisme bienveillant ", faire une caste à part du clergé français ?
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M. Hubbard. On a, à un certain moment, dans le parti républicain, considéré que la politique à suivre à l'égard de l'Église était celle de ce qu'on appelle le Concordat strict.
    Le Concordat strict, nous ne l'avons jamais vu appliquer. Il ne s'est pas rencontré un ministre qui, après des déclarations très fermes apportées à cette tribune au sujet du Concordat, ait eu le courage ou la puissance, de retour dans son cabinet, d'appliquer tous ces articles organiques qu'il défendait à la tribune.
    Nous avons toujours connu la politique de complaisance et de libéralisme bienveillant vis-à-vis de l'Église.
    Quant à nous, ce n'est pas la politique du Concordat strict, ce n'est pas la politique des suppressions de traitements, de l'ecclésiastique fonctionnaire, de la religion fonction de l'État que nous avons entendu servir jusqu'ici et que nous propageons dans ce pays.
   Nous sommes de ceux qui pensent qu'il faut déblayer le terrain politique de la question religieuse; qu'à un Concordat passé à un moment donné entre le chef de l'Église et le pouvoir impérial, pour ainsi dire au nom de l'ensemble de la conscience française, il faudrait substituer une sorte de concordat nouveau, c'est-à-dire une législation vraiment libérale, rédigée non pas dans un sentiment d'hostilité ni d'antagonisme entre les partisans des idées religieuses et les partisans des idées philosophiques, mais après un débat loyal, législation qui aurait pour objet do modifier la situation de l'Église et de la religion vis-à-vis de l'État.
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    Nous refusons de  passer à  la discussion du budget des cultes parce que, selon nous, la liquidation s'impose en ce qui concerne les biens du clergé et en ce qui concerne les droits de police de l'État. Il faut que vous en preniez votre parti: l'évolution de la démocratie moderne ne se fait plus dans le sens d'un accord entre l'Église et l'État s'appuyant l'un sur l'autre, se rendant des services réciproques; l'évolution de la démocratie moderne se fait vers la liberté de penser, la liberté de propagande de tous les cultes, la liberté de l'enseignement dans certaines limites et aussi la liberté de la propagande philosophique, j'irai presque jusqu'à dire la liberté de l'anathème au moment où dans un pays voisin on tend à faire revivre le délit d'insulte à l'égard de la divinité,
    C'est dans ce sens que la démocratie moderne veut évoluer. Elle ne veut pas que les curés puissent se targuer de persécution, d'autant plus que, quand vous supprimez leurs traitements ils sont bientôt largement compensés par les généreuses offrandes des fidèles.
    Nous désirons que le pays, la démocratie, aborde uniquement les questions qui sont du domaine humain, et relègue dans le domaine des choses divines tout ce qui touche à la religion; que la loi n'y fasse plus allusion, de façon que la religion ne soit plus, dans cette enceinte, l'objet de débats constants.
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Mais seuls 158 députés contre 372 voterons ce refus ......