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25 mai 1905
        * Dépôt par M. le ministre des colonies d'un projet de loi ayant pour objet d'étendre aux colonies et pays de protectorat autres que la Tunisie, les dispositions de la loi du 3 juillet 1877 sur les réquisitions militaires.

suite de la discussion du projet et des propositions de loi
concernant la séparation des Églises et de l'État.
(26° journée ; réduite et annotée)

M. le président : ... L'amendement de M. de Castelnau est ainsi libellé :
    "Reprendre pour le premier paragraphe de l'article 6, le premier texte de la commission, comme suit :
    "Faute pour un établissement ecclésiastique d'avoir dans le délai fixé par l'article 4, procédé aux attributions ci-dessus prescrites, il y sera pourvu par le tribunal civil du siège de l'établissement, et ce, conformément aux dispositions de cet article."

M. Grousseau : Messieurs, la discussion qui s'est engagée sur l'article 6 a déjà prouvé jusqu'à l'évidence que le changement de juridiction, c'est à dire la substitution du conseil d'État aux tribunaux judiciaires, n'a été qu'un prétexte pour modifier le sens que l'article 4 avait reçu dans le grand débat à la suite duquel il a été adopté.
    M. Cruppi, d'une part, M. Jaurès, d'autre part, dans des discours d'une extrême habileté, ont rapproché les distances. Ils ont essayé de réduire à un simple malentendu le plus grave des dissentiments. ...
    ...
    M. Cruppi en abordant ce qu'il a appelé "le côté essentiel du problème", s'est exprimé en ces termes : " La raison de décider, selon nous, la raison d'admettre ici la compétence administrative réside dans la nature même des biens dont il s'agit d'effectuer la dévolution. En effet, de quels biens, de quel patrimoine s'agit-il ? Lorsque nous parlons du patrimoine existant des fabriques, de ce qu'on a souvent désigné, au cours des discussions précédentes, par l'expression "biens des fabriques", il s'agit de biens collectifs, de biens corporatifs, de véritables fondations ayant, pourrait-on dire, la nature de biens du domaine public, ..." - veuillez remarquer les derniers mots de cette citation - " ... relevant, à ce titre, de la compétence administrative."
    Est-ce vrai ? Non, certainement non. cela est, au contraire, d'une inexactitude absolue.
    Je me demande comment M. Cruppi a pu oublier certain texte formel qui contient la réfutation de sa thèse. Tout doute disparaît en effet, à la simple lecture de l'article 80 du décret du 30 décembre 1809 sur les fabriques :
    "Toutes contestations relatives à la propriété des biens et toutes poursuites à fin de recouvrement des revenus seront portées devant les juges ordinaires."
...
    Je poursuit ma démonstration en parlant maintenant des arguments présentés par M. Caillaux et par M. Pelletan.
    L'un et l'autre nous ont fait d'intéressantes citations ; ce n'est pas la première fois qu'on les entendait à cette tribune. Turgot me paraît en ce moment fort en faveur (Sourires) ; seulement je ferai observer que Turgot devrait paraître bien démodé, car n'oubliez pas que la même plume avec laquelle il attaquait les fondations, il attaquait en même temps, de la même façon, avec les mêmes arguments, et les associations et les corporations. (Très bien ! très bien !)
    Monsieur Pelletan, vous nous avez cité une phrase que vous admiriez ; et je me suis permis, quand vous demandiez en quelque sorte à vos collègues à qui il fallait l'attribuer, de prononcer le nom de Chapelier. C'est qu'en effet Turgot a été reproduit par Chapelier dans un rapport qui est resté célèbre, le rapport qui a donné lieu à une des lois les plus odieuses qui aient jamais été faites dans aucun pays. C'est la loi du 14 juin 1791, loi qui décide qu'il ne peut y avoir d'association entre patrons et ouvriers, parce qu'il ne peut pas y avoir entre les divers patrons et entre les divers ouvriers le moindre intérêt commun. Tel est, en quelque sorte, l'exposé des motifs de la loi du 14 juin 1791. (Applaudissements à droite.)
    Quand on vient nous déclarer que la théorie de Turgot est toujours la théorie vraie, je dis que l'on retarde d'un siècle. La théorie révolutionnaire en vertu de laquelle il n'y aurait en présence l'intérêt particulier et que l'intérêt général, sans intérêt intermédiaire, cette théorie à fait faillite. (Très bien ! très bien ! à droite.)
    C'est l'honneur du Gouvernement et des Chambres d'avoir réprouvé cette erreur et d'avoir enfin fait voter la loi du 21 mars 1884 sur les syndicats et la loi du 1er juillet 1901. Je parle de sa première partie, celle qui concerne les associations. (Applaudissements à droite.)

M. Joseph Caillaux :  La droite applaudit la loi sur les associations.

M. Grousseau : Monsieur Caillaux, ne créez pas une équivoque qui ne serait pas digne de vous. La droite applaudit en effet le premier titre de la loi de 1901, mais elle réprouve le titre II, qui est un démenti donné au principe général du titre 1er. (Applaudissements à droite) ( Et ne parlons pas du titre III  concernant les congrégations religieuses qui y sont strictement réglementées)
    Nous applaudissons tout en regrettant qu'au moment où la France sortait de cette situation vraiment pénible où elle était, à l'arrière-ban des nations civilisées quant au droit d'association, elle n'ait pas fait cette loi libérale et plus large quant au patrimoine des associations. (Applaudissement à droite)
    ... Vous me permettrez donc, messieurs, de rappeler comment s'est exprimé M. Caillaux.
    Entre le tribunal civil et le conseil d'État, a-t-il dit, " il n'y a pas de liberté de choix. Toutes ces questions sont déterminées par les règles générales de notre droit. Au fond tout ce sur quoi roule la discussion, c'est le caractère des biens qui appartenaient hier aux fabriques et qui seront demain aux associations.
    " Deux théories sont en présence. La première consiste à alléguer ..." - c'est ce que nous faisons, nous - "... que les biens des établissements publics du culte appartiennent aux fidèles. La seconde théorie consiste à dire que les biens que les biens des établissement publics du culte appartiennent à quelques-unes des diverses collectivités qui sont groupées sur le sol national. Suivant que l'on admet l'une ou l'autre de ces deux thèses, il en découle toute une série de solutions auxquelles on ne peut échapper."
    Je suis absolument de cet avis. M. Caillaux ajoute :
    " Si vous acceptez la première ..." - celle que je soutiens - " ... si vous considérez que les biens appartiennent aux fidèles, alors, sans contestations possibles ils doivent être attribués aux églises qui représentent ces fidèles. Donc ce sont les associations formées sous l'égide de l'épiscopat qui les recueilleront et comme il s'agit dans cette hypothèse, étant donné la théorie, de biens privés, c'est le tribunal civil qui sera compétent.
    " Au reste ..." - écoutez bien cette déduction logique - " ... la question devient secondaire, les tribunaux civils devront se borner à entériner la décision des autorités ecclésiastiques, puisqu'elles ne peuvent les attribuer qu'aux associations formées sous l'égide de l'épiscopat.
    "Admettez-vous, au contraire, la seconde théorie ? Admettez-vous que les biens en question sont des biens de la collectivité? Alors ils appartiennent à l'État " Et vous voyez d'ici que l'État ne les attribue que par acte administratif, ce qui entraîne la compétence administrative.
    Jamais question n'a été mieux posée, mon cher collègue. Mais reste à savoir si c'est la première ou la deuxième de ces théories qui doit prévaloir. Pour mon compte, je n'ai pas une hésitation et je me prononce pour la première que je crois incontestable. Je m'excuse de m'exprimer avec une sorte d'absolutisme qui pourrait paraître peu respectueux des sentiments d'autrui  ; n'y voyez, messieurs, que le résultat de la conviction avec laquelle j'expose mes opinions à cette tribune. (Très bien ! très bien !)
...
    Ainsi le conflit est-il religieux, est-il politique ? Tel est l'examen que l'on parle de donner au conseil d'État ! Est-il véritablement sensé de songer à doter la juridiction administrative de la mission de juger le caractère politique des conflits qui pourraient s'élever dans chaque commune de France entre des associations cultuelles ? Oseriez-vous mettre cela dans la loi ? (Applaudissements à droite.) Et si vous ne l'y mettez pas, véritablement, pourquoi le mettez-vous dans les travaux préparatoires ? car nous sentons bien, aujourd'hui, ce qui se passe. On ne veut pas écrire dans la loi ce qui est le fond de la pensée de quelques uns ; mais on le lit dans des discours qui seront présentés plus tard aux juridictions compétentes, pour leur tracer une ligne de conduite et leur imposer des arrêts. (Applaudissements à droite.)
    Tout cela est bien dangereux. Prenez garde, messieurs. Il serait contraire au droit, contraire  au bon sens, contraire à l'intérêt du pays, contraire à la paix publique, de donner à une haute juridiction, qui doit statuer dans le calme et dans la majesté du droit, un attribution politique. (Vifs applaudissements à droite et sur divers bancs au centre.)
...
M. Georges Leygues : ... Pourquoi avons nous déposé l'amendement en discussion ? Pour deux raisons : l'une d'ordre juridique : nous avons voulu transférer à la juridiction administrative la connaissance des litiges qui pourront s'élever à l'occasion de la dévolution des biens et ne pas subordonner étroitement la justice française à la justice ecclésiastique ; l'autre d'ordre public : nous ne voulons pas attribuer à l'autorité ecclésiastique, en tout état de cause, un pouvoir discrétionnaire sur les biens des fabriques. Nous entendons respecter intégralement les prérogatives et l'autorité spirituelle de l'Église, mais nous ne croyons pas pouvoir reconnaître aux autorités diocésaines un pouvoir temporel sans limite.
...
    M. Ribot nous a reproché d'avoir changé d'opinion en nous unissant à des républicains radicaux-socialistes. Notre honorable collègue se trompe. En ce qui me concerne, je n'ai pas varié. Je défends aujourd'hui la thèse que j'ai défendue dans la séance du 21 avril. Je ne retire rien des déclarations que j'ai apportée à ce moment à la tribune. Je reste fidèle aux principes qui ont inspiré tous les amendements que j'ai signé et que je défendrai.
    Nous ne poursuivons qu'un but : réaliser une séparation claire et franche, exempte de toute équivoque ; assurer dans le régime nouveau  la liberté de conscience la plus complète, le respect de toutes les croyances, l'exercice loyal de tous les cultes. Or la liberté de conscience n'est qu'un leurre si elle est contrainte de se réfugier dans le for intérieur de l'individu, si elle ne peut pas se manifester publiquement. Il faut pour qu'elle soit une réalité, qu'elle se combine avec la liberté des cultes, qu'elle ait des lieux de réunion où les fidèles puissent se livrer en commun aux exercices religieux. (Très bien ! très bien !)
    C'est pour cela que mes amis et moi avons déposé une série d'amendements qui tendent à attribuer aux associations cultuelles la jouissance gratuite des édifices du culte pour de très longues périodes et à restituer le budget des cultes aux contribuables, afin de permettre à nos  communes rurales, après la séparation, de garder leur église et d'assurer l'exercice de leur culte.
    M. Ribot, en discutant l'amendement à l'article 6, a méconnu nos intentions et dénaturé notre pensée, lorsqu'il a prétendu que nous allions organiser l'insécurité des biens dévolus aux associations cultuelles.
    C'est exactement le contraire que nous cherchons. ... Les biens des catholiques affectés à des usages catholiques soit sous formez de fondations pieuses, soit pour des actes de dévotion, soit pour des messes à la mémoire des défunts, soit pour l'entretien des chapelles, doivent conserver leur affectation spéciale ; sous aucun prétexte, ils ne peuvent être détournés.  (Très bien ! très bien !) C'est là une question de loyauté et de probité élémentaire. Les biens régulièrement dévolus à des associations cultuelles contre lesquelles on n'a aucun grief à élever, dont tous les membres sont d'accord entre eux, qui se conforment à l'objet en vue duquel elles ont été constituées, ces biens-là nous déclarons qu'ils ne peuvent être contestés par une association nouvelle quelle qu'elle soit.
    Nous ne reconnaissons à personne le droit de déposséder ces associations de leur patrimoine.  (Mouvements à droite. -Très bien ! très bien !)
    Il est en effet de la plus haute importance, pour l'Église, pour la tranquillité de nos communes, pour la paix publique que les associations cultuelles jouissent paisiblement des biens régulièrement dévolus et que cette jouissance ne puisse être interrompue que dans des cas déterminés par la loi.
    ...
    L'association cultuelle qui se présentera pour recueillir les biens devra être constituée conformément à l'organisation du culte qu'elle se proposera de continuer. Rien de plus juste. Il tombe sous le sens qu'une association ne pourra revendiquer des biens donnés aux fabriques catholiques, pour assurer l'exercice d'un culte qui serait le culte protestant ou le culte israélite, ou même un culte prétendu catholique qui se trouverait en désaccord sur des questions fondamentales de dogme, de hiérarchie ou de discipline avec l'évêque.  (Très bien ! très bien !)
...
    Nous sommes tous d'accord pour défendre les prérogatives de l'Église, mais chaque fois que l'un de nous revendique, au nom de la société civile, qui représente les intérêts généraux de la nation, les garanties nécessaires sans lesquelles aucun État ne peut ni subsister, ni se développer, nous rencontrons d'inexplicables résistances. (Applaudissements à gauche.)
    Dès qu'on fait allusion à une intervention de l'État par ses représentants légaux, c'est un concert de protestations. S'agit-il de donner au préfet un droit, non pas de décision, mais de simple contrôle de surveillance sur l'administration des biens, d'enregistrement d'un acte quelconque : on s'indigne. Le préfet, le représentant du Gouvernement ! Comment ose-t-on parler du préfet ? Ce fonctionnaire est suspect. Mais l'évêque ne l'est pas. Il s'agit, en effet de reconnaître à l'évêque une autorité absolue, non pas seulement au spirituel, ce que je reconnaît pour ma part, mais au temporel, tout le monde approuve et il faut braver des colères pour formuler une simple réserve.  (Très bien ! très bien ! sur divers bancs à gauche.)
...
    Si quelqu'un propose de conférer aux tribunaux administratifs le soin de trancher des litiges qui touchent aux biens des associations, on s'écrie :" Les tribunaux administratifs ! y pensez-vous ! des juges qui vont obéir au pouvoir exécutif : tyrannie, intolérance, arbitraire gouvernemental !"  (Très bien ! très bien ! sur divers bancs à gauche.)
...
    mais quand on parle des tribunaux ecclésiastiques qui siègent à Rome, qui sont composés de cardinaux allemands, italiens, espagnols, dont je ne suspecte ni ne critique l'impartialité, mais qui sont étrangers, qui obéissent à des règles que nous ignorons, on élève aucune protestation et on nous dit : La décision de ces tribunaux sera juste et bonne, il faudra la respecter. (Très bien ! très bien !)
...
M. le rapporteur :... Je vous demande, messieurs, de vouloir bien vous soustraire à l'influence néfaste des polémiques passionnées et ne retenir de nos débats que les paroles qui y ont été réellement prononcées. Notamment quand il s'agit du rapporteur, je serais heureux qu'on ne substituât pas d'autres opinions à celles qu'il a exprimées lui-même. (Très bien ! très bien ! )
(Puis, il rappellera  ce qu'il a écrit dans son rapport, comment il a été rédigé, ce qu'il a fait et dit depuis le début des débats en tenant compte de l'avis de tous..)
...
    Ceux qui, dans dix ans, reliront cette discussion resteront stupéfaits que la Chambre s'y soit complue si longtemps, car ils constateront qu'elle était sans portée pratique et ne s'appliquait à aucun cas.
...
    Mes paroles vous étonnent ? Mais je suis convaincu que l'honorable M. Gayraud qui est un théologien distingué et l'honorable M. Lemire, qui connaît également ces questions, ne me démentiront pas si j'affirme à nouveau qu'en régime de séparation, le curé, le prêtre ne seront pas livrés sans défense à l'arbitraire de l'évêque.

M. Gayraud : Dans ces termes, votre proposition n'est pas répréhensible ... (Rires et applaudissements à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.) ...mais je ne signerais pas des deux mains toutes les propositions que M. le rapporteur vient d'émettre. La raison est ... que M. le rapporteur ne se rend peut-être pas bien compte de ce qu'est le fonctionnement de la hiérarchie ecclésiastique.

M. le rapporteur : Il me suffit que l'honorable M. Gayraud consente à les signer d'une main. (On rit.)
....
    Le prêtre avant le Concordat jouissait vis-à-vis de l'évêque de garanties que cette convention a fait disparaître et qui tiennent à la règle canonique, au vieux droit canon. Ai-je raison M. Gayraud ?

M. Gayraud : Parfaitement.

M. le rapporteur :  Ici, vous donnerez votre signature des deux mains. (Rires.)
    Le régime de séparation fera revivre cette règle. (Dénégation sur divers bancs.) Mais je vous demande pardon ; c'est certain.
...
    En réalité, messieurs, nous sommes tous d'accord pour vouloir à la fois que les associations qualifiées pour l'attribution des biens soient sérieuse et en mesure d'assurer l'exercice du culte qu'elles se proposent. Nous sommes également d'accord pour reconnaître aux juges la pleine indépendance pour l'appréciation de tous les éléments de droit et de tous les éléments de droit et de toutes les circonstances de fait qui pourraient être de nature à déterminer leur décision.
    C'est à dire que les articles 4 et 6 se compléteront l'un l'autre et se combineront ensemble....
    ....
    Et maintenant je supplie mes collègues et amis de gauche d'apporter plus de méthode et de discipline dans cette discussion. Elle est déjà difficile, elle sera rendue impossible si tous les amendements - ils sont plus de deux cents à l'heure actuelle, dont la moitié au moins déposés par des partisans de la séparation - sont maintenus. Messieurs, je me permets de dire à ceux qui ont voté le principe de la séparation : Si vous vous avez émis ce vote avec regret, vous seriez bien coupables maintenant, vous étant engagés, de ne pas aller jusqu'au bout. Faire échouer la réforme, à présent que le principe est voté, ce serait un crime contre la république (Vifs applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.), vous en porteriez la responsabilité. Vous n'ignorez pas qu'il y a deux moyens de faire échec à une réforme. Il y a celui qui consiste à voter nettement contre elle ; et puis il y a celui qui consiste, par voie de surenchères, à la rendre si difficile, si incohérente qu'elle devienne inapplicable.  (Très bien ! très bien !)
    Le législateur qui se livre à ce petit jeu assume vis-à-vis de son pays et vis-à-vis de sa conscience une responsabilité que je ne voudrais pas partager avec lui. Pour moi, qui ai pris mon rôle au sérieux, j'ai fait et je reste décidé à faire des efforts sincères et persistants pour m'acquitter de ma tâche.
    Mais si j'avais pu supposer que tous les éléments du parti républicain ne me prêteraient pas leur aide, leur concours, je n'aurais pas entrepris une si lourde tâche. (Applaudissements sur un grand nombre de bancs.) C'est une grosse partie, messieurs, que vous jouez ; vous êtes dans des conditions difficiles pour réaliser cette réforme puisqu'il vous faut nécessairement aller vite et que c'est déjà une mauvaise condition pour faire bien ; mais puisque vous vous êtes engagé dans cette voie, puisque vous avez marqué vous-même le but, puisque vous avez pris devant le pays républicain l'engagement de l'atteindre, vous n'avez plus le droit de défaillir en route ; vous avez encore moins le droit de multiplier les obstacles sous les pas de ceux qui veulent l'atteindre. (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche)
    En ce qui me concerne, je me déclare prêt à faire toutes les concessions nécessaires, celles bien entendu qui n'exigeront pas de capitulation de conscience de ma part ; mais je reste plus convaincu que jamais que la séparation doit être faite dans un esprit de libéralisme très net.
    Sur ce point, encore, messieurs, je me permet d'insister. Évidemment, quand on a lutté longtemps contre une vieille ennemie comme l'Église, quand on s'est pris corps à corps avec elle dans les moments les plus difficiles, les plus périlleux, les plus critiques, quand on s'est habitué à lui porter des coups et à en recevoir d'elle, on finit par éprouver une sorte d'affection pour elle et l'on se résous difficilement à s'en séparer. (Rires et applaudissements.)
...
    Il faut pourtant que vous vous y résigniez..
    Vous reprenez votre liberté ; il n'est que juste que vous laissiez à l'Église la sienne et que vous lui permettiez d'en jouir dans les limites où l'ordre public n'en sera pas menacé. C'est cela la séparation. Ceux qui vous disent qu'elle doit être une gifle sur la face de l'Église vous donnent un mauvais conseil et singulièrement dangereux.
    Pour moi, je n'ai jamais été disposé à le suivre....
    Messieurs, il y a parmi les catholiques deux éléments , il y a des catholiques surexcités, toujours prêts à la bataille, voulant toujours pousser les choses au pire, mais la grande masse n'est pas animé du même esprit. (Très bien ! très bien ! au centre.)
...
    Beaucoup de catholiques français désirent seulement n'être pas troublés dans leurs traditions, dans leurs habitudes, veulent garder la liberté, à l'abri de toute persécution possible, d'exprimer leurs sentiments religieux. Vous n'avez pas le droit de les brimer, d'inquiéter leur conscience ; ces catholiques ne sont pas forcément des ennemies de la République ; il en est qui votent pour des républicains et font ainsi l'appoint du succès dans beaucoup de circonscriptions républicaines. (Applaudissements sur divers bancs.) L'article 4 adopté dans les conditions que vous savez avait produit dans le pays une véritable détente.
...
    Il avait eu pour effet de rassurer ces consciences catholiques mais non cléricales et de les rendre inaccessibles aux excitations des réactionnaires. Beaucoup commençaient à se rallier à l'idée de la séparation. Ils l'envisageaient comme une chose possible et peu redoutable.
...
    C'est parce que je reste convaincu que l'adoption de l'article 6, après les commentaires qui en ont été faits, n'aura pas pour conséquence de compromettre l'heureux effet moral causé par le vote de l'article 4, que j'invite la Chambre à s'y rallier. Elle peut le faire sans se déjuger. Entre ces deux textes, il n'y a aucune contradiction. (Vifs applaudissements à l'extrême gauche, à gauche et sur divers bancs au centre.)
...
(Après d'autres débats)
M. Maurice Allard : Voilà deux jours que nous nous agitons dans une discussion qui, suivant l'expression très juste de M. le rapporteur lui-même, n'est qu'une querelle byzantine (On raconte que les Byzantins disputaient du sexe des anges alors que la ville était assiégée)
(Après d'autres débats)
...
M. le président : Je mets aux voix la proposition de renvoi à la commission de l'article 6.
(Proposition repoussée par 290 voix contre 281)
    Nous en revenons à l'amendement de M. de Castelnau. Je rappelle que M. de Castelnau propose, pour le premier paragraphe de cet article, le premier texte de la commission ainsi libellé :
    "Faute par un établissement ecclésiastique d'avoir, dans un délai fixé par l'article 4, procédé aux attributions ci-dessus prescrites, il y sera pourvu par le tribunal civil du siège de l'établissement, et ce, conformément aux dispositions de cet article."
...
    Il y a sur l'amendement ... une demande de scrutin public à la tribune.
    Conformément à l'article 85 du règlement, il va être procédé à l'appel des noms des noms des signataires de cette demande ...
    L'appel nominal commencera par la lettre C
...
    Le bureau me fait connaître que le scrutin est nul pour défaut de quorum.
...
    On me fait connaître, d'après le droit politique qui nous régit, [que] dans des cas semblables il s'est trouvé que, par un rappel au règlement ou par des observations des membres de l'Assemblée, le président a été amené à consulter le bureau pour savoir si la Chambre était réellement en nombre et si ce n'était pas l'abstention voulue d'un certain nombre de membres que le quorum n'avait pas été atteint à l'appel nominal.
    Les précédents, qui se trouvent consignés dans le traité que j'ai sous les yeux et que vous pouvez consulter, indiquent que, si le bureau est unanime à reconnaître que la Chambre est en nombre, le scrutin est valable. Je viens de consulter le bureau, qui a été unanime à déclarer que la Chambre est en nombre. Par conséquent, le scrutin est valable. (Applaudissements à gauche)

(L'amendement est repoussé par 162 voix contre 103 et la suite de la discussion est renvoyée à une séance ultérieure.)
 

©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
ISBN 2 - 9505795 -2 - 3