Les débats en morceaux choisis

                                                                                         Accueil
15 janvier

Monsieur Morel au nom de la commission des octrois déposera un rapport sur un projet de loi tendant à autoriser la ville d'Annecy à établir une surtaxe sur l'alcool et une taxe sur les vélocipèdes en remplacement des droits d'octroi partiellement supprimés sur les boissons hygiéniques. ( La dénomination de ''boisson hygiénique`` est, à l'époque, une catégorisation fiscale désignant les boissons dont le taux alcoolique est inférieur à 15 degrés.....)

Monsieur Renault-Morlière : ...la loi que nous commençons à discuter...est...une des plus importantes et des plus utiles...une de celles que l'opinion publique attend avec la plus légitime impatience... Le code civil n'a même pas daigner traiter la question des associations; le code pénal seul s'en occupe, et seulement pour interdire toutes celles qui comptent plus de vingt membres, à moins qu'elles n'obtiennent l'autorisation administrative, ...toujours révocable ; de sorte qu'elles dépendent du bon plaisir de l'administration. ....Cette législation est si mauvaise, qu'elle est à peu près inapplicable...Rien n'est plus triste...que cette confession officielle de l'impuissance des lois. Je me trompe : il y a quelque chose de pire encore, c'est l'application capricieuse et intermittente de ces mêmes lois. ...Si jusqu'ici on à pas pu réussir à faire une telle loi d'association, je crains bien que cela ne tienne à ce que, en France, comme un peu partout d'ailleurs, on en a quelque peine à se faire une notion juste, une notion exacte de la liberté.... ...La liberté, je ne cherche pas à la définir, je voudrais seulement qu'elle fût appliquée. La liberté est un beau mot qu'on invoque souvent...

M. Jourde : Mais qu'on n'applique pas !

M. Renault-Morlière ..La liberté, chacun la demande pour lui-même et pour ses amis et la réclame bruyamment; mais il semble plus difficile de l'accorder aux autres... ...Il suffit de se rapporter aux grandes discutions qui ont eu lieu à l'Assemblée nationale en 1872 et devant le Sénat en 1882 .... ...L'association, comme on l'a dit bien souvent, multiplie les énergies individuelles; c'est une force et, comme toutes les forces, elle est puissante pour le mal, en même temps que puissante pour le bien....
...Mais toutes les fois qu'une association sera fondée pour le triomphe d'une idée, , il est probable que l'idée qu'on cherche à faire prévaloir n'est pas conforme à celle qui existe; or si vous cherchez à changer l'ordre des choses établies, il pourra se trouver des tribunaux pour déclarer que vous portez atteinte à l'ordre public...Et même, par ces temps de conflits coloniaux. ..on ...pourrais ...voir là un danger pour nos relations extérieures... ...L'ordre public !...Je me reporte à l'exposé des motifs du projet de loi déposé par M. Waldeck-Rousseau , ministre de l'intérieur, en 1883 ; j'y cherche le sens qu'il attribue à ces mots... ''C'est ainsi que l'on devrait, par exemple, considérer comme illicites les associations ayant pour but d'organiser la résistance aux lois, l'insurrection contre les lois et les institutions républicaines; de provoquer à l'abolition du droit de propriété, de la famille, de la liberté de conscience, de la liberté individuelle...A ce moment ...M. Waldeck-Rousseau faisait partie d'un cabinet où il était collègue de M. Méline ...Dans le projet de 1900 , la phrase est tout entière, si ce n'est qu'on a supprimé ces mots ``l'abolition du droit à la propriété''.... ...''L'ordre public et les bonnes mours!... Il est inutile d'exposer combien ces expressions sont peu précises''... ...Vous nous proposez, sous prétexte de droit commun, un système qui n'est pas du tout l'application du droit commun; vous gênez la naissance des associations en les exposant à des interprétations qui peuvent, sinon les empêcher de naître, au moins les tuer quelques jours après leur naissance... ...Les rédacteurs du code civil...ont précisé des principes généraux en matière de contrats...Essayez donc d'appliquer au mariage les principes généraux; vous irez tout droit à l'union libre...Si vous appliquez cette règle en matière de mariage, M. le président du conseil présentera ...un projet de loi pour demander le divorce par consentement mutuel... ( Cette loi ne sera votée qu'en 1975. Son institution en France datait de 1792. Bonaparte, Premier Consul, était intervenu pour qu'il soit inscrit dans le code Civil. Le divorce fut aboli en 1816 pour n'être rétabli qu'en 1884.) On s'accorde...à reconnaître que l'association n'est que l'exercice d'un droit naturel primordial. Oui, il est permis à tout le monde de s'assembler, de se réunir pour le triomphe d'une idée commune. Mais de cette réunion naît un fait nouveau, une entité, un organisme, une force, ce que dans la langue du droit, on appelle un être moral, par opposition à l'être physique animé de la vie réelle...L'état a le droit de reconnaître ou de ne pas reconnaître l'être moral résultant de l'association. S'il ne le reconnaît pas, l'être moral n'a pas d'existence aux yeux de la loi; mais alors l'association elle-même n'existe pas, ce n'est pas, à proprement parler, une association, ce n'est qu'une agrégation, une juxtaposition de personnes et quelque fois d'intérêt...[ce principe] a déjà été consacré pour les syndicats professionnels par la loi de 1884 et pour les sociétés de secours mutuels par la loi de 1898...Pourquoi donc refuser aux autres associations le minimum de liberté accordé aux associations ouvrières .... Quant aux congrégations, c'est une autre affaire. On a soutenu que les congrégations ne sont pas en réalité des associations. On a rappelé qu'en vertu des voeux perpétuels prêtes par tous les congréganistes, l'homme est en quelque sorte annihilé.... ...Autrefois, sous la monarchie comme sous la révolution, la liberté d'association n'existait pas; il s'agissait donc de savoir non pas si on devait la donner aux congrégations, mais si on devait investir les congrégations d'un privilège. Aujourd'hui, par le fait que vous voulez établir la liberté d'association pour tout le monde, nous Ne sommes plus sur le même terrain de discussion. Il ne s'agit plus de savoir si on doit donner un privilège aux congrégations religieuses, il s'agit de savoir si on doit les priver du bénéfice du droit commun... ...Le seul danger qui résulte des congrégations...C'est le développement des biens de mainmorte ...Vous devez prendre des garanties contre toutes les associations en général;...en ce qui concerne les congrégations, l'accumulation perpétuelle de richesses est plus facile; il est par conséquent plus naturel de prendre à leur égard, des garanties exceptionnellement sures.... Il est certain que le concordat donne à l'Etat des droits et lui impose des devoirs particuliers; il me paraît inadmissible qu'un Etat tolère la création d'un clergé indépendant...en face d'un autre clergé qui, lui, a un caractère officiel, sur lequel l'Etat a des moyens d'action; il me paraît impossible de tolérer que, grâce à une pareille indépendance, le clergé régulier attaque les institutions républicaines, quelque fois même ne se soumette pas à l'autorité des évêques... ...[les congrégations] , vous ne les tuez pas, - vous vous épargnez cette peine, - mais vous les obligez à vous demander la permission de vivre et vous ne leur laissez pas le temps nécessaire pour obtenir cette autorisation... (Il y avait le clergé "séculier", fonctionnaire, et le clergé "régulier" qui ne dépendait pas de l'Etat et qui n'hésitait pas à oeuvrer contre lui)

à gauche: il y a des morts qu'il faut qu'on tue!

M. Renault-Morlière . : ...Dans un article...La commission vous demande de décider que tous ceux qui auront appartenu à une congrégation non autorisée seront privés du droit d'enseigner, sous peine de fermeture de l'établissement qui les a employés. ...[parmi ces dernières], il y en a qui ont traité avec l'état lui-même pour l'enseignement... Voici un instituteur qui aura enseigné au nom de l'Etat, et...vous le punissez en le rendant incapable d'enseigner pour toujours... ...Vous donnez un effet rétroactif à votre loi et vous lui donnez un effet rétroactif dans ce que la rétroactivité a de plus dangereux. ...Je sais bien que les congrégations ne vous semblent dignes d'aucune pitié, elles vous paraissent mériter au contraire tous les châtiments. Mais, prenez garde ! Quand on viole les principes en faveur des uns ou des autres, craignez que les principes ne se vengent ...Je me souviens...l'honorable M. Jaurès , que j'ai le regret de ne point voir...au moins sur ces bancs (rires au centre et à droite. - vifs applaudissements à l'extrême gauche.) ( Le nom de Jaurès suscitera des réactions identiques en 1981, quand M. Badinter, Ministre de la justice, défendit son projet de loi sur l'abolition de la peine de mort .).Oui, messieurs, et je suis très heureux des applaudissements qui saluent le nom de M. Jaurès , - et le regret que j'exprime est sincère, car je regrette toujours l'absence, même d'un adversaire, lorsque cet adversaire honorait comme lui l'Assemblée par son talent et son admirable éloquence. ...Autrefois, on a dit que les deux caractères d'une bonne loi sur les associations, c'était la liberté et l'égalité; résumant même ces deux mots dans une formule on a dit : il faut l'égalité dans la liberté. [vous auriez fait échouer un projet en 1882 en déclarant] "Vous donnez le maximum aux congrégations, et ce maximum vous en faites le minimum de la liberté laissée aux associations ordinaires.''...Pour les associations en général, ce n'est pas un minimum de liberté que vous leur donnez, c'est une apparence, une ombre, un semblant de liberté; pour les congrégations, ah ! vous leur donnez le maximum de persécution... Si vous faites cela... S'il y a une majorité pour le faire... Nous serons obligés de subir la volonté de la chambre; mais ce qui me choque...me révolte, c'est qu'on ait la prétention de faire de pareilles choses au nom du droit commun et des principes généraux du droit... Non...! Laissez de coté le droit commun, n'invoquez pas les principes généraux du droit! Vous les aviliriez en les faisant servir à un pareil usage... Il faut avoir le courage de son opinion. Si vous pensez...que la loi actuelle a du bon et qu'il importe de la maintenir pour la plus grande sécurité de l'Etat, ne proposez pas une loi nouvelle pour les associations en général. Si vous croyez qu'il est bon de fermer les couvents, d'expulser les religieux, de prendre leurs biens, soit ! Mais ces choses là ont un nom dans la langue du droit : cela s'appelle la proscription et la confiscation...

M. Dejante : C'est une restitution... [vifs échanges de propos dans les travées]

M. Renault-Morlière . .. Quand on a...écarté tout cet étalage de droit commun...écarté le voile sous lequel se cache la réalité des choses, le véritable caractère de votre ouvre législative apparaît. Est-ce même une ouvre législative? Non; c'est une oeuvre de haine...c'est une machine de guerre, c'est encore une loi de combat... ...Vous allez déchaîner dans ce pays une véritable guerre religieuse.

M. A. Zévaès : Ce sont les congrégations qui la déchaînent aujourd'hui.
 

M. Renault-Morlière . La guerre religieuse, je sais ce que c'est. J'ai fait campagne autrefois contre le cléricalisme...Lorsqu'un assaut furieux venait d'être livré à la société civile...nous avons pensé qu'il était indispensable de rappeler à ceux qui nous avaient si rudement attaqués qu'il y avait des lois, que leur existence n'était pas régulière...nous demandions la soumission de tous à la loi...à ce moment là [nous étions plusieurs à penser] qu'une loi, bonne ou mauvaise, doit toujours être appliquée, que la pire chose...c'est de laisser les lois s'abroger par la désuétude, qu'on avait toujours le droit et le devoir d'appliquer une loi sans la juger, qu'elle fût bonne ou mauvaise.... ...Voici le langage que tenait au sénat, dans la séance du 19 décembre 1886, M. Challemel-Lacour: ``Nous avons oublié que, même après le triomphe de la République, il y avait en France non seulement un parti qu'elle n'avait pas conquis, parti puissant dans tous les cas, redoutable quand il parle, plus redoutable encore quand il se tait, mais aussi des populations immenses, attachées à leurs habitudes, attachées à leurs traditions avec des croyances peut-être attiédies et assoupies sur certains points et dans quelques régions, mais sujettes à des réveils surprenants, vivaces encore presque partout et qui tiennent dans la vie intime, dans la vie de la famille, plus de place que la politique n'en tiendra jamais.'' (C'est ce sentiment qui a été manipulé par les cléricaux pour monter les manifestations contre les lois Savary en 1984) ...Vous croyez mieux réussir que nous, vous vous croyez plus habiles...parce que vous laissez de côté toute cette tradition de droit, de justice, de générosité...qui a fondé la république et qui la faite pendant de longues années grande et prospère...c'est une véritable loi de salut public...Je voudrais bien savoir quel est le gouvernement qui n'a jamais été sauvé par une loi de salut public. ...je voterai le passage à la discussion des articles parce qu'une loi sur les associations me paraît absolument nécessaire...je ne voterai pas celle-là.

M. René Viviani : ... Le gouvernement et la commission n'ont pas voulu fixer la même situation juridique aux congrégations et aux associations...Nous pourrions... répondre que nous ne sommes ici ni des philosophes ni des juristes chargés...d'écrire les principes d'où les lois découleront,...que nous sommes des hommes politiques chargés...de préserver de toute atteinte le patrimoine de la Révolution.... ...J'entends prouver qu'en prenant cette attitude, non seulement nous sommes les héritiers timides de la Révolution, mais encore les continuateurs de l'histoire... ...ces traditions françaises attestées par des siècles de combats où peu à peu l'esprit laïque s'est dérobé aux étreintes de la société religieuse....Est-ce qu'à travers le temps nous aurions rompu avec les traditions et l'histoire ? Est-ce que nous aurions déserté aujourd'hui la cause de la liberté ? ...Nous sommes en présence de cette Eglise catholique qui depuis un siècle sollicité, depuis cinquante ans envahie, depuis trente ans absorbée par les congrégations, fait maintenant cause commune avec elles, qui leur sert de rempart légal et officiel et qui ... bénéficiant de privilèges séculaires, devrait être beaucoup plus modeste dans la revendication de la liberté. Ou bien tout cela n'est - il qu'un jeu...que se rencontre une fois de plus ce conflit...où le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel se disputant des prérogatives souveraines, essayent...de garder jusqu'au bout la direction de l'humanité ? ...Quel doit être le droit commun en matière d'association? Quels devoirs engagent les associations éphémères et passagères vis-à-vis de cette association supérieure, antérieur à toutes, qui s'appelle l'Etat et qui représente les générations ? ...Comment ...se fait-il Qu'après un siècle à la fin duquel...la liberté a été versée à pleine main, où nous avons conquis la liberté de tribune, la liberté de la presse et la liberté de réunion, nous soyons encore à nous disputer sur la liberté d'association?....par l'association, l'homme substitue à la faiblesse qui vient de l'isolement la force qui vient de la concentration des efforts... Si en effet les associations étaient seulement le rendez-vous où les hommes se rencontrent pour rapprocher des intérêts particuliers, on ne comprendrait pas la longue défiance avec laquelle - qu'ils fussent monarchistes ou républicains - les gouvernements ont envisagé l'association. ...La vérité qui, sans la justifier, explique l'inquiétude des gouvernements, c'est que l'association est appelée à jouer un rôle social, qu'elle est crée pour se substituer dans certains offices de l'Etat et pour remplir à sa place certaines tâches dont la diversité même défie l'initiative de l'Etat. ...les gouvernements se sont dit que naturellement les associations seraient composés, que ces hommes auraient la tentation, s'étant substitués une fois à l'état, de s'y substituer toujours, de rivaliser avec lui, de le dépouiller peu à peu de ses prérogatives, de fractionner entre des millions de mains ces droits régaliens qui...doivent présider seulement en quelques mains...A l'association...nous donnerons la liberté en laissant aux mains de l'Etat certaines garanties sous forme d'un contrôle. Mais qu'est-ce donc que la liberté pure et simple ? La liberté ne doit pas être une velléité et un désir : elle doit être aux mains de l'homme une possibilité d'action. ...je dirais qu'à l'association nous devons donner ou du moins restituer la liberté, car la liberté d'association est un droit naturel...Je dirais qu'à l'Etat il faut laisser...le droit de savoir ce qui se passe dans l'association,...par les statuts que la déclaration lui apportera... Le gouvernement va plus loin en disant que l'association ne pourra pas être contre l'unité nationale. Qu'est-ce que l'unité nationale ? Où commence-t-elle et où finit-elle ? Le Gouvernement a-t-il voulu, par cet article, prévoir des tendances séparatistes qui, j'en suis bien convaincu, n'existent ni en France ni dans la plus lointaine de nos colonies ?...si ces tendances restent à l'état de tendances, c'est moins par l'action des lois que par l'action de nos mours qu'on peut réagir....le jour où ces tendances deviendraient des actes, le gouvernement serait armé par les lois existantes contre les individus.. . ( A la lumière de la décolonisation et des revendications régionalistes , ces propos prennent un relief particulier : si déjà à l'époque, on prétendait que ce n'était pas un problème, c'est qu'il existait déjà) A-t-il voulu prévoir la propagande de certaines idées que, économiquement ou moralement, le Gouvernement juge détestable ? Mais ou bien cette propagande se fera sous une forme philosophique et, si détestable que soit l'idée, il faudra légalement la laisser passer; ou bien cette propagande s'alimentera par des délits et des crimes. Je réponds que, là encore, les lois existantes gardent suffisamment le Gouvernement. ...Le gouvernement décide que toutes les associations formées entre français et étrangers devront être autorisées par la loi si elles ont leur siège et leur direction à l'étranger, et autorisées par le gouvernement si elles n'ont pas leur siège et leur direction à l'étranger. J'ai le droit de demander compte au gouvernement de cet article, de lui demander au nom de quel principe il a agi et au nom de quelle nécessité. Quel est le principe en matière d'association ? Toutes les fois qu'un groupement humain se présente et emprunte la forme juridique, le Gouvernement ne peut l'empêcher de se créer, car les hommes qui s'associent exercent un droit naturel. Je demande comment des français, parce qu'ils s'associeraient avec des étrangers, perdraient le caractère naturel de ce droit. .....on a un peut trop brodé sur le vieux fonds de 1830 et sur les idées libérales de 1840. A cette époque, les relations internationales entre les hommes, entre les peuples, apparaissaient comme suspectes. Il faut admettre ici comme ailleurs que le progrès a fait son oeuvre, que les principes, les théories, les idées voltigent au-dessus des frontières et deviennent d'un bout à l'autre du monde la propriété de tous les nobles esprits. ( Il faudra deux guerres mondiales et des millions de morts pour que cette prophétie prenne corps...)...[les congrégations sont différentes des associations]...même si juridiquement et philosophiquement, la congrégation pouvait se comparer à l'association, je dis que nous serions en droit de créer encore des dispositions spéciales... Nos pères ont entendu...à la tribune de la chambre des pairs [des voix] réclamant, non pas le droit commun, mais le privilège [pour les congrégations]... Il s'agissait de savoir si les articles 290 et 291 du code pénal, qui prévoient les associations laïques illicites, c'est à dire supérieur à vingt personnes, seraient applicables aux congrégations religieuses non autorisées. Et on a trouvé des avocats ingénieux qui...ont essayé de surprendre et d'émouvoir l'esprit public... ...Et si, sous l'ancien régime ou même après la révolution, la congrégation ressemblait à l'association, pourquoi les arrêts des parlements, pourquoi le décret de messidor an XII, pourquoi la loi de 1817, la loi de 1825, la loi de 1852 ? Est-ce que toutes ces lois spéciales, pour ou contre les congrégations...ne prouvent pas, que la congrégation était elle-même une matière spéciale ? ...Comment donc une congrégation se formait-elle dans l'ancien droit ? ...il fallait l'autorisation de l'évêque... l'assentiment des personnes intéressées,...l'autorisation du roi et...la consécration du parlement. Il semble qu'il suffise d'énoncer ces formalités pour montrer à travers quelles épreuves la congrégation devait passer et que, dans cette France d'autrefois dont on disait orgueilleusement qu'elle était fille aînée de l'église, les rois montraient une répugnance toute laïque vis-à-vis des congrégations. ...sous l'ancien régime...Je vais même jusqu'à reconnaître que l'association en elle-même n'existait pas et que lorsqu'on veut parler de groupements laïques différents des corporations ou des congrégations, on se sert du mot de ``communauté'' qui a un sens plus étroit ( L'idée d'association est une idée neuve en Europe !) Cependant [pour] la première association qui est apparue à la fin du dix-huitième siècle, l'association des agriculteurs de France...la seule autorisation du roi était suffisante... ( Donc, l'association est différente de la congrégation !) Messieurs, au moi de février 1790, la constituante a rendu un décret dont les premiers termes sont ainsi conçus :''La loi constitutionnelle du royaume ne reconnaîtra plus les voux monastiques solennels de personnes de l'un ou l'autre sexe; en conséquence, les ordres et congrégation réguliers dans lesquels on fait de pareils voux sont et demeurent supprimés en France, sans qu'il puisse en être établi de semblables à l'avenir.''... Et maintenant, comment la Constituante s'est - elle conduite vis-à-vis des associations ? Est-ce que les hommes de la Constituante, dont la majorité était composée de penseurs et de philosophes, seraient passés si près du grand problème des associations sans l'apercevoir ? C'est au mois de novembre 1790 que la Constituante s'en est préoccupée, et voici en quels termes est conçu son décret: ``L'assemblée nationale, après avoir entendu son comité des rapports, déclare que les citoyens ont le droit de s'assembler paisiblement et de former entièrement des sociétés libres à la charge d'observer les lois qui régissent tous les citoyens.'' La même assemblée qui avait aboli les congrégations fait éclore la liberté d'association... ... Et ce régime établi par la Constituante... s'est continué sous la Convention, sous le Directoire, sous le Consulat, pendant la première partie du premier empire, et il a été supprimé par le code pénal de 1810, par les funestes articles 290 et 291 que tout le monde dans cette chambre veut abroger. ... il existe entre la congrégation et les associations ce que j'appellerai... la nature des choses. L'association repose sur les statuts, c'est à dire le contrat ; la congrégation repose sur des voux, c'est à dire sur une théorie négative du contrat. [Les congrégations ne sont plus ce qu'elles étaient. Elles sont devenues une force politique et économique] ...

M. Paul de Cassagnac : Les voux ne regardent personne.

M. R. Viviani : ...Nous faisons porter notre approbation sur le projet de loi qui les autorise et sur les statuts et le cahier des charges qui y sont annexés... De sorte que nous allons être obligés de faire porter notre vote sur des voux que nous déclarons ne pas connaître. Messieurs, ou bien nous ne les connaissons pas, et alors n'approuvons rien, ou bien, si nous les approuvons, je demande à les connaître. ...Je ne dirai rien du vou de pauvreté et du vou de chasteté...sinon qu'ils ne m'apparaissent pas comme illicites; j'aimerais mieux dire qu'ils sont antisociaux que contraires à la loi...[et] procède d'avantage à l'immolation de [la] personne qu'à l'abdication de sa volonté. ...je considère que la présence du vou d'obéissance rend absolument impossible l'assimilation de droit qu'on veut faire entre l'association et la congrégation. Qu'est-ce qu'une association ? Qu'est-ce qu'une congrégation ? Une association est d'après nous, un groupement volontaire qui, prenant sa base sur le contrat, comporte par là même entre tous les associés la liberté et l'égalité. La congrégation est un groupement qui, prenant sa base sur un pacte d'obéissance, ne comporte entre ses adhérents ni liberté ni égalité. ( Il y a malheureusement des associations dont le fonctionnement peu démocratique les font ressembler à des congrégations... ) ...Qu'une association se crée, voilà que se présentent sur le seuil de la porte des centaines de personnes qui demandent à discuter les statuts, dans le tumulte qui est déjà la manifestation de la liberté; voilà que, par la force de l'élection, elles font surgir du milieu d'elles-mêmes celui qui sera le président ou le directeur; voilà qu'elles gardent le droit de discuter les statuts, de révoquer le directeur, de réclamer des comptes, le droit, dans l'abus nuisible de leurs libertés, de briser même l'association. ( L'association est une école de ``républicanisme") Qu'une congrégation se crée, est-ce que, s'il la demandait, la parole serait donnée au novice sur les voux ? Est-ce qu'il a le droit d'élire celui qui sera son supérieur ou son provincial ? A-t-il le droit essentiel, attaché à la personne de l'associé, de demander des comptes ? Peut-il briser l'unité de la congrégation ? ...Il n'y a pas la liberté religieuse et la liberté civile, il y a la liberté humaine que la loi réglemente. ...comment arrivez-vous à défendre le Concordat, cette oeuvre dont ...l'église ne veut plus ? ...Si puissante que soit la main de l'église, elle n'est pas assez large pour contenir toutes les libertés et tous les privilèges, et elle ne peut pas être ultramontaine pendant vingt-neuf jours et gallicane le jour où elle va recevoir son salaire. ...Mais à quoi donc a-t-elle servi cette révolution ? ...Comment se fait-il que nous voyions les couvents s'amonceler...leurs propriétés immobilières et mobilières sans cesse accrues... Il semble bien...qu'il y ait trois causes : une cause sociale, une cause morale, une cause politique. ...La société laïque n'a donné à la femme ni droits, ni protection; elle l'a volontairement écartée des grands problèmes, et de la société religieuse est venue qui a cueilli...cette pensée dans la solitude. (Le droit de vote ne sera accordé aux femmes françaises qu'en 1944. Elles voteront pour la première fois aux municipales du 29/04/1945. En 1990, un demi-Canton suisse leur refusait toujours ce droit .) ...Pour les hommes, il y a les conditions économiques de la vie, toujours si dure, si âpre; il y a la lutte pour l'existence, et l'on conçoit à merveille que, quelquefois, l'oubli du souci matériel, donné même en échange de la pensée, puisse apparaître au fond d'un couvent comme une séduction suprême. Il y a aussi une cause morale : c'est que la société laïque fait entendre un langage toujours moins séducteur que celui que fait entendre la société religieuse... Il y a aussi une grande cause politique. Jusque vers 1848, les libéraux ont combattu les congrégations. A cette époque, ils... ont vu s'opérer la jonction logique de l'Eglise et des congrégations , et, effrayés par l'apparition du socialisme, entre les intérêts de la société et ceux de la pensée, ils ont gardé les intérêts pour livrer la pensée. ...Mais à ces congrégations auxquelles on donnait l'autorisation refusée sous Louis-Philippe, il fallait accorder un aliment, une vie !...On a fait tomber entre leurs mains l'assistance publique, et par la trahison monstrueuse de la loi Falloux, on leur a remis la pensée moderne, le cerveau de l'enfant. .. .Il faut substituer à cette charité qui connaît les personnes, la solidarité qui embrasse sans les connaître tous les hommes. Il faut constituer un système d'assurance sociale et détourner vers ce foyer d'activité et de lumière tout ce qu'il y a dans la société laïque de force et de dévouement. ( Le régime général de la sécurité sociale n'a été institué qu'en 1945) Il faut reprendre l'enseignement et faire comprendre qu'on ne peut pas toujours être victime des mots et des formules. (De nos jours cela se nomme :langue de bois) ; que certainement la liberté de l'enseignement, si elle était possible, serait bonne, mais  qu'entre le monopole de fait crée par l'église et le monopole de la société civile  revenant à l'Etat, il n'y a pas à hésiter. ...Il semble ...qu'à mesure que la République a gagné en étendue, elle ait perdu de la hauteur; il semble qu'en devenant un fait, elle ait cessé d'être une croyance, et que, obligée de se baisser, ne fut - ce que pour saisir dans la réalité les rouages du pouvoir, elle ait laissé tomber près d'elle ce pouvoir supérieur à tous les autres pouvoirs qui s'appelle le prestige de l'idéal. ...si vous voulez la faire vaincre, cette République, il faut la redresser et l'ennoblir ! Ne craignez pas les batailles...et si vous trouvez en face de vous ...cette religion divine qui poétise la souffrance en lui promettant les épurations fourrures, opposez-lui la religion de l'humanité qui, elle aussi, poétise la souffrance, en lui offrant comme récompense le bonheur des générations. ( Plus tard, en d'autres lieux, on parlera des lendemains qui chantent. )
 

17 janvier 1901

* Adoption,...,de la proposition de loi de M. Raoul Bompard tendant à réprimer les fraudes par substitution de personnes dans les examens et concours publics ( C'est la raison pour laquelle on demande toujours une pièce d'identité en plus de la convocation .)

*M. Morinaud s'excuse de ne pouvoir assister à la séance de ce jour et demande un congé. M. Achille Fould demande une prolongation de congé. Les demandes seront renvoyées à la commission des congés.

* Adoption d'un projet et d'une proposition de loi relatif à l'institution de caisse régionales de crédit agricole mutuel en Algérie. M. Marchal : Au nom des colons algériens, nous remercions la Chambre.. ( Et les agriculteurs algériens...?)

M. Jacques Piou : Ce que veulent les socialistes...c'est arracher les consciences au pouvoir spirituel et conquérir la direction de l'humanité .. à gauche : Ce ne sont pas seulement les socialistes qui le veulent, ce sont tous les républicains...Que la loi soit une mesure de combat, personne ne le nie;...si elle édicte quelques règle générales, c'est pour avoir une occasion d'y greffer des mesures d'exception. ...La société actuelle, telle que vous l'avez conçue, ne repose-t-elle pas sur l'indépendance absolue des idées et des systèmes ? Ne le proclamez-vous pas vous-même ? Ne le répétez-vous pas tous les jours ? ...Si vous pouvez interdire l'action sociale et politique, vous voilà érigés en juge des doctrines, des opinions et mesurant vos faveurs aux dangers qu'elles peuvent vous créer ! ... La liberté pour tous, soit ! Mais la liberté pour tous les ordres religieux comme pour la franc-maçonnerie et pour l'union socialiste ! ...Le jour où vint en discussion l'article de la Constitution de 1793 relatif à la liberté du culte, le plus brilla des orateurs de la Gironde, qui en était aussi le plus sceptique Vergniaud, monta à la tribune ; veuillez l'écouter : ``On comprend que l'Assemblée constituante ait proclamé la tolérance ; mais aujourd'hui l'homme est libre dans sa pensée et dans son culte, libre de se tourner vers l'Orient ou vers l'Occident pour saluer la divinité. Vous ne pouvez la consacrer par un article sans laisser soupçonner que sans lui cette liberté n'existerait pas'' [Danton qui l'enverra quelques jours plus tard à l'échafaud, déclara] ``Je félicite Vergniaud d'avoir proclamé de grandes et d'éternelles vérités''... Ces hommes, hélas ! ne s'appartenaient pas; à peine descendus de la tribune, le torrent les emportait ; et, après avoir jeté un grand cri en l'honneur de la liberté, ils rentraient dans la lutte avec plus de colère, plus de violence que jamais ! Leurs actes alors désavouaient leurs paroles. Mais la vérité qu'ils ont proclamée dans un grand élan de clairvoyance et de justice survit à leurs erreurs, à leurs erreurs, à leurs contradictions, à leurs crimes même.... ( Une certaine droite de 1989 n'a eu ni ce même raisonnement ni les réactions vis à vis de la célébration du bicentenaire de la Révolution française.) ..[pour la rédaction et la signature du Concordat ] Napoléon... n'a pas remporté sur ses ennemis de victoire plus difficile que celle qu'il a gagné sur ses amis libres-penseurs, animés de toutes les passions de la Révolution... Dites-moi donc quelles associations civiles ont pu, comme les congrégations religieuses, naître et grandir ! Les associations politiques ! Je les vois à toutes les époques en police correctionnelle : sous la restauration, les amis de la presse ! sous Louis-Philippe, les accusé d'avril ! sous l'Empire, les treize !... Pour vous, République et Révolution signifient:'' Souveraineté absolue de la raison et puissance indéfinie de la science.''....que la loi sur les associations sera la victoire de la Réforme, de la philosophie et de la Révolution...

M. Léon Bourgeois : En disant que le cléricalisme devait être combattu, j'ai exprimé une vérité d'ordre politique, à savoir que l'Etat ne peut en aucun cas être mis au service de l'Eglise pour exercer son action sur la conscience individuelle...En disant que l'esprit de la Révolution l'exige, j'ai entendu dire que l'esprit de la révolution était celui-ci : qu'en aucune circonstance, ni l'Etat, ni une puissance publique quelle qu'elle soit, ni par conséquent l'Eglise, puissance internationale, ne peuvent se servir de l'autorité publique pour pénétrer dans la conscience individuelle. ....

M. J. Piou ... La loi, quand elle n'est pas la protection de tous les droits, quand elle n'est pas la sauvegarde de toutes les libertés, se retourne contre son propre principe. Elle devient une forme odieuse de l'arbitraire. Et quand cet arbitraire s'exerce sur les consciences, il devient une des formes les plus odieuses de la persécution. ...[M. Jonnart a écrit] "A la défense de la pensée libre, tous les enfants de Voltaire sont nécessaires, fussent-ils les héritiers de Babeuf .''... C'est vous, monsieur le président du Conseil, qui avez dit un jour...''La République fermée, c'est la tyrannie passagère et la négation de son principe. La république ouverte, c'est la liberté avec toutes ses conséquences :la controverse des partis nouveaux et des écoles diverses.''

M. Trouillot , rapporteur de la commission des lois: ...Je dois me borner à indiquer les lignes générales et la pensée dominante qui a inspiré le projet de loi, à dire comment nous avons voulu fonder dans ce pays la liberté d'association, sans enlever à la société civile des garanties dont elle ne s'est jamais désarmée vis-à-vis des congrégations religieuses ; comment nous avons voulu rendre possibles, par des règles précises, et la dispersion des biens acquis en violation des lois, des actes de rébellion et des fraudes nouvelles; comment enfin nous avons à faire profiter de cette oeuvre de protection politique les idées de solidarité sociale. ...Notre projet garantit à tout citoyens la liberté de fonder une association par la seule déclaration et abroge les textes restrictifs du code pénal et de la loi de 1834 . Il impose aux congrégations religieuses, par une disposition qui n'est pas autre chose que la reproduction des lois les plus anciennes de ce pays, la nécessité d'obtenir comme condition nécessaire d'existence l'autorisation de la loi. Il respecte les droits acquis, et maintient la situation de toutes les congrégations qui vivent aujourd'hui en vertu d'une autorisation régulière. Enfin, l'Etat devra reprendre, comme bien vacants, aux termes de l'article 713 du code civil, tous les biens que les congrégations de toute nature auraient acquis au mépris de la loi, et ces biens, une fois liquidés, serviront de fond de dotation à une caisse de retraites pour les vieux travailleurs des villes et des campagnes. ( Ce n'est qu'en 1910 qu'elles seront crées. ) ... ...sur le premier point, en ce qui concerne la liberté d'association, ...j'ai la bonne fortune de ne pas rencontrer d'adversaires. ... C'est surabondamment que je dirai à quel point il est nécessaire, dans le pays qui, il y a plus de 100 ans, a proclamé le droit à l'association, de l'assurer enfin aux citoyens de la République française. ...la force des choses a arraché au législateur, toutes les fois qu'il s'agit de ces intérêts pour lesquels l'interdiction de l'union dans l'effort rendrait la vie sociale impossible, des concessions importantes. Article 1832 du code civil , articles 18 et suivants du code de commerce, loi du 21 mars 1884 sur les syndicats professionnels, loi du 21 juin 1885 sur les associations syndicales, loi du 22 mars 1890 sur les syndicats de communes, loi du 6 novembre 1894 sur les sociétés de crédit agricole, loi du 1er avril 1898 sur les sociétés de secours mutuels, loi du 9 avril 1898 sur les chambres de commerce, tous ces textes autorisent les plus nombreux groupements d'activités et d'efforts . De telle sorte que la situation faite actuellement au droit d'association, dans le pays de la révolution française, peut-être ainsi défini : Voulez-vous poursuivre par l'association un gain, un profit matériel, vous arriverez peut-être à la fortune ; mais si vous essayez de poursuivre par le même moyen une pensée plus haute et absolument désintéressée, vous ne rencontrerez que la police correctionnelle, le déshonneur et la prison. ...nous avons jugé que cette situation était intolérable, que cette réforme réalisée dans le plus grand nombre des Etats européens, - j'énumère l'Espagne, l'Allemagne, l'Autriche, l'Angleterre, la Belgique, la Suède, le Danemark, la Suisse, les Etats Unis,- ne pouvait plus être ajournée en France. ...c'est dans ces conditions que nous demandons à la chambre de donner une solution au grave problème qui, depuis trente ans, a fatigué dans le Parlement tant de bonnes volontés et de généreux efforts. ...le parti conservateur est demeuré hostile à la liberté d'association tant que les congrégations religieuses ont monopolisé le privilège et ...il en n'est devenu partisan que le jour où ce privilège a été menacé. [devant les vives protestations de la droite, il dira aussi]...Pour vous, il n'y a de liberté que lorsque vous avez la liberté d'oppression. ....Si des protestations pareilles s'élèvent lorsqu'on exprime des idées différentes des vôtres, n'est-ce pas la discussion même de toutes les idées qui devient impossible ? ...Mais si ces idées qui sont les nôtres, qui sont celles de notre parti, qui sont nos convictions profondes heurtent vos consciences, voulez-vous pour cela nous obliger à les taire ? et de quel droit auriez-vous alors de nous imposer les vôtres ?... La Révolution a ouvert les couvents, comme elle ouvrait les Bastilles. ..... ....pour la violer ou la tourner [ la loi], l'imagination congréganiste a su varier ses formules : sociétés civiles, sociétés commerciales, interpositions de personnes, rentes, usufruits, hypothèques, testaments ;cet ensemble forme un réseau inextricable qui rend impossibles toutes les investigations des intéressés et du fisc. (Les congrégations héritaient beaucoup ! - Il y avait un regain de ferveur religieuse que l'on attisait par la peur de la Commune de Paris. C'est en expiation de ce ``péché'' que l'on avait construit le Sacré-Cour en haut de la butte Montmartre, là où elle avait éclaté...) ...Ce qui est sûr c'est que notre démocratie est en présence d'un danger à la fois impossible à mesurer et difficile à conjurer. ( A cause de la puissance de l'argent) ...le nombre des collèges des Jésuites, qui était de 16 en 1870, est de 29 en 1900, après trente années d'existence du régime républicain. Et ce n'est pas le clergé paroissial qui prend cette importance ; c'est uniquement, là encore, le clergé congréganiste qui supplante son action sur tous les terrains. ... ...Tout nous montre que le développement, l'enrichissement des congrégations religieuses est une cause d'indigence matérielle et intellectuelle pour les ministres de l'Eglise. ...il serait impossible à une Chambre française d'entendre sans inquiétude et sans émotion ce qui s'enseigne aujourd'hui dans les séminaires de France et d'apprendre à quel point la doctrine jésuite, la doctrine condamnée par les papes, par l'église elle - même a fini par pénétrer [très vives protestations à droite] ...toutes les fois que vous êtes les plus forts, votre conscience vous oblige à opprimer ceux qui ne pensent pas comme vous...C'est seulement lorsque vous êtes les plus faibles, lorsque vous êtes impuissants à imposer votre doctrine que vous consentez à la liberté. ( Monsieur le Rapporteur lira à la tribune des écrits congréganistes qui vaudront ceux des intégristes de toutes religions un siècle plus tard. Il citera longuement des pays qui ont suivi une politique menée par des ultra-religieux et de leur décadence qui en suivit.) ...tous ces peuples perdus à la suite de la même politique ! Est-ce leur sort qui vous fait envie ? Parlez franchement; voilà assez des holocaustes , sur un autel qui ne sauve plus personne! . ( Depuis 1945, ce mot a hélas pris un autre sens) [En parlant des biens saisis aux congrégations, comme l'on déjà fait la papauté et la monarchie]...Que proposons-nous de faire ? ...nous nous proposons de les affecter à une oeuvre d'une haute portée sociale...nous remplaçons la charité par la solidarité. La solidarité qui met un droit là où la charité ne met qu'une aumône.
 

21 janvier 1901

M. Léo Melliet dépose, au nom de la commission de l'hygiène publique, un rapport sur la proposition de loi de M. Muteau tendant à obliger les fabricants de conserves alimentaires à mentionner d'une façon apparente la date de la fabrication. . ( Il faudra attendre 1981 pour que la date soit écrite en clair )

M. le comte Albert de Mun :[répond] aux deux accusations par lesquelles on cherche à justifier les mesures proposées contre les congrégations : le péril économique qui résulte...de la nature de leurs propriétés...et le péril politique qui naît de leur existence même et de l'enseignement que certaines d'entre elles donnent à la jeunesse. ...le nom et l'idée de la mainmorte congréganiste...éveille toutes les terreurs, tous les spectres de l'ancien régime, les biens des moines, le serf incapable de tester, la propriété ecclésiastique s'étendant comme une main stérile sur la moitié du territoire.... M. le président du conseil...a résumé ce péril dans un chiffre fameux qui, tombé de sa bouche, a fait le tour du pays, de l'opinion, de la presse et qui est aujourd'hui passé dans la langue de la politique générale : le milliard des congrégations. ...[comment ce chiffre a-t-il été obtenu ?] ...il est indigne d'un grand service public, parce qu'il est établi de telle sorte qu'il ne laisse aucune possibilité de contrôle et qu'une enquête qui ne peut pas être contrôlée est une enquête sans autorité... Quand il s'agit de faire une enquête administrative, tranchons le mot, une enquête politique, on peut, sans de très graves inconvénients, majorer un peu les chiffres : il ne s'ensuit que de polémiques et des discutions. Mais quand il s'agit de la base de l'impôt, il en va autrement : les contribuables lésés ont des recours devant la justice, devant les tribunaux administratifs ou judiciaires.... Ainsi, l'administration financière et l'administration préfectorale seront juges du droit de propriété, dans un pays qui a fait la Révolution pour soustraire les citoyens à l'arbitraire du pouvoir administratif ! (La droite commence à trouver des vertus à la Révolution.) [Il démontrera ensuite que le fameux milliard est loin de faire cette somme et que les congrégations sont très utiles à la nation] ...Paul Bert part pour le Tonkin en répétant la parole du maître : l'anticléricalisme n'est pas un article d'exportation,... et il me fait l'honneur de me demandant d'aller voir le supérieur des missions étrangères pour l'assurer de sa sympathie et lui dire qu'il compte sur son concours...le pape [écrit] que si les missionnaires français venaient à disparaître ils seraient remplacés par des missionnaires étrangers. ...[ou par] des commerçants ?...ils sont là pour exploiter des intérêts et non pour conquérir des cours.... ...Est-ce que vous trouverez beaucoup de monde pour aller à Villepinte soigner les pauvres filles qui tombent frappées par la tuberculose sur le champ de bataille du travail parisien ? ( Il eut mieux valu oeuvrer pour de meilleures conditions de travail !!!.) [suit une liste de tous les établissements accueillant malades vieillards et orphelins...qui ne sont pas à la charge de l'Etat] ...Cette révolution est votre berceau; et depuis ce jour, vous n'avez plus devant vous des congrégations, vous n'avez que des citoyens comme les autres, pourvus de tous les droits des autres citoyens...qui sont prêt à respecter la loi commune de tous les citoyens, mais qui ne veulent pas que vous leur imposiez une loi d'exception. ...Il en est quelques-uns qui...prétendent enseigner la jeunesse et trouvent en France beaucoup de familles prêtes à leur confier leurs enfants....toute la question de la liberté de l'enseignement va naître avec celle des associations. ...M. Thiers...répondait:'' Le catholicisme n'empêche de penser que ceux qui n'étaient pas fait pour penser'' . ( Paroles graves!!! faut-il une éducation à plusieurs vitesses ? ne doit-on pas aider les élèves en difficulté ? Y a-t-il une classe dirigeante et l'autre obéissante ? C'est la justification des paroles de Jean Macé donnant pour objectif à l'école laïque de faire penser ceux qui ne pensent pas, de faire agir ceux qui n'agissent pas, de faire des hommes et des citoyens.) ...Mais en notre temps plus qu'en aucun autre, la question économique et la question sociale sont au fond de toute la politique; il n'est pas indifférent...de savoir...quelles doctrines, quels principes vont demain inspirer les instituteurs publics, former les citoyens, préparer les législateurs, les fonctionnaires et les hommes d'Etat; comment...ils devront comprendre le droit de propriété, et si la suppression de la propriété privée et la socialisation des moyens de production feront ou non partie de la doctrine d'Etat... L'Université de France est partagée entre une foule de systèmes, d'opinions et de croyances....Cette variété, me dites-vous, c'est l'honneur de l'Université, le gage de sa sincérité, la marque de son indépendance...en matière d'éducation, de formation des idées, ce n'est pas la variété qu'il faut demander à l'enseignement, mais la précision.....Comment pouvez-vous parler de deux jeunesses rivales ? ( L'une formée à la diversité des idées et l'autre pas, c'est à dire formée au dogme !) ... Vous voulez nous proscrire parce que vous croyez que nous cachons dans notre enseignement des menaces de réaction ? Mais ce ne sont ni les partis ni les prétendants qui renversent les gouvernements, Ce sont les idées qui font explosion sous le choc des événements, et les idées, ce sont presque toujours les générations que les gouvernements ont eux-mêmes formées qui s'en emparent et les tournent contre eux. (L'illustration de ces propos est ce qui se passera en 1989 dans ce qui sera convenu de nommer les pays de l'Est) ...Voici que l'anticléricalisme est redevenu le grand moyen de gouvernement...et la loi d'association, devenue bonne à tout, sert tour à tour à faire voter le budget des cultes et à ajourner l'impôt sur le revenu, surtout à tenir groupée cette précieuse phalange que troublent inconsidérément les gêneurs du dehors, avec leur doctrine révolutionnaire et leur intransigeance dogmatique.

M. Waldeck-Rousseau : ...Une loi sur les associations est le point inévitable de rencontre où doivent venir se heurter deux doctrines qui, depuis longtemps, se disputent l'empire du monde et le gouvernement des Etats, celle de la suprématie de la société civile, celle de la prééminence du pouvoir religieux. ...Les mots dont on s'est servi le plus souvent : "liberté d'association'', m'ont paru, tout en contenant une vérité, répondre cependant à une terminologie un peu trop vague. Quand on dit: ``liberté de penser, liberté d'écrire'', on emploie des termes à la foi exacts et suffisants, car chacune de ces libertés, pour se manifester, n'a besoin que d'un acte individuel et ne suppose pas un accord intervenu entre plusieurs. Que si au contraire nous parlons de la liberté d'association, le mot est juste en ce sens qu'il n'est pas plus permis de contraindre quelqu'un à l'association que de la lui interdire. mais s'il veut mettre ce droit en oeuvre, il faut qu'il s'adresse à d'autres citoyens; il faut qu'il jette avec ces personnes les bases d'une entente, qu'il forme , en un mot, un contrat. C'est pourquoi l'article 1er du projet défini l'association : une convention qui intervient entre deux ou plusieurs personnes dans un but déterminé. ...Mais où sont les congrégations religieuses dans le projet de loi que nous vous demandons de voter? A quels signes vont-elles se reconnaître ?Diront-elles : mais vous frappez les associations contraires aux lois; nous sommes donc frappées ?... ...[et citant Charlemagne] "Est-ce avoir renoncé au monde...que d'augmenter tous les jours ses biens par tous les moyens, licites ou illicites, en promettant le paradis ou en menaçant de l'enfer ?...'' ... Il faut aller jusqu'à dire que les collectivités religieuses ne seront pas soumises à l'Etat. Voilà la thèse. J'ai déjà montré à quel point elle est inadmissible dans une société comme la notre où précisément la société civile est affirmée par tous. ...le clergé catholique pas plus que le culte catholique n'ont rien à redouter d'un régime démocratique...parce que si, à certaines époques, le catholicisme a proscrit le libre examen, je n'imagine pas la liberté de penser proscrivant la liberté de croire et on ne me trouvera pas coupable de fanatisme à rebours. [Paul Bert est l'auteur d'un rapport sur la séparation des églises et de l'Etat]...Mais conclure de ce que les ordres monastiques ont pu rendre des services qu'il ne doit plus y avoir pour eux de freins, ni de contrôle, c'est toujours retomber dans cette erreur de doctrine qu'un Etat moderne ne pourra jamais admettre. [M. W. R. . dira ensuite que l'oeuvre de la Révolution est si forte que les efforts de ceux qui rêvent d'une quelconque restauration sont vains]
 

22 janvier 1901

M. Ribot : [défend les congrégations]...cela est vrai, le Concordat n'avait rien stipulé quant aux congrégations, l'église catholique n'avait pas demandé leur rétablissement; mais, depuis cent ans, il s'est produit dans ce pays des changements considérables; il s'est produit d'abord ce fait que la liberté a été répandu à flots et est devenue le patrimoine de tous... Ce qui à ruiné dans l'opinion les couvents de l'ancienne France, ce qui fait qu'au moment où ils ont été supprimés l'opinion publique presque tout entière a applaudi à leur suppression et que l'initiative est venue quelquefois des évêques eux-mêmes et des membres des congrégations, c'est que ces congrégations possédaient tout autre chose que des hôpitaux, des ouvroirs et des écoles...Elles possédaient une partie considérable du territoire; elles en tiraient des revenus...dont une forte partie allait aux abbés commanditaires...qui ne résidaient jamais dans l'abbaye. Voilà la mainmorte , qui a provoqué dans le pays une réprobation et un soulèvement général. ...Je ne tiens pas le langage d'un clérical en parlant ainsi, mais celui d'un homme qui a la conscience de l'idée de la liberté moderne et, de la dignité du Gouvernement de son pays. [parlant de la caisse de retraite]...Etrange solidarité...qui consiste à donner aux uns les dépouilles des autres. ...Au surplus, il paraît dans cette discussion qu'on vise moins les congrégations religieuses que la liberté de l'enseignement. ...Vous parlez d'unité de doctrine; est-ce que le rôle de l'Etat, dans la société moderne est de choisir entre la doctrine de M. de Mun et celle de M. Viviani , de condamner l'une et d'imposer l'autre comme si le pays tout entier ne s'élèverait pas contre une pareille prétention et une semblable tyrannie! La liberté pour tous, et la confiance de chacun dans les convictions qui l'honorent, voilà ce qui remplace l'unité de doctrine....Nous ne confondons pas...l'unité nationale, qui est faite dans notre pays, et l'unité de doctrine dont nous ne voulons pas. ...Nous pensions que toutes ces luttes sur la liberté de l'enseignement étaient finies; nous pensions que tous les hommes qui ont quelque largeur dans l'esprit avaient reconnu l'inanité des efforts tentés pour établir l'unité morale par des moyens coercitifs...Je les lui rappelle [les paroles du président du conseil] ``Pendant que nous nous épuisons dans nos discordes, une Europe nouvelle grandit autour de nous. Il n'est que temps d'y songer. Chaque heure, chaque minute qui s'écoule, c'est un peu de la grandeur et de la prééminence de la France qui s'en va'' ...

M. Henri Brisson : [citant les journaux catholiques de l'époque] '' que ses oeuvres de presse ont pour objet de combattre la Révolution'' Tous ces comités innombrables n'ont pas d'autres objets; on enrôle le clergé séculier, on crée une véritable administration. A la place de la préfecture, de la sous-préfecture, de la mairie, de la justice de paix, on crée une autre préfecture, une autre sous-préfecture, une autre mairie, une autre justice de paix. On institue une police si minutieuse, si détaillée, qu'elle a pour instruction non pas seulement dans chaque commune de faire à la congrégation un rapport sur la vie générale de la commune, mais sur la vie individuelle de chacun de ses habitants. On emploie à cette propagande jusqu'à des enfants; et dans quelles conditions.... ( Une vraie maffia, quoi !)

M. Paul Lerolle : ...De quelle démocratie parlez-vous ? Que la franc-maçonnerie les fasse ces oeuvres, nul ne l'en empêche ! Depuis cent ans, elle a eu le champ libre. Où sont les fruits de la sollicitude pour les malheureux ? Montrez-nous les oeuvres nombreuses qu'elle a suscitées ? Nous ne pouvions vraiment pas l'attendre si longtemps et notre démocratie catholique, mêlant l'obole du travailleur et l'or du riche, s'est habituée depuis longtemps à secourir le pauvre... [la question se posera si la franc-maçonnerie peut-être assimilée à une congrégation , si elle est une arme anticongrégationniste, son contre pouvoir ] ...Et on entend que nous sommes, nous, les ennemis de la liberté, alors que nous réclamons simplement le droit commun pour nos idées, ne voulant le refuser à personne, même à ceux qui nous attaquent en ce moment !...Est-ce que nous ne  pouvions pas, à travers la diversité même de nos pensées, faire cette union patriotique nécessaire dans la justice, dans la liberté et dans le respect mutuel de nos droits ?.. . ( La droite devenait républicaine en trouvant des vertus à la république; Le pape Léon XIII demandait au catholique français d'accepter la république; une certaine peur doit y être pour .beaucoup. Craignant pour sa liberté elle en vient à demander la protection des idées de la Révolution)

M. Louis Puech : Messieurs, voilà trois jours que dure la discussion générale...mais , dans cette question du droit d'association, il me semble qu'on a très peu parlé du droit lui - même. L'ombre des congrégations religieuses s'est projetée sur l'ensemble de la discussion et semble l'avoir presque complètement éclipsé. Cependant, messieurs, à côté des 200 000 congréganistes dont quelques-uns seulement, d'ailleurs, sont intéressés par la loi qu'on nous propose, puisque les congrégations autorisées, de beaucoup les plus nombreuses, se trouvent à l'abri du projet, il y a 36 millions de Français...qui ont bien le droit de savoir dans quelles conditions ils pourront s'associer à l'avenir....C'est pour eux, messieurs, qu'ont été faits et présentés ces nombreux projets sur le droit d'association, qui s'élèvent à plus de trente, c'est pour eux, c'est pour la liberté d'association en elle-même surtout, que je voudrais très modestement dire quelques mots...vous avez déjà entendu [que] les associations se divisent...en deux catégories. Il y , d'une part, celles qui ont un but particulièrement économique, qui se rapportent à...la spéculation, au lucre, qui ont pour objet un achat, une vente, un louage, une exploitation industrielle ou commerciale quelconque, dans le but de réaliser des bénéfices et de se les partager. Il y a d'autre part, les associations de la nature de celles dont il s'agit aujourd'hui, qui consistent, suivant les termes mêmes du projet qui vous est soumis, dans la mise en commun par plusieurs personnes de leur intelligence, de leur activité, dans un but d'ordre plutôt moral, en tout cas dans un but autre que celui de se partager des bénéfices. ... En effet, le droit d'association, même ainsi restreint, même ainsi limité, intéresse tous les ressorts, toutes les manifestations de la vie individuelle et de la vie sociale. En fait, ce droit s'impose comme une sorte de nécessité dans toutes les directions de l'activité humaine. Malgré les lois draconiennes dont a été si longtemps l'objet, l'association a toujours existé. Continuellement elle s'est fait jour à travers les mailles les plus serrées, avec une force et une persévérance qu'aucune tyrannie n'a jamais pu réduire. Le droit d'association est comme le droit de parler et d'écrire : de sa nature il est incoercible. ...En France où le droit d'association n'est guère apparu que dans les rares et rapides instants où la république et la liberté ont fait la conquête du pouvoir... Mais ce qu'il y a de particulièrement remarquable dans notre pays, c'est que tous les pouvoirs de réaction, quel qu'aie été leur masque, ont eu pour principal souci, pour principale préoccupation, de limiter, de mutiler le droit d'association...de telle sorte que le jour où un gouvernement quelconque - serait - ce le gouvernement de la République - porterait, sous un prétexte quelconque, atteinte à ce droit sacré, on pourrait dire hardiment...et sans crainte de se tromper, que c'est la réaction qui commence. Aussi, n'oublions pas qu'aujourd'hui il s'agit moins de faire une loi que de la faire bonne. N'oublions pas que les lois du genre de celle-ci, des lois sur la liberté de parler, d'écrire, de s'associer, sont des lois qui caractérisent un régime et qui, suivant la façon dont elles sont conçues et votées, lui donnent la force d'un rayonnement nécessaire pour vivre et pour prospérer ou, au contraire, le frappent de la tare qui, d'un jour à l'autre, peut mettre son existence en péril. N'oublions pas que la République ...,sous peine de mentir à ses origines,..se doit...de faire, non pas une loi de circonstance, non pas une loi qui porterait l'empreinte de je ne sais quelle haine,...mais une loi rationnelle, une loi qui soit strictement conforme à la doctrine constante du parti républicain. ...Personne ne conteste plus aujourd'hui que dans une démocratie l'autorité n'est plus le droit propre du souverain; l'autorité est d'institution humaine, et le droit populaire implique à sa base le droit individuel. C'est l'individu qui fixe et détermine les attributions du pouvoir.... Le droit d'association... doit d'autant mieux faire partie du patrimoine imprescriptible de l'individu qu'au point de vue social il présente une portée considérable. On l'a souvent dit, le droit d'association multiplie et prolonge l'énergie de l'homme et l'effort humain, d'une part en lui permettant de réaliser dans l'ordre philosophique, dans l'ordre moral, des oeuvres considérables, des oeuvres merveilleuses, d'autre part en affranchissant ces oeuvres de la précarité dont les aurait autrement frappées la brièveté de notre existence individuelle. Le droit d'association ? Mais c'est le complément indispensable et nécessaire de toutes nos libertés ! La liberté de la presse ? Elle est l'apanage de quelques privilégiés ! Elle peut même devenir entre leurs mains un redoutable instrument d'oppression et de déviation morale. Quant à la liberté de réunion, elle ne correspond qu'à un accord de sentiments momentanés, éphémère; elle n'a d'application réellement pratique que dans les grands centres, dans les grandes villes; enfin, elle est à la discrétion...d'un groupe de turbulents et d'obstructionnistes. ... Seul le droit d'association appartient à tous; seul, il offre à l'activité de tous une féconde, libre et facile carrière. Comment, messieurs, mais le droit d'association est encore plus nécessaire dans un pays comme le nôtre que dans beaucoup d'autres, ou il existe cependant déjà sans restriction et sans lisière. Le droit d'association seul, en plaçant entre l'individu, d'une part, et l'Etat, d'autre part, une force collective, peut nous donner de véritables garanties contre cette centralisation à outrance qui corrompt chez nous l'exercice de la plupart de nos libertés et qui érige peu à peu le caprice et l'arbitraire en système de gouvernement. ... Ah ! messieurs, nous avons des lois admirables, dans les codes, comme drapeau, comme pavillon. Nous avons des déclarations de droits, dont certains articles semblent résumer dans des formules lapidaires la sagesse même des nations : mais quelle impuissante barrière, d'une part contre les convoitises ardentes des partis politiques; d'autre part, contre les entreprises d'un pouvoir qui serait sans scrupule ! Seules, des associations libres et puissantes, des associations de toute nature, de toute opinion de tout ordre, s'étendant et rayonnant sur toute la surface du territoire peuvent, suivant les cas, soit contenir dans de justes limites, soit au contraire appuyer et soutenir cette force à la foi si menaçante et si fragile qu'est le pouvoir dans notre pays, ravagé par tant de révolutions. Telle est bien...la véritable doctrine du parti républicain, la doctrine qui résulte de toutes nos constitutions républicaines: de celle de 1790, de celle de 1848 et...de tous les projets qui ont été déposés sur le bureau des Chambres mêmes aux dates les plus récentes par les véritables chefs des groupes les plus avancés de cette Chambre. ... au-dessus de tout, comme dominant la matière elle-même, on place le droit d'association, pris en lui-même, dans ses éléments essentiels, pris dans son expression pratique la plus restreinte, le droit qui consiste simplement dans la faculté pour un certain nombre de citoyens français, vivant la vie ordinaire, de se réunir périodiquement, certains jours, à certaines heures pour y mettre en commun leurs vues, leurs tendances, leurs fantaisies, et même si bon leur semble, leurs erreurs; le tout bien entendu, indépendamment de toutes questions de responsabilité civile et d'acquisition ou de possession de biens. Ce premier principe est absolu...c'est un droit primordial; la loi ne peut l'enlever à aucun citoyen sans commettre une véritable usurpation. [ Le problème des étrangers se pose ] Il n'est pas en effet indispensable, pour s'associer d'admettre des étrangers....L'étranger en France ne jouit pas des même franchises et des même garanties que le citoyen français. ..pour une association dont les membres vivent en commun. La loi aussi doit intervenir...parce que l'existence en commun, la cohabitation...n'est pas indispensable au droit d'association. ... Elle doit intervenir à plus forte raison dès qu'il s'agit pour un groupement de demander la personnalité civile ou d'acquérir, de conserver, surtout d'accumuler des biens. Mais dans quelle mesure la loi doit-elle intervenir?...Doit-elle intervenir pour supprimer le droit de s'associer lui-même ? Non, mais simplement pour porter des dispositions spéciales qui paralysent en quelque sorte les effets nocifs que pourraient avoir les caractères spéciaux...qui viennent altérer...le droit primitif. .... Le droit commun...ne consiste pas à disperser ceux qui se réunissent en vertu d'un droit qui est inhérent à la personne humaine, qui est un droit naturel. ... M. le président du conseil vous dit...qu'on devra considérer comme illicites ``les associations ayant pour but d'organiser la résistance aux lois, l'insurrection contre les lois et les institutions républicaines, de provoquer à l'abolition de la famille , à la liberté de conscience et à la liberté individuelle.'' Il y avait dans un précédent projet ''...et aussi aux principes de la propriété individuelle''. Vous trouvez que c'est le droit commun ? Vous ne sentez pas que c'est là une arme entre les mains du pouvoir, lui permettant d'agir avec l'arbitraire le plus absolu, une arme avec laquelle on frappera à droite ou à gauche, suivant le cas. ( C'est ce qui arrivera entre les deux guerres...) ...[M. Floquet disait] "La liberté d'association est de droit naturel; le pouvoir qui y porte atteinte sort de son rôle et commet une usurpation". [quant à M. Goblet ]'' le droit d'association est en lui-même au-dessus de tout., intangible''. Quand on arrive au droit de posséder, c'est autre chose, on rentre dans le domaine de la loi civile....ce n'est peut-être pas pour cela que M. Floquet et que M. René Goblet ni ceux qui sont fidèles à leurs doctrines sont du coup devenus réactionnaires et cléricaux. Au fait, il faudrait un peu s'expliquer sur ces accusations de cléricalisme et d'anticléricalisme et sur la façon dont on les comprend. [citant un ancien texte de 1883 de M. Henry Maret] '' Il y a également deux sortes d'anticléricalisme. Il y a l'anticléricalisme de M. Paul Bert et de ses amis que je qualifierai simplement de décoratif, destiné à détourner l'attention des masses des problèmes politiques et sociaux. C'est article est facile à suivre. Il couvre le clergé d'injures, mais il le garde et le paye; il serait si embarrassé s'il ne l'avait pas comme tête de turc! Il s'entendrait merveilleusement bien avec lui si le clergé voulait obéir. ``Puis il y a un autre anticléricalisme. Il y a l'anticléricalisme des hommes qui ne veulent pas d'un clergé dominateur et qui repoussent les papes, aussi bien ceux du catholicisme que ceux de l'athéisme. Cet anticléricalisme ne se contente pas de phrases creuses, il vote la séparation des Eglises et de l'Etat et l'abolition du Concordat ...Il ne se reconnaît pas le droit de priver les catholiques de leur liberté, mais il a soin que cette liberté n'empiète jamais sur celle des autres. Il ne croit pas que le bonheur de l'espèce humaine sera obtenu le jour où cette espèce partagera les opinions philosophiques de M. Bert. Il pense qu'il y a d'autres problèmes à résoudre et que le dernier mot de la politique n'est pas le renvoi de six capucins qui, d'ailleurs, rentrent par la porte de derrière.'' .... Mais enfin, messieurs, que peuvent bien nous faire à nous qui sommes ici pour appliquer les principes du droit moderne sous les inspirations de la liberté...les actes et les écrits d'hommes comme saint Louis ou comme Napoléon 1er qui sont, peut-être, ceux qui ont incarné avec la plus brutale violence le principe d'autorité ? ...Belle tradition, en effet, pour le socialisme! Est-ce là maintenant que nous allons chercher nos arguments et nos directions ? ...La liberté...n'a pas pour mesure les mesquines questions du jour. Une loi qui voudrait la limiter arbitrairement sans avoir égard à la nature des choses, sans tenir comte du progrès incessant des mours, serait une loi autocratique, régressive, antirépublicaine: l'homme moderne doit être maître souverain de sa vie privée, de ses sympathies, de ses fréquentations, de ses mouvements. ... Le rôle de l'Etat n'est pas d'imposer ses vues particulières à qui que ce soit. La mission de l'Etat est une mission plus haute, que les discussions perpétuellement irritantes, qui semblent définitivement s'emparer de cette enceinte, nous font trop souvent oublier. (N'oublions pas que cette chambre ne fonctionne que depuis à peine trente ans.) Il ferait mieux, l'Etat, de s'occuper de ces millions d'épaves humaines que chaque jour, les courants contraires des intérêts économiques plongent à tous les bas-fonds ou jettent à tous les rivages. ... Les hommes de 1793 trouvent une excuse dans les circonstances et les conditions tragiques qui dominent leur époque. Mais nous, à qui le peuple ne demande, avec la paix et la tranquillité qui lui sont indispensables pour travailler, que la diminution des charges iniques qui lui rendent le travail si ingrat et si lourd, où trouverons-nous notre excuse pour être sortis des principes qui ont fait jusqu'ici l'honneur, la gloire et la force de la République. ...
 

24 janvier 1901

Dépôt, par M. le ministre des travaux publics, de deux projets de loi ayant pour objet de déclarer d'utilité publique l'établissement des chemins de fer d'intérêt local de Vendresse à Poix, d'Attigny à Baalons et d'Aumale à Enverneu.

Dépôt, par M. Antide Boyer , d'un projet de résolution tendant à la révision des lois constitutionnelles dans le but d'établir le système du référendum populaire en France.

Dépôt, par M. Antide Boyer, d'une proposition de loi ayant pour objet la réduction du service militaire, l'encouragement à l'instruction milicienne et à l'égalité sous les drapeaux. ( Il était de 3 ans et passera à 2 en 1905.)

Adoption de projets de loi autorisant une quinzaine de villes à percevoir une surtaxe sur l'alcool à leur octroi ( Poissy, Privas, Paimboeuf, Hazebrouck....)

Communication du gouvernement

M. Waldeck-Rousseau : Messieurs, en annonçant à la Chambre l'événement qui vient de clore un règne associé à l'histoire presque entière d'un règne, le Gouvernement tient à apporter son tribut à l'hommage de respect que le monde rend à la mémoire de la Reine Victoria; et, mesurant la douleur de la nation anglaise à la quelle avait vouée sa souveraine, il s'incline avec respect devant le deuil qui l'atteint. ("L'entente cordiale'' allait pouvoir commencer. ....) .. .....

M. Chauvière : Messieurs, pardonnez-moi si j'interromps un instant la série des beaux et grands discours que nous avons écoutés avec le plus grand profit pour demander à la commission de bien préciser le sens, à notre avis ambigu, de certains passage du projet qui nous est soumis. Le rapport pose...deux questions...: doit-on abroger en ce qui concerne l'ensemble des citoyens les textes restrictifs de notre droit d'association ? Doit-on excepter du droit général les congrégations religieuses ? ... En ce qui concerne la première question, je ne crois pas qu'il se trouve dans cette Assemblée une majorité qui ne réponde affirmativement. ..... ...pendant que les autres nations adoptaient une législation plus libérale que la nôtre, ( même en 1999, la France est souvent en retard sur d'autres pays européens, sur le vote des émigrés, la vie commun de couples non mariés, quel que soit le sexe, par exemple...) nous avons laissé se développer, ....,d'une façon inquiétante, alarmante, les congrégations religieuses, sans avoir jamais apporté comme contrepoids nécessaire, indispensable de leur développement, la liberté d'association pour les autres citoyens. Si ceux-ci ont formé des unions politiques, philosophiques, économiques ou morales, elles ont toujours été menacées par l es articles 290, 291 et suivants du code pénal et par la loi de 1834 ; et si ces unions avaient débordé au-delà des frontières dans l'intérêt réciproque du travail, pour la paix générale et pour le renom de la France républicaine qui portait aux premiers jours de la Révolution l'appel de la fraternité universelle dans les plis de son drapeau, la loi sur l'Internationale surgit qui non seulement envoie dans les prisons ceux qui l'enfreignent, mais encore qui les prive à jamais de leurs droits civiques. Est-ce à cette situation que la commission a voulu porter remède ? A-t-elle voulu empêcher que les persécutions dont, plus que tous les autres partis, avaient été l'objet non les congrégations, mais des républicains et des socialistes, aient un terme et une fin? Nous croyons qu'elle l'a voulu; mais, à notre avis, le texte qu'elle propose contient des sous-entendus possibles, des fissures qui feront qu'à certains moments, selon le ministère qui sera au pouvoir, on pourra, par exemple, en vertu de cette loi, poursuivre les socialistes eux-mêmes.[ le communisme et le collectivisme sont des spectres qui étouffent toute velléité comme les humbles pharmacies municipales de Roubaix ] Pesez chaque mot de la loi, tirez-en les conséquences, placez-vous au point de vue même de gouvernement à tendances réactionnaires comme ceux que nous avons quelquefois subis..... Nous croyons à la bonté de l'association, nous croyons nécessaire qu'on nous l'accorde à tous, nous savons que dans les organisations que nous formerons, qui n'ont en vue que l'émancipation ouvrière, l'association nous servira admirablement..... ...

M. Lasies : [tiendra de longs propos antisémites avant qu'un député alsacien de confession juive lui demande de modérer ses propos] ( Je me suis refusé à rapporter ces propos : la haine , l'intolérance et le mépris n'ont pas besoin de modèles. L'antisémitisme était la caractéristique de cet élu du peuple ...) ...M. Viviani a déclaré que cette loi n'était qu'une escarmouche; il a dit que c'était le premier pas, que cette loi avait surtout pour but d'arriver à une autre loi, celle qu'on appelle la loi scolaire. [ comme il continuera d'attaquer les religions que ne sont pas la sienne]

M. Maurice Sibille : Monsieur Lasies, vous venez d'attaquer les protestants. Permettez-moi de vous faire une observation. Il y a des omissions dans votre discours. Vous paraissez oublier qu'en 1870, on a vu à l'oeuvre quelques-uns uns de ces hommes présentés par vous comme amis de l'étranger. C'était le général Chabaud-Latour, l'organisateur de la défense de Paris; c'était sur les bords de la Loire, l'amiral Jauréguiberry, qui, à côté de Chanzy, défendait pied à pied, avec des armées improvisées, nos provinces envahies; c'était, dans l'Est, le colonel Denfert-Rochereau, qui nous conservait Belfort... Flétrissez, si vous l'osez, ces serviteurs de la patrie française. Quant à moi, j'ai été un des combattants de 1870, et j'ai vu catholiques, protestants, juifs, libres penseurs rivaliser d'ardeur, de courage et de dévouement. ( Nous entendrons malheureusement ces mêmes arguments face à ces mêmes racismes après chacune des deux guerres mondiales) ..Non! dans notre pays de France, tous sans distinction d'opinions politiques, nous avons pour la patrie le même attachement, le même amour. Le patriotisme, sachez-le bien, monsieur, n'est le privilège de personne. Le patriotisme ? Mais il anime tous les cours français, toutes les âmes français. (Aujourd'hui, en 1999, il faut encore reprendre ces mêmes mots pour dénoncer l'exclusive que se réserve certain parti politique quand il parle de patriotisme. L'histoire bégaie sinistrement.)

M. de Gailhard-Bancel : ...C'est...le trente-troisième projet de loi sur les associations qui est présenté depuis trente ans . ( Vous pouvez en prendre connaissance dans le chapitre des dates . Le projet de la commission était si différent du projet gouvernemental qu'il fut considéré comme un trente quatrième projet.) [La diatribe sur les congrégations repartira de plus belle] ....Nous luttons pour des idées non contre des collègues...

M. Jacques Drake : [reproche que l'urgence ait été votée pour l'examen de cette loi]...Permettez-moi de vous rappeler...que...vous avez voté l'urgence sur une loi qui pouvait peut-être votée en une seule délibération : c'est la loi d'amnistie; mais elle a été faite de telle manière que les tribunaux ne peuvent même pas l'appliquer.... J'ajoute que la commission elle-même aurait dû au moins attendre pour demander l'urgence. Comment! nous avons vu dans les journaux d'hier et de ce matin qu'elle a encore modifié son texte et admis certains amendements. Mais. Mais quel sens a-t-elle donné à ces amendements. Comment les a-t-elle rédigés de nouveau? Nous n'en savons rien. Et c'est sur des textes qui ne sont même pas distribués, pour lesquels nous n'avons aucun document, que nous allons voter l'urgence ! [elle sera votée par 361 voix contre 179; le passage à la discussion des articles sera, lui, voté par 411 voix contre 95 ]

Le président : [donne lecture de l'article 1er] `L'association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices. Elle est régie quant à sa validité par les principes généraux du droit applicables aux contrats et obligations.'' Il y a sur cet article, en premier lieu le contre projet de M. Gayraud...

M. Gayraud : ( Qui était abbé .) Le contre projet... repose sur deux idées fondamentales: la première est celle de la liberté complète de s'associer reconnue à tous les citoyens; la seconde, celle de l'égalité pour tous les citoyens dans la liberté de constituer des associations. ... ...d'après [ l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme sur la liberté qui n'a de borne que celle des autres] et la liberté de la presse et la liberté de conscience, je ne vois pas pourquoi on n'en ferait pas une application semblable à la liberté d'association. ... Une autre conséquence de ce principe, c'est que je repousse la nécessité d'une déclaration préalable qui serait obligatoire pour toutes les associations.... Pour que l'association possède la personnalité juridique, je requiers la déclaration préalable, mais je me contente de cette déclaration. Je n'admets pas.... [qu'] il soit nécessaire de faire intervenir l'autorité publique....Et c'est pourquoi je repousse complètement l'obligation de l'autorisation préalable, tant pour les associations entre français et étrangers et celle dont le siège et la direction sont à l'étranger, que pour les associations dont les membres vivent en commun....C'est presque une moquerie de dire à des citoyens : vous êtes libres de vous associer à condition que vous demandiez d'abord l'autorisation de le faire.... [Vous pensez qu'en demandant aux congrégations non autorisées de la demander vous parviendrez à les faire disparaître, vous vous trompez, elles continueront d'exister] Ce qui constitue la congrégation religieuse, ce qui constitue son essence même, c'est quelque chose qui échappe absolument à votre pouvoir, et ce quelque chose sur qui ni vous ni l'Etat vous ne pourrez jamais absolument rien, c'est ce lien de conscience que les religieux forment par le moyens de leur voux. Sur ces voux vous êtes absolument impuissants. ...la question ne se pose pas devant le Parlement de savoir s'il y aura des congrégations religieuses non autorisées, mais la question se pose de savoir si ces congrégations non autorisées auront une existence publique ou une existence secrète. ...

M. le rapporteur : Mais vous savez bien que les associations religieuses sont absolument libres comme les autres.

M. Paul Lerolle : C'est une conversion cela !

M. le rapporteur : Pas le moins du monde ! On raisonne toujours à côté du projet ! Toutes les associations religieuses ou antireligieuses seront sur la même ligne devant la loi.

M. Gayraud :..vous dites ``Nous reconnaissons la liberté aux libres penseurs comme aux juifs, aux protestants et aux catholiques'' Vous n'ignorez pas qu'il n'y a que les catholiques qui s'associent en congrégation. ... Et comme le disait un jour M. Taine , c'est en vain que la science développera ses conquêtes et que la civilisation s'avancera à grand pas; plus la science fera de progrès, plus la civilisation s'accroîtra, et plus vivra dans le cour de l'homme le besoin de l'idéal. (André Malraux écrira bien des années plus tard:'' le XXIème siècle sera spirituel ou ne sera pas'') ...J'entends vous répondre, monsieur le rapporteur, mais j'entends aussi répondre à toutes les objections qui ont été formulées à cette tribune, dans les conversations et même dans les journaux..... ...Je vous apporte ici la réponse du droit canonique, et j'ai le devoir de dire qu'entre le doit et l'arbitraire il y a une différence. Qu'une congrégation religieuse ne puisse s'installer dans un diocèse sans l'autorisation de l'évêque, il ne s'ensuit pas du tout que cette congrégation puisse en être expulsée arbitrairement par l'évêque. Il y a dans l'église des tribunaux. Les congrégations religieuses et les évêques en appellent à ces tribunaux lorsqu'ils ont des démêlés ensemble.

M. le rapporteur : Des tribunaux étrangers... Il n'y a pas de tribunal étranger qui ait le droit de faire prévaloir sa volonté en France .. ( Maintenant si; la juridiction européenne prévaut sur la française. )

M. Gayraud : Quand il s'agit de la juridiction des consciences, à quel tribunal français devrait-on s'adresser...C'est très conforme à la loi française, à moins que le Concordat ne fasse plus partie de la loi française.... Vous confondez...le code civil et le code pénal. Que le code ne reconnaisse pas, ne sanctionne pas, ne garantisse pas les voux, mais qui le demande ? Personne. S'ensuit-il que la loi puisse proscrire et punir cette sorte d'engagement ?... Vous ajoutiez, en parlant des trois voux de religion: ``Par le premier on se désintéresse de travailler à la prospérité du pays''.... [vous parliez du vou de pauvreté] Comment! ...il n'y a donc pas d'autres moyens de travailler à la prospérité du pays que celui qui consiste à amasser des richesses... Et le soldat, sur le champ de bataille, le savant, dans son laboratoire, l'artiste, dans son atelier, l'avocat désintéressé qui défend la veuve et l'orphelin, ne travaillent-ils pas, eux aussi, à la prospérité du pays ?

M. le rapporteur : Toutes les fois que nous parlons ``jésuites'', on nous répond ``petites sours des pauvres et sours de la charité''. Vous savez à merveille que nous n'y touchons pas et qu'elles sont confirmées dans leurs droits acquis.

M. le comte D'Aulan : Les jésuites ont eu tort d'élever M. Trouillot

M. le rapporteur : C'est un choix dont je ne suis pas plus responsable que de ma première communion ou de mon baptême. (ce sont des arguments que nous entendrons biens des années plus tard quand la gauche au pouvoir après mai 1981 voudra changer la loi scolaire et que la droite fera remarquer l'éducation religieuse de ses adversaires ....)

Règlement de l'ordre du jour

..Demain... Suite de la discussion de l'interpellation de M. Morel et plusieurs de ses collègues sur les mesures que le Gouvernement compte prendre pour mettre un terme à la crise intense du tissage des soieries pures, remédier à la misère croissante des ouvriers tisseurs et, d'une manière générale, pour le relèvement de la sériciculture et des industries solidaires.

Discussion de l'interpellation de M. Zévaès sur l'ingérence du clergé dans les luttes électorales. ... Discussion de l'interpellation de M. de Baudry d'Ausson sur les scandales auxquels les édiles socialistes révolutionnaires de Saint-Vallier, après ceux de Reims, de Rochefort et de Roubaix, viennent de se livrer en abattant les croix. . ( L'intolérance est de tout bord et condamnable; cela mène toujours au-delà des intentions primitives, ces actes montrent à quel point le cas des congrégations religieuses était sensibles...) . ....
Discussion de l'interpellation de M. Stanislas-Ferrand sur le déclassement des fortifications de Paris . (Elles seront rasées. Il n'en reste plus qu'un petit bout porte de Bercy)
Discussion de l'interpellation de M. Paul Bernard sur les mauvaises conditions de transport de nos soldats envoyés en Chine . (Pour y faire du tourisme ?)

28 janvier 1901

Adoption d'un projet de loi portant approbation d'une convention franco-britannique relative à l'échange des mandats de poste.

M. Gayraud : [continuant son exposé sur les voux, celui d'obéissance et de sa formule ``perinde ac cadaver" qui suscita et suscitera de nombreux échanges]...elle signifiait ``obéir avec docilité et simplicité de conscience'', et non pas obéir sans se rendre compte si la chose commandée est bonne ou mauvaise. ... [parlant de la doctrine catholique] Il en résulte là une double conséquence : la première, c'est que le vou est un acte pleinement libre; la seconde, c'est que le vou ne peut jamais obliger à mal faire. ... Vous êtes difficile ! S'il faut vous apporter d'autres textes que ceux de saint Ignace de Loyola pour vous prouver ce que pensent les jésuites en matière de vou d'obéissance, je me demande quels sont ceux qu'il faut vous citer ! ... Allons ! "perinde ac cadaver" .. n'est qu'une histoire de ma mère l'Oie, un épouvantail pour politiciens d'arrière-boutique....Vous le voyez, ce n'est plus la morale des jésuites qu'on dénonce, c'est la doctrine officielle de l'église....ce n'est pas moi qui ai oublié l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme : "Nul ne doit être inquiété pour ses opinions religieuses" . ( Les antirépublicains se réfugient derrière la Révolution française chaque fois qu'ils se sentent menacés. Les débats seront très houleux et les échanges vifs.)

M. Augé : Mais, monsieur le président, c'est inouï d'entendre cela !

M. le président : C'est possible; mais si on ne vous donnait pas plus de liberté que vous n'en accordez à l'orateur, vous seriez en droit de vous plaindre...Vous êtes ici pour tout entendre, même ce qui vous choque. Donnez l'exemple de la liberté de discussion la plus large. ( La démocratie est difficile et la République est toute jeune ; il y a des apprentissages à faire) . [ la discussion sur la religion continue]

M. le président : Vous êtes donc tous théologiens!

M. Augé :Nous le devenons. .......

M. Walter : Nous demandons à entendre discuter le contre-projet, et non le Syllabus .

M. Gayraud : Il n'est que quatre heures et demie, monsieur Walter; j'en ai pour jusqu'à six heures au moins.

M. Maurice Berteaux : C'est le commencement des peines corporelles !

M. Gayraud : ...Eh oui! le Syllabus est vivant... Quoi! vous vous réclamez de toutes les libertés et vous osez nous faire, non pas dans une académie, dans une revue, dans un journal, dans un livre, dans une réunion quelconque de citoyens,- ce serait votre droit et je ne le contesterais point, - mais vous osez dans cette enceinte parlementaire, à cette tribune politique, nous faire un crime de nos pensées, de nos affirmations et de nos doctrines! ... Vous osez incriminer les croyances et, à cause d'elles, nous refuser la liberté! Et comment donc entendez-vous le régime des libertés publiques ? Comment entendez-vous que nul ne doit être inquiété pour ses opinions religieuses ? Prenez garde à vous, messieurs les socialistes !...

M. Chauvière : Nous avons déjà fait quelques années de prison, nous en ferons encore, voilà tout !

M. Gayraud : Après les élections prochaines, peut-être lorsque votre nombre sera doublé sur les bancs de cette chambre...quelqu'un se lèvera qui, reprenant les paroles de M. Trouillot, montrera dans vos doctrines, dans vos associations, ``cette menace qui surgit plus brutale, plus violente, plus intransigeante'' et qui, avec plus de vérité que lorsque M. le rapporteur s'élève contre le Syllabus, et contre nous, prouvera qu'il ne manque à l'échafaud que la force brutale pour le rétablir''. On dressera alors le Syllabus de vos doctrines, mais, tandis que le pouvoir ecclésiastique ne brandit sur vous que le glaive de l'excommunication, le pouvoir laïque, le bras séculier, ne se contentera peut-être pas de frapper des coups si débiles ... ( débile = faible dans le vocabulaire usuel de l'époque ) .... Quoi ! monsieur le président du conseil, il ne peut y avoir de liberté contre l'ordre public ? Et toute la gauche applaudissait à ce langage. Mais c'est le langage même, c'est le style de Torquemada ! ...Qu'est-ce que l'ordre public chez nous ? Qu'est-ce que l'ordre public au moyen âge ? Toute la question est là....en 1883 [vous disiez] ``c'est ainsi, que l'on devait considérer comme illicites les associations ayant pour but de provoquer l'abolition du droit de propriété.''... Voilà pour vous l'ordre public; le régime capitaliste de la propriété en fait partie intégrante; et vous dites : Contre l'ordre public il n'y a pas de liberté. Que pensent les socialistes de ce principe et de son application ? ... Au moyen âge, l'ordre public, c'était l'ordre social chrétien, Torquemada disait ce que vous dites aujourd'hui, monsieur Waldeck-Rousseau : Contre l'ordre public il n'y a pas de liberté. C'est le principe du régime de la Terreur, du comité de salut public, du tribunal révolutionnaire; c'est l'excuse de toutes les tyrannies. [...et l'on parlera de l'inquisition.....] ... Voilà pourquoi, en hommes politiques que nous sommes ici, nous devons, laissant de côté les questions de doctrine et de croyance, constater simplement un fait : Les congrégations religieuses remplissent un beau rôle social; et en conclure : il faut leur accorder la liberté. Messieurs, vous n'avez pas démontré qu'il y avait un danger national à ce que les catholiques soient libres de former des congrégations. Par conséquent, vous n'avez pas le droit de leur dénier cette liberté. ...

M. Trouillot : [répond que ce projet présente le danger que les associations puissent sans aucun contrôle posséder des fortunes immobilières, recevoir dons et legs et que cette accumulation de richesse] ...a toujours été redoutée par l'Etat... ....je me bornerai a dire que jamais, ni l'opinion, ni la chambre ne permettront à l'ultramontanisme, ennemi de toutes les libertés, de prendre posture de défenseur de la liberté. Après avoir si longtemps combattu, condamné, excommunié le ``libéralisme'', voici que vous ne vous bornez pas aujourd'hui à lui réclamer le droit d'asile; vous allez jusqu'à vous présenter...comme étant le libéralisme lui-même. ...Nous savons tout ce que masque ce libéralisme de façade... [Le contre projet de M. Gayraud sera  repoussé par 419 voix contre 94]

  M. Lemire : Je m'excuse, mes chers collègues, de prendre la parole. Je comprends la réflexion qui vous vient à tous en me voyant monter à la tribune: Deux abbés pour une même séance, c'est peut-être un peu beaucoup. [il lira son contre-projet où à aucun moment il n'est fait mention de congrégation, par contre, l'article 2 stipule que les associations se divisent en associations ordinaires et en associations reconnues comme établissement d'utilité publique. ...Je m'empresse de le déclarer, mon contre-projet n'a pas dans mon esprit, bien qu'on puisse supposer quelquefois le contraire, la forme d'une de ces motions destinées à retarder le vote d'une loi. ( Qu'en termes galants ces choses là sont dites; il y aurait des amendements déposés dans cet unique but?) ...Il est la reproduction intégrale de la proposition que j'ai...déposé devant le bureau de la Chambre,...il y a huit ans.....Dans la législation actuelle, je l'ai reprise, elle a été envoyée à la commission des associations.... Il est survenu à cette commission ce qui arrive souvent; elle a été saisie d'un projet du Gouvernement, immédiatement, elle a perdu de vue les autres et a étudié celle-ci, ce qui est assez naturel, car la commission a fait la réflexion que vous faites tous : pour réaliser la grande réforme qui s'appelle l'organisation de la liberté d'association en France, Il n'y a qu'un moyen d'aboutir : c'est non pas d'étudier à fond les propositions qui émanent de l'initiative parlementaire - de quelque côté qu'elles se produisent, elles n'aboutiront jamais;- la liberté d'association ne sera établie que le jour où un gouvernement, d'accord avec une majorité, voudra efficacement, sérieusement l'établir et c'est le cas. ... ...Un jour, à cette tribune, comme c'était leur droit, nos collègues du groupe socialiste sont venus demander à la Chambre de se prononcer immédiatement sur la suppression du budget des cultes . Que leur a répondu M. le président du conseil ? Pour leur faire prendre patience, il a dit: "Pourquoi voulez-vous qu'à propos de la discussion du budget nous prenions une décision sur cette grave question de la séparation des églises et de l'Etat et sur la suppression du budget des cultes?'' Comme chef du gouvernement il s'est bien gardé de donner son opinion personnelle . Il a dit, ce qui est beaucoup plus sage :' 'Jamais un gouvernement quel qu'il soit ne consentira à ouvrir ce débat si au préalable on n'a pas fait une loi sur les associations, si d'abord on n'a pas établi un terrain ferme sur lequel on puisse délibérer"... M . Waldeck-Rousseau , en tenant [ce] langage...nous imposait à nous, commission, une préoccupation des plus graves. Il nous signalait les conséquences possibles de nos délibérations. Il nous disait...''Quand vous ferez une loi sur les associations, n'oubliez point qu'un jour ou l'autre on pourra venir, en se basant sur cette loi, réclamer la séparation de l'Eglise et de l'Etat et la suppression du budget des cultes." ( Cela arrivera en 1905 avec le ministère de M. Rouvier , et non pas celui de M. Combes, comme il est d'usage d'affirmer. Quant au texte du projet de le loi, on le doit à la commission dont M. Aristide Briand fut un éminent rapporteur.
    Certains historiens prétendent que M. Waldeck-Rousseau ne voulait pas cela; étant donné ses propos de 1901 il est permis d'avoir un avis contraire; ou, s'il ne voulait pas ça, il sentait bien que ce serait inéluctable.
    La loi de 1901 n'est pas seulement celle qui régit les associations-à-but-non-lucratif, c'est celle qui permettra l'abolition du Concordat de 1801 et la séparation des églises et de l'Etat qui est maintenant inscrite dans notre constitution.
    Les congrégations religieuses sont donc elles aussi régies par cette loi ...)
.
..Je ne suis pas né pour l'opposition quand même, pour l'aigreur, pour la haine, pour les rancunes, et volontiers, je répète le mot d'Antigone, qui est un mot humain : Je suis né pour chercher les choses qui unissent et non pour chercher les choses qui divisent. ........ ...quand il s'agit d'un projet de loi dans lequel l'honorable président du conseil voit avec raison le départ de l'évolution sociale la plus importante de ce siècle, n'avons nous pas le devoir de nous dégager de certaines préoccupations secondaires, de certaines mesquineries d'opposition ? N'avons-nous pas le devoir de traiter cette question sans songer entre les mains de qui tomberait demain le portefeuille si le projet était repoussé ? Ce n'est pas une loi politique que nous forgeons en ce moment, c'est une loi sociale, fondamentale, sur la quelle tous les hommes soucieux de l'avenir du pays doivent se donner rendez-vous librement. ... ...je ne veux pas du projet de la commission parce que je lui fais trois reproches. Premièrement, il est contraire à l'égalité des personnes devant la loi; deuxièmement, il est contraire aux théories juridiques dont il se réclame; troisièmement, il est contraire au droit positif dont il doit faire l'application. [pourquoi les étrangers sont exclus de ce droit alors qu'ils peuvent posséder et adhérer à des syndicats ?] .... J'éprouve quelque peine à bien pénétrer le sens exact de ce texte :''des associations entre français, dont le siège serait fixé à l'étranger." (Allusion aux internationales ?) ... Je propose une doctrine internationale, moi catholique ! ... Qu'est-ce que vivre en commun ? .. moi j'aime la clarté...J'aime mieux être blessé par la lumière qu'embarrassé par le doute. [Il cite le cas d'ouvriers belges célibataires qui prennent cette décision pour des raisons économiques...ainsi que des petits curés comme lui] .......

Adoption d'un projet de résolution

M.. Julien Goujon : lisant ``Messieurs, lorsque n'a notre grand poète Victor Hugo mourut, la chambre italienne, dans sa séance du 22 mai 1885 voulut s'associer, par une manifestation unanime, au deuil de la France. Le président de cette assemblée déclara " que le génie de Victor Hugo n'illustrait pas seulement la France, mais honorait l'humanité toute entière. La douleur de la France, - ajoutait-il , est commune à toutes les nations" . "L'Italie, à son tour, vient de perdre un de ses plus illustres enfants, le compositeur Verdi, dont le génie, planant au-dessus des frontières honore également l'humanité tout entière. Verdi avait, avec notre patrie, les attaches les plus étroites. Plusieurs de ses oeuvres ont été crées à Paris et, depuis 1859, il appartenait, comme correspondant, à notre académie des beaux-arts. Le gouvernement de la République l'avait fait récemment grand officier de la légion d'honneur. Pour ces motifs, je vous demande d'adopter le projet de résolution dont je prie M. le président de donner lecture. Il est la copie exacte de celui qui a été voté par la chambre italienne.

M. le président : ... "La France déplore la perte du grand compositeur Verdi et s'associe au deuil de la nation italienne" [ texte adopté ]
 

29 janvier 1901

Présentation, par M. le ministre de l'agriculture : 1) d'un projet de loi relatif à la taxe du pain. 2) D'in projet de loi relatif à l'enseignement départemental et communal de l'agriculture.

M. Lemire : [continuant à défendre son projet, défend le clergé attaqué ] ... Des séculiers? j'en suis ! ... Ils se sont trouvés côte à côte à toutes les pages de votre histoire. Avec vous, messieurs, ils étaient aux états généraux de 1789, et, sans eux, vous n'aviez pas la majorité ! Sans eux vous ne pouviez pas briser l'enceinte des ordres dans lequel vous étiez enfermés. Ils sont allés avec vous dans cette salle du Jeu de Paume, et ils étaient derrière Mirabeau lorsqu'il répondait qu'il était là par la volonté du peuple et qu'il n'en sortirait que par la force des baïonnettes. Ils étaient là les petits curés, pour faire la majorité nécessaire.

M. Albert Gallot : Il n'y en avait pas beaucoup !

M. Lemire :Il y avait ceux dont vous aviez besoin pour faire une constituante ! Ils ont ensuite refusé le serment à la constitution civile du clergé; mais à la première heure, heure d'enthousiasme et de concorde, ils étaient avec vous. ... Que faire alors ? ... Théoriquement, il n'y a que deux solutions possibles, et chacun les connaît. Elles dépendent de l'idée que l'on se fait du rôle que doit remplir l'Etat à l'égard des cultes. Si l'Etat n'a d'autre mission que de garantir la sécurité intérieure et extérieure, s'il doit intervenir le moins possible dans le domaine de la liberté individuelle, s'il doit respecter comme des choses intangibles, d'un ordre à la fois plus relevé et plus intimes qui appartient à l'humanité en général et à l'initiative de chacun, la science, l'art, la religion. Si c'est là l'idée que l'on se fait du rôle de l'Etat, il n'y a qu'une solution logique et possible : L'Etat ne doit pas reconnaître les cultes... Voilà une solution simple et nette ...[qui] peut se réclamer d'une pratique, celle des Etats-Unis. L'autre doctrine est celle que j'appellerai la doctrine romaniste par opposition à celle des Anglo-Saxons. Dans cette doctrine, l'Etat intervient le plus possible parce qu'il se regarde comme la source de tout droit. Il ne se dit point qu'il doit avant tout respecter l'individu, l'initiative privée, toutes les vérités humaines; il se regarde comme chargé de faire l'unité, de tracer toutes les règles. De ce concept, qui est celui des peuples néo-latins, dérivent les idées d'art classique, officiel, d'enseignement officiel, de culte officiel, participant des ressources, de la force et du prestige de l'Etat. .... Au moins le projet de M. le président du conseil apportait une solution. Il ne parlait pas des associations religieuses...il ne faut pas faire de catégories...Entre elles et les associations laïques il n'y a pas de différence. ( C'est ce qui fait affirmer que M. Waldeck-Rousseau voulait faire rentrer les religieux dans la société républicaine) ..... Messieurs, je crois qu'il est dangereux d'inscrire des définitions dans un texte de loi....le philosophe Platon a dit: '' Définir, c'est le fait d'un dieu, car, pour définir, il faut tout prévoir et tout savoir.'' ....Je crains d'être prisonnier de sa définition... [pour la commission] ``l'association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices''.... ...[pour] Le conseil d'Etat ``L'association est un groupement permanent de personnes qui n'ont pas pour objet un partage de bénéfices.'' .... Je reconnais que l'association commence par une convention. Ce n'est que lorsqu'elle est conclue, qu'elle se distingue de l'agrégation momentanée, toujours libre, qui peut cesser quand on veut, qui n'engage et n'oblige personne. La convention donne à l'association son caractère obligatoire pour les membres qui en font partie, son caractère public pour la société qui la reconnaîtra. ...... Je supplie la Chambre d'établir la discussion sur une base moins fragile et moins contestée que celle du projet de la commission. Je la supplie de se saisir d'un projet qui se tienne, soit celui du Gouvernement, soit celui du conseil d'Etat... [ le contre-projet de M. Lemire sera repoussé par 411 voix contre 35]

M. Cuneo d'Ornano : [défendant son contre-projet ] ...[ Je l'ai déjà ] présenté pendant plusieurs législatures. Ce n'est donc pas une rédaction de circonstance;.... L'idée essentielle de ce contre projet n'est ni cléricale ni anticléricale; elle repose sur le principe de liberté, loyalement entendu, fidèlement appliqué. Pour moi, ce n'est pas comme pour M. le président du conseil, l'association n'est pas seulement un contrat, elle constitue un droit; c'est une de nos libertés fondamentales. Et telle est la doctrine que jadis, quand j'étais encore sur les bancs de l'école de droit, j'avais apprise de la bouche même des grands orateurs républicains de 1870 . J'ai entendu alors Jules Favre , Gambetta , Jules Ferry , tous ces orateurs venaient annoncer aux masses, à la jeunesse d'alors, le programme de la république, de cette république qui était si belle sous l'Empire ! ..... Je me rappelle aussi Jules Ferry disant crânement, en 1869: ``Pour fonder en France une libre démocratie, il ne suffit pas de proclamer l'entière liberté de la presse, l'entière liberté de l'enseignement, l'entière liberté d'association; non, ce n'est pas assez de décréter toutes ces libertés, il faut les faire vivre !'' ... La République a maintenu, en fait d'association, les articles si rigoureux d'un vieux code pénal, le code pénal du premier empire, législation d'un régime d'autorité s'il en fut, d'un régime d'autorité militaire, en quelque sorte. Nous n'avons réalisé aucun progrès en matière d'association, rien ! .... ...on peut être un fervent catholique et ne pas lancer l'anathème au pur idéal de la Révolution française que je sépare absolument des crimes politiques auxquels la fatalité des circonstances accula ses promoteurs. Car je fais de la Révolution deux parts : d'un côté son idéal, qu'elle a superbement proclamé dans le feu des batailles, et, l'autre, les actes, lamentables souvent, auxquels elle a été condamnée parce que la France était en état de guerre étrangère et de guerre civile et que l'Europe féodale avait rêvé d'écraser en nous ces principes de liberté, d'égalité et de fraternité pour lesquels nos pères sont morts. ..... Je n'approuve ni la Terreur blanche ni la Terreur rouge ; ce sont des événements sur les quels nous devrions jeter un voile, je le répète, pour regarder avec l'espérance l'avenir plutôt qu'avec tristesse le passé. ( Le voile a été si bien jeté pour permettre à la République de s'établir que ces événements ont été oubliés, avec, sans doute, l'accord de toute la classe politique : l'orateur n'est pas de gauche!. Lors de la célébration du bicentenaire de la Révolution, il a bien fallut exorciser ces faits. ) ..nous ...devons..plutôt nous séparer de l'histoire de ce passé, car nous n'y trouverons guère d'exemples ou d'antécédents libéraux. .... Non, la Révolution française n'a pu pratiquer la liberté d'association, pas plus pour les associations laïques que pour les associations religieuses, mais elle a proclamé le principe dont, aujourd'hui, vous qui n'êtes en proie ni à la guerre étrangère ni à la guerre civile, vous devez enfin vous inspirer. Ce contre-projet sera repoussé par 402 voix contre 91]

M. Puech : [Viendra défendre son contre-projet ] (voici quelques échanges qui n'apportent qu'un petit plus à son magnifique discours lors de la discussion générale) ......J'ai déclaré que les articles 2,6 et 11 [du projet de loi en discussion] combinés rappelaient exactement l'article 1er de la loi du 14 mars 1872 sur l'association internationale des travailleurs que je n'ai jamais considérée comme une loi de liberté.

M. Camille Pelletan : Nous non plus.

M. Louis Puech : Vous êtes de mon avis, Monsieur Pelletan ?

M. Camille Pelletan : .Jusque-là .

M. L. Puech : .J'en suis charmé. .......

M. Camille Pelletan : M. Puech nous propose d'établir un régime qui aurait sa raison d'être avec la séparation des églises et de l'Etat, mais nous avons encore le Concordat et nous devons désespérer, dans la législature, d'en obtenir l'abrogation. C'est l'évidence. [Le contre-projet de M. Puech sera repoussé par 317 voix contre 247]
 

31 janvier 1901

Adoption du projet de loi portant prorogation d'une surtaxe sur l'alcool à l'octroi de Loudun idem pour d'autres villes.

M. le marquis de Chambrun : [propose un amendement à l'article 1] ...non seulement votre définition pèche par l'étroitesse du cadre, mais elle omet un des caractères essentiels de l'association qui est sa permanence ! L'individu meurt, ses biens se partagent, ses volontés s'oublient, son oeuvre ne s'achève pas; mais l'association, cette personne morale, a été instituée pour se perpétuer, ses biens lui restent, ses volontés persistent, son oeuvre continue. Je cherche en vain ce caractère de permanence dans votre définition...On dit : '' Le projet de loi apporte la liberté d'association'', et depuis que nous le discutons, il n'est question que de la dissolution des sociétés existantes et de la liquidation de leurs biens....dès le premier article, votre loi porte la caractéristique d'une loi de circonstance. [ amendement repoussé par 309 voix contre 216]

M. Paul Beauregard : [défendant son amendement].... Tout d'abord, nous vous demandons la suppression de toute définition de l'association. .... C'est M. Goblet qui... avait pris l'initiative du projet.... [il] demanda...qu'on se gardât bien de définir, montrant la difficulté et l'inutilité d'une pareille tache;.... de tous les projets ...soumis à la chambre, un seul était entré dans cette voie périlleuse; c'était précisément le projet de M. Waldeck-Rousseau , celui de 1883 naturellement. C'est ce qui vous explique que nous nous retrouvions aujourd'hui en présence d'une définition de l'association, puisqu'au fond c'est le projet de 1883 qui a repris vie et qui nous est soumis. ..... Mais a-t-on songé au nombre infini de cas qui vont entrer dans une pareille définition? ... Ce qui est sûr,...,c'est que celle-ci ne vaut rien et pour une raison très simple : elle omet les deux caractères essentiels de l'association ...elle omet les caractères qui distinguent de l'association la simple réunion, même prévue à l'avance, même résultant d'une convention. Car ...on ne se réunit pas au hasard...il a été entendu qu'on se réunirait. ....je lis dans la théorie du droit pénal de M. Faustin-Elie : ``Toute association suppose deux éléments : un but déterminé et un lien qui unisse les associés. Le caractère fondamental des associations c'est la permanence,''- voilà ce que vous n'indiquez pas;- ``leur signe distinctif est une constitution organique.'' Voilà le deuxième caractère essentiel. Aucun des deux n'est indiqué. [avec votre définition] ...vous donnez [ des moyens] à un Gouvernement mal intentionné qui voudrait se débarrasser de ses adversaires et qui à tout instant pourrait les prendre en flagrant délit de créer des associations illégalement, sans déclaration préalable, alors qu'en réalité ces prétendues associations ne seraient que de simples réunions. ...... [amendement repoussé par 309 voix contre 232]

[Après d'autres débats et amendements repoussés... ]

M. Charles Ferry : Je suis de ceux qui n'estimaient pas nécessaire de donner une définition de l'association. La Chambre en a jugé autrement, je m'incline devant la décision... J'ai été frappé...de ce fait que tout le monde était d'accord pour considérer que la caractéristique spéciale de l'association c'était la permanence. Je viens donc vous demander, messieurs, d'accord avec la commission et le gouvernement, de vouloir bien consacrer cette caractéristique, en disant :''...qui mettent en commun d'une façon permanente leurs connaissances ou leurs activités dans un but autre que de partager des bénéfices.''

M. Sarrien : président de la commission. La commission accepte l'amendement.

M. le président du conseil : Le Gouvernement l'accepte également. [l'amendement, mis aux )voix, sera adopté par 353 voix contre 93.]

...........

M. Jaques Piou : Est-ce que vous admettez, en ce qui concerne la capacité de contracter, que ni les mineurs ni les femmes mariées ne pourront faire partie d'une association ?

M. le rapporteur : Sans autorisation ? C'est le droit commun pur et simple. .... Les mineurs auront l'autorisation de leurs parents; les femmes mariées celle de leurs maris,... Si la femme n'est pas mariée la question ne se pose pas, puisque la femme non mariée a une capacité entière. (Est-il bien utile de commenter ces propos ? Il faudra attendre 1920 pour que les femmes puissent adhérer à un syndicat sans l'autorisation de leur mari et que la loi du 18/02/1938 supprime l'incapacité civile relative pour la femme mariée.) ..........

congés

M. le président : La commission des congés est d'avis d'accorder: A M. Emile Rey, un congé jusqu'au 7 février; A M. , un congé jusqu'au 10 février; A M. Mahé, un congé jusqu'au 15 février. Il n'y a pas d'opposition ?... Les congés sont accordés.
 

4 février 1901

Communication d'une demande d'interpellation de MM. Maurice-Faure, Charles Chabert, Louis Blanc et Antoine Gras sur les responsabilités encourues à l'occasion de la catastrophe de la gare de Valence.

M. Arthur Groussier : Messieurs, le projet de loi qui nous est soumis comprend trois catégories d'associations : les associations déclarées, les associations reconnues et celles qui ne peuvent se former sans autorisation. Mon amendement n'intéresse que la première catégorie pour laquelle nous demandons que la déclaration ne soit pas obligatoire. Nous pensons, en effet, qu'elle n'est pas nécessaire, lorsque l'association n'aura ni le désir de contracter ni d'ester en justice. ....... Si nous nous opposons à cette déclaration obligatoire, c'est parce que ces déclarations ont toujours donné lieu, de la part de l'administration, à des mesures absolument vexatoires. Nous ne craignons pas, dans nos syndicats professionnels, dans nos groupes politiques, de montrer nos statuts, de les publier au grand jour; mais ce qui nous semble dangereux, c'est d'être obligés de donner à l'administration les noms de ceux qui sont chargés de diriger, d'administrer soit l'association, soit le syndicat. Je comprends bien que pour le plus grand nombre des députés qui siègent dans cette chambre qui appartiennent à des professions libérales, et qui font partie d'associations, il leur est indifférent que la déclaration soit exigée. Quelquefois même il leur semble utile d'indiquer qu'ils sont à la tête de telle ou telle organisation. Mais il n'en est pas de même pour les travailleurs, qui à craindre de perdre leur travail à la suite de manoeuvres trop souvent employées.... Vous le savez, le plus souvent, dans les syndicats, ceux dont on a signalé les noms sont renvoyés de la place qu'ils occupaient. Croyez-vous que, lorsqu'au lieu d'un syndicat, il s'agira d'un groupe politique, les mêmes procédés ne seront pas employés ? On pourrait croire que ces pratiques n'existent que dans les petites localités où tout le monde se connaît; mais nous avons vu les employer dans des grandes villes. J'en connais un grand nombre d'exemples à Paris et en province. Lorsque des travailleurs allaient s'affilier aux syndicats professionnels et lorsque l'administration et le Gouvernement étaient opposés au développement syndical, savez-vous à quel parti on s'arrêtait ? Sous le simple prétexte de demander des renseignements aux ouvriers sur l'organisation qu'ils avaient fondée, on allait les trouver jusque chez ceux qui les employaient, jusque chez leurs patrons. Vous pensez ce qui en résultait. Si l'administration emploi ces mêmes procédés à l'égard des travailleurs qui forment des groupes politiques; si elle vient, par exemple, devant l'industriel qui l'emploi, dire à l'ouvrier :' 'Nous vous demandons des renseignements sur le groupe socialiste-révolutionnaire que vous venez de former'', quelle sera la situation des travailleurs vis-à-vis de leurs patrons ? Je le répète, ce que nous craignons, ce n'est pas la publicité de nos organisations. Nous ne craignons même pas qu'on nous poursuive en vertu de certains articles de cette loi; nous ne craignons pas et les travailleurs ne craignent pas la perte momentanée de leur liberté; ce qu'ils craignent par-dessus tout, c'est qu'on use de tels procédés pour leur faire perdre leur travail, et par conséquent le pain de leurs enfants. ... ...Lorsqu'on prétend faire une loi qui soit un progrès sur le passé, au moins faut-il qu'elle n'apparaisse pas au plus grand nombre comme un recul; car enfin jusqu'à ce jour les associations de moins de vingt personnes existaient sans aucune déclaration. ..... Il faudrait au moins que l'on nous ait apporté une raison sérieuse et suffisante pour nous astreindre à cette obligation de la déclaration...[c'est ] un recul sur le passé. J'ai bien le droit de vous dire que votre loi n'est pas parfaite et que vous ne devez pas, sous prétexte de combattre les congrégations, vouloir nous combattre en même temps. Nous ne l'accepterions pas. La meilleure preuve de notre loyauté de notre attitude, c'est que, depuis le début même de cette discussion, tous nos amis qui ont pris la parole ont été absolument d'accord avec la majorité républicaine. Nous avons voté contre tous les contre-projets quels qu'ils fussent; et maintenant, parce que nous prétendons défendre, bribes à bribes, ce qui nous semble constituer les libertés nécessaires, on nous accuse de vouloir faire échouer la loi. Je proteste avec indignation ! Je prétends que c'est vous qui ne faites pas une bonne besogne républicaine. Vous devez tenir compte des revendications du peuple, car si vous ne l'aviez pas avec vous, vous seriez incapables de défendre la République. ( Les coalitions sont toujours difficiles à manoeuvrer : le bloc des gauches en est une : un programme commun, une gauche plurielle avant la lettre...) ......

[après d'âpres discutions]

M. Ribot : ...Nous sommes dans un pays où la notion de liberté n'existe pas et nous essayons de l'acclimater timidement , dans aucun pays d'Europe la discussion absurde que nous avons en ce moment pourrait avoir lieu. [ les âpres discutions reprendront avec la venue du cas des associations religieuses ]

M. le président : Je mets aux voix, au fond, l'amendement de MM. Groussier et Founière, dont je vous donne une nouvelle lecture: ``Les associations de personnes, autres que les associations religieuses, pourront se former librement, sans autorisation ni déclaration préalable, mais elles ne jouiront de la capacité juridique que si elles se sont conformées aux dispositions de l'article 4'' [amendement accepté par 292 voix contre 237]
 

5 février 1901

Des amendements sont repoussés :sur la liberté de sortir d'une association - sortir d'un contrat - ainsi que sur le lieu de déclaration. A la mairie proche mais ``engagée'' il est préférable de garder la sous-préfecture, à l'époque plus lointaine, mais théoriquement neutre. Un amendement adopté spécifie que lors de la déclaration, il en sera donné récépissé .....

M. Jacques Piou : . L'article 5 est un point culminant de la loi, car il limite avec la capacité juridique des associations leur sphère d'action. Tel qu'il est rédigé maintenant, il bouleverse de fond en comble le système du gouvernement, que M. le président du conseil a exposé deux fois devant vous avec éclat, celui qui, à plusieurs reprises, a reçu l'assentiment d'une partie de la chambre et les honneurs  mêmes de l'affichage ...( Ni la radio et encore moins la télévision n'existaient. Quand les députés décidaient qu'un discours devait être connu de toute la population, même de celle qui ne lisait pas les journaux, ils en votaient l'affichage. Celui-ci avait lieu dans des endroits réservés par la commune où les particuliers n'avaient le droit d'afficher. Il y était peint en grosses lettres noires : ``DEFENSE D'AFFICHER - LOI DU 29 JUILLET 1881'' Cette loi est celle sur la liberté de la presse - art 15 - modifié le 28 novembre 1969 - pour les affichages : Dans chaque commune, le maire, désignera, par arrêté, les lieux exclusivement destinés à recevoir les affiches des lois et autres actes de l'autorité publique. Il est interdit d'y placarder des affiches particulières.) ..... il ne suffit pas de dire, comme le fait la commission :''L'association aura tel ou tel droit '', parce que, en pareil cas, une énumération, forcément incomplète, est toujours dangereuse, et qu'en dehors des actes qu'elle énonce, il en est une foule d'autres indispensables au fonctionnement de l'association [suivent quelques exemples] ...
L'association avant de naître, ou dès ses premiers pas, va se heurter à toutes les embûches ou au moins à toutes les entraves. votre énumération sera source de procès incessants et le droit d'association, que vous sembler créer, sera infirmé et presque frappé de mort. C'est ainsi que les législations étrangères ont compris les choses; et si je mettais sous vos yeux les lois votées dans les pays voisins , vous verriez à quel point la France, qui se croit la nation du progrès, est en retard en matière de liberté.

M. Gauthier : Quand il s'agit de réaliser les réformes sociales, il en est exactement de même.

M. J. Piou : N'y a-t-il pas un moyen d'organiser le droit d'association de façon à ce qu'il ne devienne pas un piège ou un leurre;..... ...L'association...ne peut naître et vivre qu'à la condition que le but proposé puisse être entièrement rempli. La règle générale devrait donc se formuler ainsi: Toute association à la personnalité civile pour l'accomplissement du but en vue duquel elle est faite. ... ...je ne m'explique pas les terreurs que vous inspire aujourd'hui cette personnalité civile au profit des associations de droit commun. ..... Pourquoi donc n'éprouvez-vous aucune crainte quand il s'agit de conférer une personnalité illimitée aux syndicats professionnels... ( Créés par une loi du même Waldeck-Rousseau en 1884.) ...et en éprouvez-vous quand il s'agit d'en conférer une moindre aux associations ordinaires ? ... Ah ! s'il n'y avait pas cette fameuse mainmorte , comme tout serait facile !.... ( Oui, mais elle existait et c'est elle qui avait permis aux congrégations d'hériter de fortunes colossales.)
 

7 février 1901

..... Dépôt par MM. Monfeuillard et Mirman, d'une proposition de loi tendant à ouvrir un crédit extraordinaire de 10 000 francs à titre de secours aux cultivateurs de quinze communes de l'arrondissement de Reims dont les récoltes ont été ravagées par les campagnols. ...

M. Fernand de Ramel : [qui a déposé un amendement pour permettre aux associations de se fédérer ] ... ce qu'il y a de particulièrement curieux dans le projet de loi du Gouvernement et de la commission, c'est qu'il y a des velléités de reconnaissance du droit d'association, mais qu'il est plein de réticences et de craintes. A peine a-t-il posé un principe comme celui de l'article 1er qu'il y contredit dans les articles suivants; si bien qu'en réalité, le projet parait plus inspiré par la crainte, la peur des associations que par la confiance en elles. ...
Laissez-moi vous indiquer maintenant tous les inconvénients qu'offriraient le silence de la loi sur la faculté de fédération ... M. le rapporteur démontrera qu'une fédération est une association. Ainsi rassuré, l'orateur retirera son amendement ......

M. Vidal de Saint-Urbain : .... Qu'a-t-on fait en 1881?...On sortait de la lutte du 16 mai;  la  République était victorieuse,... ( Il s'agit du 16 mai 1877 où, le maréchal Mac-Mahon élu en 1873 président de la République avec l'intention de travailler au ``rétablissement de l'ordre moral'' , congédie Jules Simon , le chef du gouvernement qui n'avait pas été mis en minorité par les chambres, affirmant .''Si je ne suis pas responsable, comme vous, envers le parlement, j'ai une responsabilité envers la France dont aujourd'hui plus que jamais je dois me préoccuper.'' La question du pouvoir personnel était posé. Devant les protestations républicaines, il prononce, en accord avec le Sénat, la dissolution de la chambre. Il s'engagera à fond dans la bataille électorale, mais les républicains remporteront cette victoire qui aura fait dire à Gambetta: ``Quand le peuple aura fait entendre sa voix souveraine, il faudra se soumettre ou se démettre''  .....Mac-Mahon se démettra. Depuis 1962, De Gaulle et ses successeurs auront cette légitimité par leur élection au suffrage universel.) ..,il fallait qu'elle tint les promesses qu'elle avait faites et qu'elle donnât quelques libertés. Parmi les libertés les plus réclamées par tous les républicains, il y en avait deux qui dominaient toutes les autres : la liberté de la presse et la liberté d'association; ces deux libertés sont en effet, liées absolument l'une à l'autre. Liberté de la presse, cela veut dire liberté de penser, d'exprimer sa pensée par l'écrit ou la parole. Liberté d'association, cela veut dire liberté d'associer la pensée des uns et des autres pour en tirer quelque avantage en vue du bien public. Par conséquent ce sont deux libertés essentiellement liées entre elles; il fallait affranchir ces deux choses : la presse et l'association. En 1881,...,on s'est préoccupé immédiatement d'affranchir la presse, et on a fait sur cette matière la loi actuellement en vigueur. Et, il faut le reconnaître, de toutes les libertés que la République nous a données, c'est incontestablement celle qu'elle a concédée avec le plus de largesse; ...on a supprimé la plupart des délits qui,..., sous la monarchie, étaient poursuivis, soit disant comme délits de presse, mais qui n'étaient très souvent que des délits de tendance....Quant à la matière d'association, que nous réglons en ce moment, plusieurs projet furent présentés, notamment par M. Gobelet , par M. Floquet , d'autres encore, et enfin par
M. Waldeck-Rousseau , l'honorable président du conseil. C'est sur celui-là que nous avons à statuer; et par une singulière anomalie, c'est précisément sur le projet le moins libéral, le plus restrictif des libertés publiques, ..., que la chambre parait devoir arrêter ses préférences; [et cependant les projets des deux autres] entendaient la liberté d'association d'une façon plus tolérante et plus conforme aux véritables principes démocratiques. ...
    Article 8 Seront punis d'une amende de.....et en cas de récidive, le double , ceux qui auront contrevenu aux dispositions de l'article 5 Seront punis.....Les fondateurs... d'associations... maintenues. ..reconstituées ...après .... dissolution

M. J. Thierry ..... ..Je voterai contre l'ensemble de la loi et je le ferai en vertu d'une considération générale sur la quelle j'appelle votre attention. Le texte de loi pris dans son intégralité établit une grande quantité de pénalités nouvelles et graves et, que vous le vouliez ou non, il est conçu et rédigé en termes tels qu'il laisse souvent planer un doute sur une question de droit fondamental, celle de la présomption du fardeau de preuve. C'est ce qui..,se dégage de la lecture de la loi et si, en dehors du travail parlementaire proprement dit,...,vous jetiez un coup d'oil autour de vous dans le pays et si vous consultiez les passions que cette loi soulève, et le style et la forme des voux qu'elle fait naître pour ou contre, vous constaterez incontestablement qu'il était nécessaire, j'allais dire loyal, de renforcer toutes les garanties juridiques, toutes les garanties du régime général du droit commun, tel qu'il est établit depuis l'ordonnance de 1667 en matière de preuve,... [L'article 8 sera adopté par 322 voix contre 225 ]
 

25 février 1901

Sur la fixation de la discussion de l'interpellation de MM. Antide Boyer et Dejeante , relative aux grèves de Montceau-les-Mines, de Saint-Eloi-les-Mines et de Saône-et-Loire ....

Dépôt par M. Massabuau , d'une proposition de loi tendant à exproprier la raffinerie de Saint-Ouen pour en donner l'exploitation à l'Etat....rejeté au scrutin.

Article 9 : En cas de dissolution volontaire ou prononcée par justice, les biens de l'association seront dévolus conformément aux statuts. ......

M. Camille Pelletant : .... Il me semble... que c'est une conception bien bizarre que celle de la permission donnée au même groupement d'hommes de se présenter à deux titres différents pour avoir des droits différents. ...il y aura d'un côté la société et de l'autre une association. ..... J'aperçois bien tous les moyens de fraude que ce système peut donner....... Mais une question me préoccupe : Où est l'utilité de ce texte ? .... Je n'y vois que des inconvénients et aucun avantage pour la liberté comme je la conçois; c'est pourquoi je ne comprends même pas l'utilité du débat qui se déroule à cette tribune. ...
 

26 février 1901

Adoption du projet de loi tendant à autoriser la ville de Rennes ( Ille-et-Vilaine) à établir une taxe sur le revenu net des propriétés bâties en remplacement des droits d'octroi supprimés sur les boissons hygiéniques; ...

Dépôt, par M. Emile Rey, d'un rapport sur la proposition de loi ayant pour objet l'institution et l'organisation de l'assistance aux enfants de familles indigentes. ...

Dépôt par MM. Gervais et Jourde , d'une proposition de loi ayant pour objet de joindre les cacaos aux autres produits coloniaux de consommation. ...

M. Gourd : [citant Guillaume Penn, fondateur de la colonie de la Pennsylvanie] " mieux valent de mauvaises lois entre les mains d'homme de bien, que des lois excellentes entre les mains des autres, parce que les premiers trouveront toujours de tourner au bien les lois mauvaises, tandis que les derniers parviendront à corrompre, à altérer, à faire servir au mal les lois excellentes.'' ...

L'article 9, mis aux voix est adopté

M. le président : lit l'article 10- La personnalité civile est une fiction légale en vertu de laquelle une association est considérée comme constituant une personne morale distincte de la personne de ses membres, qui leur survit et en qui réside la propriété des biens de l'association. Cette personnalité civile est subordonnée à la reconnaissance de l'utilité publique par décret en la forme des règlements d'administration publique. ...

M. Lemire : Messieurs, l'article 10 du projet actuel de la commission définit la personnalité civile. Par un amendement que j'ai eu l'honneur de déposer, je demande la suppression de cette définition. Je crois que cette suppression, demandée en théorie par quelques-uns uns, se justifie en fait pour tout le monde depuis que la chambre a décidé qu'il y aurait une personnalité civile fragmentaire, restreinte, accordée aux associations déclarées. Cette définition me paraît donc venir trop tard....Je demande la suppression de cette définition et son remplacement par le texte suivant: ``Les associations peuvent être reconnues d'utilité publique par décrets rendus en la forme des règlements d'administration publique.''

M. le rapporteur : L'observation de M. Lemire est tout à fait juste... La commission, par conséquent, accepte l'amendement proposé par M. Lemire. [L'amendement mis aux voix est adopté .]

L'article 11 :Ces associations peuvent faire tous les actes de la vie civile..... Elles peuvent recevoir des dons et legs ( uniquement les associations reconnues., pas les autres) ...est adopté sans problèmes.

Article 12 : toute association composée en majeure partie d'étrangers, ou ayant des administrateurs étrangers, ou ayant son siège à l'étranger, pourra être dissoute par décret du Président de la République, rendu en conseil des ministres M. Goujon propose d'intercaler entre cet article et l'article précédent le texte suivant: ``Toute association, composée exclusivement d'étrangers est soumises à la formalité préalable de la déclaration.'' (Le problème des étrangers était déjà au goût du jour et les avis extrêmement partagés sur lui.) [L'amendement sera repoussé ...] Sur l'article 12, MM. Amédé Reille, de Mun, Piou, Alicot, Lerolle, Prache et Morillot ont déposé un amendement tendant à remplacer cet article par les mots suivants: ``Les membres de toute association, chargés de l'administration de cette association, devront être de nationalité française et jouir de leurs droits civils.'' ...

M. le baron Amédé Reille : ... Après trente années de République, monsieur le président du Conseil, n'ayant pas le droit de faire naître les associations,...Vous nous demandez de vous donner au moins le droit de les briser à votre gré; après trente années de République, vous nous demandez de vous rendre cette arme terrible et secrète, la lettre de cachet ! La chambre a consacré par son vote cette théorie moderne, à savoir que ce n'est pas l'individu qui est crée pour l'Etat, mais bien l'Etat pour et par l'individu, dont il n'est que l'émanation. Nous n'avons pas voulu admettre le principe de la naissance des associations par autorisation préalable; nous avons sanctionné par là l'éclosion, pour ainsi dire, spontanée, des associations. Comme l'individu, elles naissent, elles se développent, elles manifestent leur volonté propre, qui est distincte de la volonté des associés; et le législateur ne devrait intervenir que pour tracer les limites dont elles ne devront pas sortir, ou pour réprimer les actes délictueux que cette volonté leur aura fait commettre. ... Est-ce donc le seul fait pour des Français de s'associer à des étrangers, qui constitue un acte d'une nature telle qu'un Gouvernement doive violer tous les principes de liberté ? N'y a-t-il donc aucun point de contact entre les peuples ? Après de violents échanges l'amendement sera repoussé par 365 voix contre 170
 

28 février 1901

.........

Dépôt par M. Groussier , au nom de la commission du travail, d'un rapport sur la proposition de loi tendant à étendre à tous les ouvriers et employés des deux sexes, de l'industrie et du commerce, les dispositions concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs. .....

M. le président : La Chambre s'est arrêtée à l'amendement de M. Charles-Gras à l'article 12. ... ``Par dérogation aux dispositions des articles 5 et 6 de la présente loi, les associations religieuses, les associations entre français et étrangers et les associations dont le siège ou la direction serait fixés à l'étranger ou confiés à des étrangers, ne jouiront des bénéfices mentionnés à l'article 6 qu'en vertu d'un décret.'' ...

M. Charles-Gras : [ après avoir présenté son contre-projet ] ... Je dis que la loi ne s'occupe pas assez du but que poursuivent les associations, mais je sais très bien qu'il est difficile d'établir avec équité une longue nomenclature détaillée des associations que l'Etat républicain aurait le devoir de protéger et de celles contre lesquelles au contraire l'Etat républicain, ayant le droit de se défendre, viendrait pour cela chercher dans la loi une protection. Je sais qu'il était nécessaire d'établir une distinction entre les associations qui se renferment dans leur action scientifique, et celles qui savent concilier les obligations d'une vie de contemplation et de retraite avec une très vive turbulence politique. ... J'entends bien qu'on va me dire: mais les associations que vous citez n'ont rien à craindre des sévérités de l'article 12; ni la ligue en faveur de la paix, ni la ligue pour la lutte contre la tuberculose, ni enfin tous les groupements dont vous parlez, n'ont rien à redouter. Mais alors, messieurs, contre qui cet article est-il dirigé ? Serait - ce uniquement contre le prolétariat ? ... Messieurs, malgré les calomnies, malgré les résistances de toute sorte, malgré les obstacles accumulés, la vérité s'est fait jour sur le prolétariat; et il n'est plus possible de frapper ce prolétariat où l'on rencontre les plus ardents défenseurs de la République, alors qu'on laisse en dehors de toute menace des associations religieuses, où la République rencontre ses adversaires les plus résolus. Alors, messieurs, quelles seraient pour le prolétariat, les conséquences de la loi qu'on vous demande de voter ? Permettez-moi d'indiquer un exemple: L'année dernière, pendant l'Exposition, Paris a été le siège de nombreux congrès, parmi lesquels je citerais le congrès international socialiste. Ce congrès a décidé, à sa dernière séance, de créer un bureau central, une sorte de permanence à la quelle les adhérents de tous les pays pourront envoyer leurs observations et le résultat de leurs travaux. Si ce sont ces associations que vous visez dans l'article 12, il se produira ceci: les adhérents français seront menacés de poursuites, d'amendes et de prison au lendemain de la promulgation de la loi, alors que, dans les monarchies voisines, les adhérents étrangers ne seront pas menacés par les lois de leur pays. Ce que les monarchies permettraient, la République aurait la pensée de l'interdire. Et pourquoi ? En réalité où est notre crime ? où est notre délit ? où est la faute commise ? On ne nous accusera pas, je pense, de conspirer contre la République ! Mais j'entends : nous conspirons contre la société, contre la famille, contre la propriété, contre la patrie [une voix à l'extrême gauche : Et contre la religion !]. Mais la famille, la propriété, sont-ce des choses dont on ne puisse même pas parler ? et ne peut-on pas prétendre au droit de traiter toutes les hautes questions sociales sans être pour cela voué à l'amende et à la prison ? Quand on a introduit dans notre législation la loi du divorce, n'a-t-on pas, en le faisant, modifié les bases même de la famille ... Nous ne conspirons pas.....si vous pouviez...saisir, amasser nos papiers, et nos lettres et nos écrits, le dossier que vous pourriez former serait le dossier le plus éloquent de la solidarité et de la pitié humaine. Nous ne conspirons pas et, et d'ailleurs, pour conspirer il faut de l'argent et l'on sait bien que ce n'est pas dans notre parti qu'on a l'habitude de se promener aux environs de la place de la Nation [à Paris] avec 50 000 francs dans un portefeuille. ( Actuellement encore, les lieux précités abritent de nombreuses congrégations ) . ...nous faisons abandon de ce droit à la propriété civile que vous nous donniez par l'article 6 et ne vous demandons alors que le droit de vivre, d'exister simplement...comme toutes les associations laïques. Mais en vérité, ce n'est pas un droit que vous puissiez nous retirer. Ce droit appartient-il à quelqu'un ? et une association qui n'a aucune capacité juridique, aucun droit de propriété, peut-elle être considéré comme autre chose qu'un concert entre les citoyens ? Ce droit que nous vous demandons, j'estime que vous ne pouvez pas nous le retirer parce que vous ne pouvez pas empêcher les citoyens de divers pays de se mettre d'accord, de se concerter pour l'étude et la solution des problèmes qui intéressent non pas seulement un pays, mais qui intéresse le monde entier. C'est un droit que vous ne pouvez pas nous refuser, car vous ne pouvez pas empêcher des citoyens de correspondre entre eux, de s'unir pour la réalisation de leur rêves, et nous faisons aujourd'hui abandon de tous les autres droits. Le droit que nous revendiquons, c'est le droit le plus élémentaire, le droit de penser, le doit de parler, le droit d'écrire, et vous savez bien qu'à notre époque de diffusion des idées, pour la pensée et pour le verbe, les frontières ne sont plus un obstacle assez élevé. ...

M. Ribot : La question telle qu'elle se présente devant la Chambre est celle-ci : les associations qui comprennent en majorité des étrangers ou qui ont à leur tête des étrangers résident en dehors de nos frontières peuvent, d'après la loi, se former sans autorisation et même sans déposer de déclaration. La question posée par M. le président du conseil est de savoir si nous abdiquerons tout droit de dissoudre ces associations dans le cas où elles deviennent dangereuses. M. Charles-Gras propose un amendement qui supprimerait cette faculté pour le gouvernement..... .... Si les chefs d'une association internationale résident à l'étranger, échappant à l'action de nos lois, affichent l'intention et la volonté d'intervenir tantôt dans notre politique intérieure et tantôt dans les conflits industriels qui prennent à cette heure même un caractère sur lequel aucun de nous ne peut se méprendre, .... Nous voyons en ce moment se former dans ces grèves qui n'ont pas seulement un caractère économique, mais qui prennent jour après jour un caractère tout différent et plutôt révolutionnaire qu'économique..... [l'amendement sera repoussé par 277 voix contre 265]

M. Founière proposera un amendement tendant à intercaler après les mots'' ou ayant son siège à l'étranger'' les mots suivants:'' et dont les agissements seraient de nature à fausser les conditions normales du marché des valeurs et des marchandises ou à menacer l'intégrité du territoire national ou la forme républicaine du Gouvernement'' Le rapporteur et la commission étant d'accord pour que cela soit pris en considération, l'amendement sera accepté par 510 voix conte 0 puis la séance sera renvoyée]
 

7 mars 1901

Projet de loi étendant aux cartes postales et à tous objets de correspondance affranchis à prix réduit les dispositions des lois des 16 mars 1887 et 27 mars 1895, relatives aux lettres expédiées après les levées générales. ...

Projet de loi autorisant la perception d'une surtaxe sur l'alcool à l'octroi de Mirecourt (Vosges) ...

M. Georges Trouillot : (rapporteur) La Chambre a renvoyé à la commission le texte de l'article 12 à la suite de la prise en compte de l'amendement de M. Fournière ......: ``Les associations composées en majeure partie d'étrangers....Et dont les agissements seraient de nature, soit à fausser les conditions normales du marché... ...soit à menacer la sûreté intérieure de l'Etat.... ...pourront être dissoute par décret du Président de la République.....

M. Edouard Vaillant : Messieurs, le Gouvernement et la commission nous ont toujours déclaré que, la loi ayant pour objet la liberté d'association civile, les dispositions pénales ne visaient que les associations religieuses, que les congrégations. Alors, pourquoi ne pas le dire ? Si, au contraire, nous adoptions le texte de l'article 12 tel que nous le propose la commission, ce serait la classe ouvrière organisée qui serait particulièrement menacée. En effet, le Gouvernement quel qu'il soit et d'autant mieux qu'il sera plus réactionnaire, pourra, armé de cet article, dissoudre toutes les associations qui lui déplairont. ...[sans qu'il puisse y avoir de recours]... ...Il s'agit d'associations, de groupes internationalement fédérés comme le sont les socialistes et les syndicats ouvriers. On nous dit que par le vote de la loi on va supprimer la loi sur l'Internationale, la loi contre les associations dites de malfaiteurs, c'est à dire, suivant la conception réactionnaire, de socialistes. Eh bien , on rétablit ces lois contre l'Internationale et les lois scélérates dans la loi actuelle sous une autre forme, sous celle de l'article 12 qui met nos organisations à la merci de l'arbitraire du Gouvernement. .....Vous savez ce qui se passe en ce moment. Si nous ouvrons un journal, nous y lisons que le syndicat des ouvriers du port de Marseille, par le fait de la grève , ferme le port de Marseille et l'ouvre , au contraire, au port de Gènes... ...Dans ces conditions, un gouvernement pourrait dissoudre le syndicat des ouvriers du port de Marseille.

M. Chautemps : Il s'agit d'italiens.

M. E. Vaillant : Et de Français associés dans le même syndicat. Quand les ouvriers mineurs, et les mineurs sont fédérés nationalement et internationalement, quand ces ouvriers mineurs comme ceux de Montceau-les-Mines et de Saint-Eloy, ou d'ailleurs, se mettent en grève pour défendre leur existence et leur salaire, on peut nous dire que de cette façon ils ouvrent le marché français aux charbons anglais. On pourra, annulant la loi de 1884 dont M. Waldeck-Rousseau est l'auteur, proscrire tout syndicat ouvrier et interdire l'exercice du droit de coalition..... ... mais ce sont surtout les socialistes, c'est surtout notre Internationale, l'association des socialistes français avec des socialistes étrangers , qui sont visées et menacées. Notre association internationale, dont le bureau peut être aussi bien en France qu'à l'étranger, est directement menacée...... .... C'est pourquoi nous vous proposons de viser nettement les seules congrégations et associations religieuses, de mettre l'association politique à l'abri de l'arbitraire et de la réaction gouvernementale et d'ajouter dans le texte de l'article 12 le mot ``religieuses'' au mot ``associations'' .....

M. Paul de Cassagnac : Vous pouvez faire toutes les lois que vous voudrez; nous nous en servirons toujours à un moment donné contre vous. ....

M. Arthur Groussier : .. ...on entend dissoudre les associations dont les agissements seraient de nature à fausser les conditions normales du marché des valeurs et des marchandises; eh bien, qu'il me soit permis de demander s'il n'y a pas actuellement des associations de cet ordre; alors qu'en vertu de certains articles du code pénal il était possible de les poursuivre, on ne l'a jamais fait, parce qu'il s'agissait uniquement de capitalistes. ... .... Mais si l'on ne s'est pas servi de ces articles contre les financiers, nous avons la crainte qu'on s'en serve contre les travailleurs. ....... [L'amendement sera repoussé par 472 voix contre 90]

Article 13 : ``Aucune congrégation religieuse ne peut se former sans une autorisation donnée par une loi qui déterminera les conditions de son fonctionnement. ``Nul n'est admis à diriger, soit directement, soit par personne interposée, un établissement d'enseignement, de quelque ordre qu'il soit, ni a y donner l'enseignement, s'il appartient à une congrégation religieuse non autorisée. Les contrevenants seront punis...... La fermeture de l'établissement pourra être en outre prononcé par le jugement de la condamnation.''

( Nous rentrons là dans un vaste débat, un des cours du problème, sur ce seul article, les discussions dureront 6 séances !!!! Ce n'est pas là l'objet de mon étude qui voulait être sur le fait associatif et le sens de la liberté. Je me contenterai de ne donner que quelques échanges oraux qui ne seront qu'un très pale reflet de ce qui se sera dit entre les adversaires et les partisans des congrégations religieuses. Je suis certain que d'autres feront cette étude; ou l'ont déjà faite.) .....

M. Alexandre Zévaès : ..... C'est une singulière fortune vraiment qu'à ce mot de liberté de servir à défendre toutes les causes, toutes les thèses de tyrannie, d'avoir été à toutes les époques de l'histoire invoquée contre les progrès sociaux ! Mais, messieurs, avec le raisonnement de ceux qui font cet étrange usage du mot liberté, la proclamation de l'abolition de l'esclavage aurait été la négation de la liberté des maîtres ! ... Les revendications des peuples sont autant d'atteintes à la liberté des rois ; chaque progrès nouveau de la justice lèse la liberté des privilégiés. Il est ainsi certaines liberté dont le propre est de disparaître au fur et à mesure que la liberté et la justice véritable pénètrent d'avantage dans le monde civilisé. Telle est la liberté de l'ignorance ; telle a été la liberté de l'héritage ; telle est encore la liberté des conditions draconiennes imposées par le patronat au travailleur désarmé : elles peuvent toutes se résumer en une seule : la liberté de l'exploitation économique, politique, intellectuelle et morale.
 

11 mars 1901

... Adoption, après la déclaration de l'urgence, du projet de loi relatif à la construction d'un hôtel des postes et des télégraphes à Blaye (Gironde) .....

M. Gayraud : .. .....Mais sans vouloir entrer dans le vif du débat, laissez moi vous dire que cette prétention d'unité morale est pour le moins étrange dans un pays dont la constitution et l'organisation sociale sont fondées sur la liberté de conscience, la liberté d'opinion et la liberté de la presse. Comment voulez-vous que dans une nation où règnent ces trois libertés, il ne puisse jamais y avoir cette complète unité des esprits et des cours ? Mais, au contraire, c'est dans la variété des opinions, dans la diversité des organisations que doit apparaître la beauté civique d'un pays dont la constitution est basée sur la liberté. ( l'Eglise, que représente M. l'abbé Gayraud, n'a pas tenu de tels discours pendant de biens longues années.....)

....

M. Camille Pelletant : ..... Un des plus fameux et des plus violents défenseurs du dogme a prononcé autrefois, dans des circonstances quelque peu sanglantes le mot célèbre :'' Dieu reconnaîtra les siens.'' Le combat que nous livrons est moins tragique; nous ne voulons tuer que des équivoques et des sophismes. Mais quand vous essayer, contre l'évidence même de mettre de votre côté la cause de la liberté...il ne nous est pas difficile d'affronter vos attaques en souriant : la liberté reconnaîtra les siens !
 

12 mars 1901

..... Adoption du projet de loi tendant à autoriser la ville de Nouzon (Ardennes) à établir, en remplacement des droits supprimés sur les boissons hygiéniques, une taxe sur les vélocipèdes et une taxe sur les pianos et harmoniums; .... Adoption, après la déclaration de l'urgence, d'un projet de loi ayant pour objet de déclarer d'utilité publique l'établissement d'un réseau de chemins de fer local à voie de 1 mètre dans le département du Tarn. ....

[..... on continue à débattre de l'article 13 .......]
 

14 mars 1901

Communication d'une demande d'interpellation de M. Rouanet sur les mesures que le garde des sceaux compte prendre pour réprimer les manoeuvres de bourse qui faussent les cours des marchandises, rançonnent le consommateur et désorganisent la production française . .....

Dépôt par M. d'Alsace, au nom de la commission de l'armée, de deux rapports : le 1er sur le projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la concession de décorations supplémentaires destinées aux membres de la mission Foureau-Lamy et des autres missions qui ont opéré dans le Centre africain; le 2ème relatif à la concession de décorations supplémentaires destinées aux membres de la mission Gentil (Mission du Tchad ) Dépôt, par M. Morinaud, d'une proposition de loi tendant à l'organisation en Algérie de l'assistance médicale gratuite (Application en Algérie de la loi du 15 juillet 1893) ......

[Les pro- et anti-congrégationnistes continuent à s'affronter sur l'article 13 ......]
 

8 mars 1901

... Communication d'une lettre de M. le Président du Sénat , transmettant une proposition de loi, adoptée par la chambre des députés, adoptée avec modification par le Sénat, ayant pour objet de garantir leur travail et leurs emplois aux réservistes et aux territoriaux appelés à faire leur période d'instruction militaire. ....

Dépôt, par M. le ministre des affaires étrangères, d'un projet de loi sur l'entrée en franchise des dons et secours destinés aux prisonniers de guerre. ...

M. Paul Lerolle : Messieurs, nous sommes arrivés à ce point de la loi où, après avoir donné la liberté d'association en France, même aux étrangers, après avoir admis à cette liberté même les associations dont le siège est hors de France, on vous demande d'exclure quelques Français de cette liberté générale. .....

[.. et les discussions ont continuées .....]
 

19 mars 1901

Adoption du projet de loi tendant à autoriser la ville de Châlons-sur-Marne (Marne) à emprunter une somme de 860 000 francs et à s'imposer extraordinairement; ...

Dépôt, par M. Castelin, d'une proposition de loi tendant à modifier l'article 581 du tarif des douanes s'appliquant aux armes à feu; ...

Dépôt, par M. Suchetet, d'une proposition de loi tendant à la création d'un diplôme agricole dispensant les titulaires de deux années de service militaire. ......

M. le rapporteur : .. Je voudrais opposer... l'autorité... de M. Leroy-Beaulieu... .... ``Voici ce que l'on pourrait dire en se tenant dans les limites les plus rigoureuses de la vraisemblance : Il doit y avoir en France au moins 2 000 ouvroirs , ayant près de 80 000 élèves, cela fut écrit en 1888, et depuis...;si l'on veut admettre que la moitié de nos religieuses, qui sont au nombre de près de 100 000, travaillent de leurs mains; si l'on tient compte en outre que la multitude d'asile et de pensionnats où le travail des doigts occupe plusieurs heures dans la journée et où les articles sont vendus, on pourra conclure sans exagération, '' que la production industrielle qui sort de toutes ces institutions représente le travail de 150 000 personnes''. Ajoutons que nombre des ouvroirs augmente tous les jours : ceux qui existent ne meurent pas, et les âmes charitables s'empressent d'en fonder de nouveaux. '' A l'aspect de ce déploiement de la charité privée, les premiers sentiments qui saisissent l'âme sont ceux d'une profonde admiration et d'une ardente sympathie. Mais, si l'on passe à l'examen scrupuleux des détails, il n'est que trop aisé de découvrir les défauts d'un grand nombre de ces institutions. La plupart d'entre elles ne sont pas seulement des écoles, ce sont des ateliers : On ne s'y contente pas d'enseigner aux jeunes filles l'exercice d'un métier et de les aider, lorsqu'elles sont instruites, à trouver des places ou du travail, mais l'on vend en masse les produits à de grandes maisons de commerce. Quelques ouvroirs même prennent à l'entreprise et soumissionnent, en quelque sorte, des travaux de confection pour des industriels parisiens. ``En outre, ce ne sont pas seulement des enfants qui travaillent dans ces établissements charitables; sans parler des religieuses qui dirigent l'ouvrage, les élèves sont retenues d'ordinaire jusqu'à vingt et vingt et un ans, c'est à dire bien après avoir franchi le temps de l'apprentissage. Ainsi les ouvroirs, ou du moins un grand nombre d'entre eux, sont des ateliers de fabrication permanente ayant un personnel dont une bonne partie possède toutes les ressources du métiers. ``D'un autre coté, ces établissements, en leur qualité de fondation pieuses, relèvent de la charité : ils sont amplement soutenus par des subventions; quoique le travail soit leur loi, le gain n'est pas leur but.'' ... ``Il en résulte qu'ils cherchent à s'approvisionner d'ouvrage, alors même que cet ouvrage ne leur produirait aucun profit; ils sont facile pour les prix et ne refusent pas des rabais aux commerçants éloignés qui leur font des commandes. ``Mais voici qui est beaucoup plus sérieux. La grande majorité des ouvroirs n'enseigne qu'un seul métier; ce sont des ateliers de fabrication homogène; or, il arrive que presque tous ont adopté le même état : la couture. Les trois quart au moins de ces institutions se bornent à l'apprentissage des travaux d'aiguille, et non pas de tous les travaux d'aiguille, mais seulement d'un très petit nombre. ``Presque tous les ouvroirs de province, ...,s'adonnent en général à des travaux de confection assez simples, pour le compte d'entrepreneurs parisiens. La chemiserie y occupe la place principale.'' M. Jules Simon a pu affirmer que, sur cent douzaines de chemises qui entrent dans le commerce de Paris, les ouvroirs en ont cousu quatre-vingt-cinq douzaines. Cette assertion, quand on étudie les faits, paraît fondée. Ce qui mérite d'être signalé, c'est que la dépréciation des salaires dans cette industrie est reconnue et proclamée par les institutions même qui se livrent à ce travail sur la plus grande échelle. En parlant des établissements du Bon Pasteur, à Angers, M. Monnier écrit les lignes suivantes :''Les ouvrages consistent principalement en couture de chemises pour le compte des magasins de Paris; les chemises sont envoyées coupées et piquées ; une ouvrière en termine en général deux par jour. Le produit de ce travail, par suite de l'abaissement du prix de la façon, est tout à fait insuffisant à couvrir les frais d'entretien; il y est suppléé au moyen de quêtes, de sommes que payent les parents, de pension faites par les personnes charitables, etc...'' Quelque fois, la lingerie fine supplante la lingerie grosse : ainsi, une très grande partie des devants de chemises sont faits dans les ouvroirs des petites villes de Loir-et-Cher pour le compte de marchands chemisiers de Paris. La rétribution n'est guère plus élevé que pour la couture même de la chemise. ``Tels sont les faits incontestables, hautement avoués par les voix les plus sympathiques à ces pieuses institutions. ``Que l'on songe aux conséquences. Voici des industries qui ne peuvent nourrir les ouvrières qui y sont engagées; or, un nombre infini d'ouvroirs élèvent des milliers de jeunes filles dans la pratique de ces industries; ces ouvroirs ne souffrent pas eux-mêmes de cette mauvaise organisation, parce qu'ils ont ailleurs leur point d'appui. Mais les apprenties, quand elles sont obligées de se sustenter elles mêmes, comment font-elles ? On leur apprend un état qui n'est pas rémunérateur, elles auront toujours besoin de secours publics pour soutenir leur vie.'' ``Un homme profondément chrétien, M. Naville, dans un fort beau et savant livre sur la ``Charité légale'', s'élevait avec force contre les aumônes aveugles, et il montrait comment elles ont quelque fois pour effet d'abaisser les salaires de l'ouvrier et de conduire à cet état de choses qu'il appelait d'un mot ingénieux le payement des salaires par la taxe des pauvres. N'est-il pas à craindre que l'organisation défectueuse de nos ouvroirs ne produise, pour les pauvres femmes livrées à certains travaux d'aiguille, ce déplorable résultat ?'' Ces lignes sont tirées d'un livre couronné par l'Académie française et signé de M. Paul Leroy-Beaulieu. ...... ( Maintenant, ce sont les ateliers plus ou moins clandestins de travailleurs émigrés en situation plus ou moins régulière qui remplaceraient les ouvroirs. Pendant trop longtemps, l'Education nationale a maintenu cette filière de formation pour les filles. Même celles qui obtenaient un CAP avaient les plus grandes difficultés à trouver un emploi correspondant à leur qualification et au diplôme. Mais comme elles étaient agiles des doigts, elles étaient demandées par les industrie électriques et électronique qui les sous-payaient sous le prétexte qu'elles n'avaient pas de diplôme. L'objectif d'insertion sociale ou de réinsertion. était-il atteint .....)

M. Prache : [commencera un long exposé contre la franc- maçonnerie .] ...''La franc-maçonnerie, institution essentiellement philanthropique, philosophique, progressive, a pour base l'existence de Dieu et l'immortalité de l'Ame; elle a pour objet l'exercice de la bienfaisance, l'étude de la morale universelle, des sciences, des arts, la pratique de toutes les vertus.'' .... ``Sa devise a été de tout temps : liberté, égalité, fraternité.'' ... ...en 1885 le Grand-Orient modifia sa constitution d'une façon complète:[ disparaissent l'existence de Dieu et l'immortalité de l'Ame] ... ``Elle travaille à l'amélioration matérielle et morale, au perfectionnement intellectuel et social de l'humanité. ``Elle a pour principes la tolérance mutuelle, le respect des autres et de soi-même, la liberté absolu de conscience.'' .... ``On raye de la constitution les articles qui consacrent le droit de chaque homme à conserver des convictions religieuses. ... ... Depuis lors le Grand-Orient est devenu, comme je vous le faisais observer, une secte tout à fait antireligieuse. Ce n'est pas le cléricalisme qu'elle combat, ainsi que les membres du parti radical le donnaient à entendre dans la discussion de cette loi. Ce qu'elle combat,..., c'est tout dogme religieux, c'est la croyance en Dieu, c'est toute métaphysique, c'est toute société spirituelle. ... Voici la morale de la franc-maçonnerie: ``La morale de la franc-maçonnerie n'est enchaînée à aucune croyance religieuse, ni aucune théorie philosophique. Elle est formée de ce fond commun de préceptes qui enseignent à l'homme à être meilleur afin de devenir plus heureux, et que l'on trouve dans toutes les religions et dans toutes les philosophies, où ils furent déposés par les sages de tous les temps et de tous les pays. Leur source scientifique est dans l'étude du cour humain et dans celle des qualités individuelles et sociales de l'homme, et c'est directement à cette source que la franc-maçonnerie les puise pour les répandre dans le monde. ``Elle ne cherche l'origine des idées de devoir, de bien, de mal et de justice, ni dans de prétendues révélations divines, ni dans les conceptions de la métaphysique; car la science la lui montre naissant des rapports familiaux et sociaux que les hommes entretiennent et qui leur sont imposées par les lois naturelles les plus implacables.'' ..... [citant M. Marcel] "Il faut refondre complètement nos programmes [scolaires]... et déchirer notamment cette page de honte où la morale divine est encore prescrite aux maîtres d'école de France chargés d'apprendre à la démocratie en herbe à épeler le premier verbe de la démocratie universelle..........''
 

20 mars 1901

... Dépôt par M. Limouzain-Laplanche, au nom de la commission des chemins de fer, d'un rapport sur le projet de loi relatif aux expropriations nécessaires pour l'établissement du chemin de fer d'intérêt local de Lens à Frévent... ....

M. Prache : [continuant son prêche contre les francs-maçons] ... Je vous ai déjà montré, par la lecture des documents émanant des loges, que le but poursuivi par la franc-maçonnerie est d'imposer cette doctrine à nos fonctionnaires et d'en faire la base de notre législation scolaire. Pour les francs-maçons, un républicain doit forcément être un libre penseur.... ... ...Mais les 25 000 maçons sont insuffisants pour propager en France la bonne doctrine, et alors, à côté des loges franc-maçonniques du Grand-Orient on a créé toute une série d'autres groupements. Il est recommandé, et cela depuis 1891, de créer toute une série de sociétés, société de libres pensée, sociétés de propagande au point de vue de l'enseignement des adultes et des enfants, au point de vue de l'éducation des masses : oeuvres postscolaires, patronages laïques, unions et compagnonnages Il est recommandé aux francs-maçons - et ils se sont acquittés de cette mission - de prendre possession de toutes les institutions qui avaient été précédemment créées; c'est ainsi qu'ils ont pris possession de la ligue de l'enseignement... La ligue de l'enseignement a enrôlé près de 20 000 instituteurs, et je crois qu'il n'était pas à dédaigner d'avoir cette ligue comme auxiliaire. Le parti radical socialiste a mis son chef à la tête de la Ligue de l'enseignement... [citant ]''..j'ajoute que cette association maçonnique a eu longtemps pour président notre frère Bourgeois qui n'en a quitté la présidence que depuis qu'il est ministre de l'Instruction publique....Vous ne sauriez donc mieux vous adresser qu'en demandant à la Ligue de l'enseignement des conseils et des indications relatives aux patronages scolaires que vous voulez créer.'' ...

M. Ribot : ...Aussi, M. Prache agirait-il sagement, après avoir librement exprimé son opinion, en n'appelant pas la Chambre à voter son amendement. . ..

M. Prache : Vous me demander à quoi a servi ce discours de quatre heures ? ...Il a servi à montrer au pays que vous marchez à la remorque de certaines associations dangereuses et occultes, mais il servira aussi à lui prouver que nous ne vous craignons pas et que nous défendons la liberté malgré vous et contre vous. ... Il restera de ce discours que vous ne savez qu'obéir à vos passions et que, tout en frappant les congrégations, vous laissez vivre d'autres associations beaucoup plus redoutables. Je retire mon amendement.

M. René Viviani : Il n'est pas possible que la Chambre ait entendu pendant deux séances un réquisitoire contre une association pour terminer par une comédie. Je reprends l'amendement. (Pour qu'on puisse voter dessus)

[M. Rioust de Larentaye et M. le marquis de Keroüartz, seuls, voteront pour alors que 296 députés voteront contre. L'ensemble de cet article 13 sera enfin adopté par 311 voix contre 232.]

Article 14 : Nul n'est admis à diriger soit directement, soit par personne interposée, un établissement d'enseignement de quelque ordre que ce soit, ni à y donner l'enseignement, s'il appartient à une congrégation religieuse non autorisée. Les contrevenant.....

M. Aynard : ... Il est de coutume que lorsqu'en France on dépose un projet de loi sur la liberté d'association, c'est un projet contre la liberté de certaines associations.... ...il est entendu que vous avez fait une loi dans laquelle vous avez ouvert une sorte de faculté d'exister tout en sachant que jamais ce moyen d'existence ne pourrait être créé. ...J'ai entendu...des hommes de qualité comme M. Rabier... dire... au sein de la commission d'enseignement: '' Au fond, dans toute cette loi, nous ne tenons qu'à la suppression de la liberté d'enseignement. '' ( ..Et voilà l'autre problème....)

M. Massé : Mais les droits du père de famille ne sont pas le seul facteur dont il faille tenir compte dans un débat de cette nature; à coté d'eux, il y a les droits de l'enfant. ... Vous vous demandez, messieurs, si le droit de l'enfant existe véritablement. C'est notre législation tout entière qui vous répond et qui le proclame. C'est au nom du droit de l'enfant que le code civil apporte certaines restrictions au droit de correction des parents, qu'il accorde aux mineurs des aliments, qu'il protège son patrimoine en lui accordant une hypothèque légale. C'est au nom du droit de l'enfant que la loi du 22 mars 1881 sur l'enseignement, oblige le père de famille à faire donner à son enfant l'instruction. C'est au nom des doits de l'enfant que les lois des 22 mars 1841, 3 juin 1874 et 2 novembre 1892 réglementent le travail des enfants mineurs dans les manufactures. Vous vous demandez, monsieur le comte de Mun, à quel moment ces droits de l'enfant prennent naissance, si c'est en rhétorique ( Classe terminale à l'époque) ou dès le berceau ? Le législateur, par les lois des 7 décembre 1874 et 24 juillet 1889 sur la protection du premier âge et les enfants moralement abandonnés vous répond que c'est dès le berceau. ..... ( Il faudra attendre 1990 pour les chefs d'Etats se penchent sérieusement sur ce problème aux Nations Unis .....) ...[Citant Leibniz] ``La liberté n'est pas due à ceux ne qui veulent s'en servir que pour enseigner à haïr et à renverser toutes les libertés; la tolérance même n'est pas due aux intolérants''. ...
 

21 mars 1901

... Dépôt, par M. Duleau, au nom de la commission du budget, d'un rapport sur le projet de loi relatif à l'amélioration du canal du Rhône à Sète. ...

    Dépôt par M. Julien Goujon , d'un projet de résolution tendant à inviter le gouvernement à présenter un projet de loi codifiant les lois industrielles et ouvrières sous la dénomination générale de ``Code du travail ' '   (Il en résultera la création d'une
commission spéciale. De cette commission émanera un projet de loi qui sera déposé par M. Dubief, ministre du commerce, le 5 février 1905. Cette codification avait été demandée vers 1895 par le conseil supérieur du travail. Le code du travail n'entrera en vigueur qu'en 1910 ... !!) 

M. le comte Albert de Mun : Messieurs, j'ai d'abord un double remerciement à adresser à l'honorable M. Massé, à qui j'ai l'honneur de répondre : un remerciement personnel pour la parfaite courtoisie avec laquelle il a discuté les idées et les doctrines de ses adversaires, les miennes en particulier; et un remerciement plus général pour la franchise avec laquelle il a placé la question sur son véritable terrain, celui de liberté de l'enseignement... ... L'honorable M. Massé a bien voulu, à cette occasion, discuter avec infiniment de bienveillance pour moi, une page où j'avais essayé d'y répondre [les droits de l'enfants ?], et il m'a reproché d'avoir, de l'autorité paternelle, une conception romaine !... ... L'enseignement...c'est à la fois l'instruction et l'éducation... nécessairement liées l'une à l'autre...[qui se doit] non seulement de donner des connaissances mais de former des idées,... ... M. Massé nous a cité hier Voltaire et Montesquieu, il a oublié Mirabeau ...qui a écrit quatre discours sur l'instruction publique,... Ces discours sans doute sont dirigés contre les corporations religieuses, parce que les corporations religieuses avaient alors le monopole de l'enseignement ; mais que dit Mirabeau s'adressant à l'Etat ? Il dit : Vous n'avez point d'opinion favorite à faire valoir; il ne vous est pas donné tout à coup de faire éclore une race nouvelle. ...Et voici l'avis de Condorcet , qui est en quelque sorte le philosophe de la Révolution.... ''Si l'on entend qu'il faut enseigner la constitution comme doctrine conforme aux principes de la raison universelle ou exister en sa faveur un aveugle enthousiasme qui rende les citoyens incapables de juger, alors c'est une espèce de religion politique qu'on veut créer, c'est une chaîne qu'on prépare aux esprits et on viole la liberté dans ses droits les plus sacrés, sous prétexte de nous apprendre à la chérir.'' ( .Ainsi en sera-t-il fait du marxisme-léninisme..).... En 1886, au Sénat, Jules Simon disait :'' Je vous demande ce que c'est qu'un homme qui veut enseigner, faire des hommes et qui n'a pas de croyance ?....Je répète que l'école neutre est une école déshonorée,...qu'il n'y a pas d'école véritablement neutre, et que, s'il y en avait, il faudrait rougir.''
( Mais la croyance ne doit-elle, ne peut-elle être que divine ? ....)

25 mars 1901

Rectification matérielle au projet de loi, adopté par la Chambre des députés, le 19 mars 1901, et portant concession de décoration supplémentaires pour les auteurs de sauvetage maritime ...

Adoption, après déclaration de l'urgence, de la proposition de loi de M. Audiffred , ayant pour objet la création d'une caisse des recherches scientifiques investie de la personnalité civile et divisée en deux sections, dans le but de favoriser les travaux de science pure relatif : 1- à la découverte de nouvelles méthodes de traitement des maladies qui atteignent l'homme, les animaux domestiques et les plantes cultivées; 2- la découverte, en dehors des sciences médicales, des lois qui régissent les phénomènes de la nature (mathématiques, mécanique, astronomie, histoire naturelle, physique et chimie. ( Ce qui deviendra plus tard: le CNRS, l'INSERM, l'INRA....) ... .....

Dépôt, par M. le ministre des finances , d'un projet de loi portant ratification du décret du 23 mars 1901, concernant la constitution du budget des troupes coloniales pour l'exercice 1901. .......

M. Bourgeois : ...Je ne veux pas d'ailleurs insister sur ces manuels...J'en cite un, simplement pour montrer l'esprit de ces livres d'histoire.. ``Louis XIV employa les meilleurs moyens, les plus nobles, pour ramener le protestant à l'unité catholique. ''...Il envoya de pieux évêques, des missionnaires plein de zèle et de charité, évangéliser les provinces...'' ... ``Les dragonnades n'étaient que des excès commis par les dragons dans les maisons où ils étaient logés.'' ..... (De tels ouvrages devraient être difficiles à trouver de nos jours en France. Au Québec, l'enseignement était au mains exclusives de l'église jusqu'en 1962, date de la ``Révolution tranquille'' et les ouvrages y avaient ce même parfum ...)

M. Denys Cochin : ....Messieurs, le discours de M. Léon Bourgeois est une attaque contre tout un genre d'enseignement et contre une congrégation en particulier; mais nous pourrions, nous aussi, apporter en réponse une foule de devoirs choisis ailleurs et tout aussi tendancieux. Nous pourrions citer des manifestations de la Ligue de l'enseignemen t qui soulèvent tout autant et bien d'avantage la haine des citoyens les uns contre les autres.

M. Maurice-Faure : La Ligue de l'enseignement n'a jamais prêché l'intolérance !

M. Chenavaz : Et il ne s'agit plus là de devoirs d'élèves! ... [Le discours de M. Léon Bourgeois
plaît tellement aux députés anti-congrégationnistes que ceux-ci en demandent l'affichage adopté par 293 voix contre 220 ]

M. Lasies : On devrait faire payer l'affichage par ceux qui l'ont voté. .....

M. Georges Leygnes , ministre de l'Instruction publique et des beaux-arts : .... C'est,..., l'éternel thèse du droit de l'église opposé au droit de l'Etat que nous venons de voir reparaître. ... Mgr Darboy,...,prononçait en 1868 les paroles suivantes: '' Mais l'éducation appartient aussi à quelque degré à l'Etat. Il ne peut être indifférent à la direction qu'on donne aux intelligences et à l'activité des individus; il doit veiller à ce que la morale et la société? soient respectées, et à ce que l'éducation soit et reste nationale.'' ... Il y a des congrégations autorisées. Elles ne sont pas visées par l'article 14 . Elles continueront à enseigner. Les prêtres séculiers ne sont pas visés d'avantage. Ils jouiront des même droits; nos adversaires le savent, mais ils ne le disent pas. Il est bon de le rappeler. Il y a des congrégations non autorisées. Elles seront exclues de l'enseignement si elles ne demandent pas l'autorisation ou si, l'ayant demandée, elles ne l'obtiennent pas. [Voilà le point vif du débat]. M. Aynard et M. de Mun protestent avec véhémence contre cette disposition de la loi. Par là, [disent-ils], vous attentez à la liberté de conscience, vous opprimez la religion, vous supprimez les droits du père de famille. Comment ? L'Etat demande à toutes les associations, quelles qu'elles soient de s'incliner devant la loi. Il dit : qui n'a pas d'existence légale, qui n'a pas la personnalité, qui ne peut posséder, ne peut pas avoir, par voie de conséquence, le droit d'enseigner ? En quoi la liberté est-elle intéressée dans un pareil règlement ? C'est une question d'ordre public. Cette prétention de l'Etat est-elle nouvelle dans notre pays ? Vous savez bien que non.... ... J'ai en face de moi un adversaire aussi loyal qu'éloquent, l'honorable M. de Mun. Il n'a jamais caché son drapeau; il a affirmé en toute occasion sa foi politique avec une loyauté et une fierté auxquelles tout le monde a rendu hommage. En 1878 [ il a fait ici la déclaration suivante]: ``Vous êtes la Révolution ! c'est assez dire que nous sommes la contre-révolution. La révolution n'est ni un acte ni un fait, elle est une doctrine sociale et une doctrine politique qui prétend fonder la société sur la volonté de l'homme au lieu de la fonder sur la volonté de Dieu...qui met la souveraineté de la raison humaine à la place de la loi divine. ``C'est là qu'est la révolution; le reste n'est rien, ou plutôt tout le reste découle de là, de cette révolte orgueilleuse d'où est sorti l'Etat moderne, l'Etat qui est devenu votre Dieu et que nous nous refusons à adorer avec vous. La contre-révolution, c'est le principe contraire: c'est la doctrine qui fait reposer la société sur la loi chrétienne.'' ... En 1833, Guizot établit la liberté de l'enseignement primaire. Croyez-vous que les contre-révolutionnaires soient satisfaits ? Il n'en est rien. Montalembert estime qu'avoir les fils de paysans et d'ouvriers, c'est trop peu. En effet, ils ne sont pas électeurs. Les bourgeois votent, et il faut avoir la bourgeoisie si l'on veut être maître dans l'Etat. C'est pourquoi, dès cette époque, avec plus d'énergie que jamais, Montalembert réclame la liberté de l'enseignement secondaire, il réclame la liberté absolue pour les congrégations, autorisées ou non, parce qu'il veut par elles dominer la classe moyenne et par là dominer les pouvoirs publics. ... C'était l'époque où, dans les établissements tenus par les congréganistes, on enseignait....., on étudiait la philosophie dans un traité de l'évêque du Mans, qui démontrait la légitimité de l'esclavage, flétrissait l'égalité civile et politique, soutenait que toute l'autorité des rois vient de Dieu et affirmer que si un monarque légitime expulsé de son pays était ramené par des soldats étrangers, il y avait lieu de traiter ces soldats non pas en ennemis, mais en protecteurs et amis. ...

M. le rapporteur : Ces doctrines sont encore en vigueur aujourd'hui.

M. Clovis Hugues : Je m'associe à ce que vient de dire M. le ministre, mais je lui ferai remarquer que, dans les manuels civiques d'aujourd'hui, on prêche aux élèves l'obéissance aux patrons; c'est à peu près la même chose! (J'ai retrouvé un de ces livres ``Entretiens d'un fabricant avec ses ouvriers sur l'économie politique et morale" par M. Augustin Rivier, vice-président du tribunal de Grenoble.- Ouvrage qui a obtenu une mention honorable au concours de l'Académie des Sciences morales et politiques - Edité à Paris en 1858 par Guillaumin et Cie, Libraires au 14 rue de Richelieu......c'est assez édifiant....)

M. le ministre : Messieurs, nous déplorons, et avec raison, la violence des polémiques de presse. Cette violence paraît bien inoffensive si on la compare au ton avec lequel on parlait de l'Université dans les brochures, les revues et les journaux, aux environ de 1840. L'évêque de Belley affirmait que les écoles d'enseignement public étaient des écoles de pestilence [ etc.... etc....etc...] ....Voici ce qu'il [abbé Dupanloup] écrivait dans ``l'ami de la religion'', le 13 novembre 1849: ``C'est un fait que tous le méchants ont jugé la loi de M. Falloux , si redoutable pour eux et si favorable à la religion. C'est contre le monopole universitaire et malgré l'université qu'a été faite cette loi...'' ``Ce qu'il importe qu'on sache, ce qu'une regrettable indiscrétion a fait taire jusqu'à présent c'est que l'opposition profonde, irrémédiable de l'Université au projet de M. Falloux date de l'origine et fit explosion au sein même de la commission. Toutes ces grandes réformes opérées par le projet de loi devaient avant peu d'années changer profondément la face de la France en la couvrant d'institutions libres et chrétiennes, ont été, dans la première commission nommée par M. Falloux, des conquêtes laborieuses. Ce n'est qu'après deux mois entiers de luttes ardentes, sans cesse renouvelées, qu'on a successivement obtenu ou emporté de vive force: ``L'affranchissement des petits séminaire. ``L'admission des congrégations religieuses non reconnues par l'Etat et des jésuites expressément nommés. ``L'abolition du certificat d'étude. ``L'abolition des grades. ``La destruction des écoles normales. ``La dislocation profonde et irrémédiable de la hiérarchie universitaire. ``La surveillance constitutionnelle pour les petits séminaires et se bornant, pour les institutions libres, à une surveillance d'ordre public. '' La liberté des pensionnats et des institutions charitables. ``La grande place réservée à NN. SS. les évêques et au clergé dans les conseils supérieur de l'instruction publique. ``L'institution des comités départementaux et la place imposante que dans chaque diocèse NN.SS. les évêques et le clergé peuvent y occuper et la part d'influence qu'ils doivent nécessairement y prendre dans l'instruction primaire, même dans l'instruction secondaire et dans l'instruction supérieur.'' Voilà nettement définie la portée de la loi Falloux.

M. Aynard : Tout cela a disparu !

M. le ministre : Non tout n'a pas disparu et on défend ici ce qui reste encore de cette loi funeste. La loi votée, il faut en montrer les conséquences. Immédiatement on biffe le nom d'université, on supprime la dernière franchise du corps universitaire; il n'y a plus de conseil, plus de biens, plus de personnalité civile, la dotation est rayée du grand livre, les biens sont incorporés dans le domaine. Au corps universitaire on substitue les services d'enseignement publics, qui est soumis sans appel au bon plaisir du pouvoir central. Mais par contre, toutes les faveurs, tous les privilèges sont réservés aux écoles d'enseignement libre; on fait silence sur les congrégation d'hommes interdites et implicitement on leur donne le droit d'enseigner. La lettre d'obédience remplace le titre de capacité; l'ouverture des écoles est soumise à un minimum de formalités. Pour les professeurs on n'exige rien, pour les surveillants pas d'avantage. On reconnaît à tout curé, desservant ou vicaire, d'ouvrir des écoles secondaires à quatre élèves et on reconnaît aux évêques le droit d'ouvrir des établissements d'enseignement secondaire sans remplir aucune espèce de formalité, sans déclaration et avec dispense d'inspection. Après la loi de 1850 intervient le décret du 9 mars 1852 qui supprime les juridictions universitaires. Pour les professeurs, plus de garanties : le président nomme et révoque. Le ministre nomme et révoque. Toute la législation tient en ces cinq mots. Sous le couvert de la loi de transaction du prétendu Concordat de 1850, la persécution contre l'Université s'accentue : Guizot et Cousin sont mis à la retraite d'office. Michelet , Quinet , Mickiewicz , Jules Simon , sont révoqués. Le personnel tout entier est épuré; on lui donne à choisir entre le serment de fidélité ou la démission. Les recteurs ne peuvent rien; sans autorité, sans prestige, je dirais volontiers sans dignité, en face des évêques, en face des préfets, ils ne sont plus que les lieutenants de police du ministre, qui n'est lui-même que l'agent d'exécution du pouvoir central. Après le personnel on s'en prend aux idées..... .... Victor Duruy voulut créer l'enseignement secondaire des jeunes filles. Le clergé tout entier se leva; les congrégations suivirent. ...Duruy tint bon et ouvrit son premier collège. ...Messieurs, à la fin de son discours, M. de Mun, résumant sa pensée, vous à dit:'' Il faut nous donner non seulement la liberté théorique, mais la liberté pratique, c'est à dire celle qui va jusqu'à respecter non seulement le choix du maître, mais l'esprit de son enseignement.'' Un peu avant, M. de Mun avait aussi revendiqué le choix des livres d'études. ... Voici un livre qui a été interdit il y a peu de jours par le conseil supérieur de l'instruction publique... C'est un livre de l'abbé Vandeputte, intitulé :''Histoire de France à l'usage des maisons chrétiennes d'éducation''.... Voici comment s'exprime cet auteur à propos de la Révolution. ''.....,c'est l'esprit du mal prenant possession de la société chrétienne; c'est l'orgueilleuse raison humaine s'insurgeant contre Dieu...La révolution est fille de Satan et de la Renaissance païenne du seizième siècle; la réforme protestante, le jansénisme et la philosophie l'ont nourrie de leur venin....elle a eu pour tuteurs naturels les athées et les impies, les francs-maçons et les juifs, qui sont encore aujourd'hui ses plus fervents adeptes et ses meilleurs défenseurs;..... ... L'Etat, sous peine de déchéance, ne peut se désintéresser de l'enseignement au point de reconnaître à ses pires adversaires le droit non seulement d'ouvrir des écoles et des établissements secondaires, même si ces adversaires refusent d'obéir aux lois du pays, mais encore d'enseigner avec les livres de leur choix. Les divisions trop profondes déjà que l'on constate dans les rangs de la jeunesse ne pourraient que s'accentuer et l'unité morale du pays serait plus que jamais compromise. ... Pourquoi cette Université n'aurait-elle pas une doctrine morale ? Pourquoi n'aurait-elle pas un idéal ? Qui l'en empêche ? Ah, je connais l'argument. Vous êtes, nous dit-on, une organisation laïque et par cela même vous n'avez pas de doctrine morale parce qu'il n'y a pas de morale laïque. Cette affirmation demande à être appuyée sur une preuve et la preuve, on ne l'apporte pas. Le mot ``laïque'' veut dire qui n'est ni antireligieux, ni ecclésiastique; rien de plus. Nos adversaires, abusant du mot, lui donnent pour les besoins de leur cause, tantôt un sens négatif, tantôt un sens antireligieux. ... ...La doctrine ne dépend pas des majorités variables et flottantes, mais elle jaillit des principes mêmes sur lesquels repose la société moderne, que la morale que nous sommes capable de donner est aussi contenue dans les mêmes principes qui furent posés par les plus grands penseurs, les plus grands philosophes de notre pays. ... ...Nous ne voulons rien imposer à personne. Ces principes ..., c'est la liberté de conscience...la liberté de penser, la liberté individuelle, l'égalité des droits civils et politiques, la fraternité. La doctrine qui repose sur ces principes n'est pas la votre...

M. Gayraud : C'est la notre.

M. Lasies : Je proteste sans indignation.

M. Baudry d'Asson : C'est la notre, et nous la revendiquons.

M. le ministre : Posez la question à M. de Mun . Il vous répondra. Sa doctrine à lui, c'est celle de l'église, celle de la contre-révolution. Il n'admet pas qu'en dehors de celle-là il puisse y en avoir une autre. Il est étrange d'entendre soutenir que la nation qui a émancipé l'esprit humain par sa littérature du dix-septième siècle, par sa philosophie du dix-huitième, par les actes de la Révolution au seuil du dix-neuvième, ne peut dégager aucune règle morale, élevé et claire. Il est étrange d'entendre soutenir que le pays de Descartes et de Pascal , de Montesquieu et de Voltaire ne peut pas trouver en lui-même des principes directeurs et des idées essentielles pour gouverner des esprits et des consciences. Est-ce que ce sont les membres des congrégations vivant en dehors du monde, sur la marge d'une société qu'ils connaissent mal, dont ils se défient ou qu'ils haïssent qui pourront donner la meilleur morale sociale et civique ? ...Est-ce à dire, comme on l'affirme si souvent, que nous soyons des ennemis de la religion ? C'est un reproche que l'on adresse à l'Université quand on est à bout d'arguments ou lorsqu'on veut détourner d'elle certaines familles. Non! L'Etat et l'Université sont respectueux des droits de la foi. L'Etat n'entend imposer à personne une croyance religieuse quelconque. Il pense que le domaine de la conscience est un domaine inviolable. ... Il estime que la conscience de l'enfant encore hésitante, trop faible pour se défendre et discerner le vrai du faux doit être sacrée, et que celui-là commettrait un attentat odieux qui la troublerait ou l'effleurerait seulement d'un doute. .

[ Après d'autres discours moins passionnants, de mon point de vue,.. [l'article 14 sera adopté par 318 voix contre 239]
 

26 mars 1901

Dépôt et lecture, par MM. Charles Bernard , Paulin-Méry et Ferrette , d'une proposition de loi relative au séjour et à l'emploi des étrangers.
Dépôt et lecture, par M. Lasies , d'une proposition de loi ayant pour but la création d'une nouvelle juridiction pour protéger la propriété privée et l'épargne française contre la spéculation, l'agiotage, l'accaparement et la concussion. [la demande de déclaration d'urgence sera rejetée. ]

Discussion d'un article 14 bis : "Toute congrégation religieuse tient un état de ses][ recettes et dépenses ; elle dresse chaque année le compte financier..... ``La liste complète de ses membres, mentionnant leur nom patronymique, ainsi que le nom sous lequel ils sont désignés dans la congrégation, leur nationalité, la date de leur entrée, doit se trouver au siège. M. Bienvenu Martin..... Les congrégations autorisées se trouvent dans une situation exceptionnelle. Le gouvernement ignore ce qui se passe chez elles...... [elles] peuvent... à la faveur du privilège dont elles jouissent, disposer de leurs ressources... qui sont considérables... pour un objet absolument étranger à leurs statuts...

[adopté par 310 voix contre 253 ce texte formera l'article 15]

Discussion de l'article 14 devenu l'article 16 : ''Toute congrégation formée sans autorisation sera déclarée illicite. Ceux qui en auront fait partie seront punis des peines... . ``La peine applicable aux fondateurs ou administrateurs sera portée au double.''

M. Baudry d'Asson : On a oublié la guillotine ! ... [L'article sera facilement adopté .]

Article 17 : anciennement 15 "Sont nuls tous actes entre vifs ou testamentaires....ayant pour effet de permettre aux associations de se soustraire... aux dispositions des articles.... ``Sont également présumés personnes interposées au profit des congrégations religieuses: les associés... Le propriétaire...à .......

M. Villiers : Abandonnons tout et votons sur l'ensemble

M. Lasies : Oui! votons tout de suite sur l'ensemble de la loi, sans plus discuter. Ce n'est pas une loi pareille qui vous sauvera des grèves!

... [M. Perreau propose d'ajouter à la fin du deuxième paragraphe de l'article 17 les mots : ''mais sous réserves de la preuve contraire'' pour éviter l'arbitraire....] ( Les discussions seront parfois longues et il y régnera la méfiance.)

[cette proposition sera adoptée par 277 voix contre 255 ... ]

M. Maurice-Faure, vice-président, remplacera M. Paul Deschanel au fauteuil de la présidence [pour terminer la séance.]
 

27 mars 1901

Dépôt par M. Emile Roy, au nom de la commission de législation fiscale, d'un rapport sur le projet de loi de M. Fleury-Ravarin, concernant la saccharine. .....

[on adopte l'ensemble de l'article 17]

... proposition d'un article 18 nouveau..... . "Les biens dits de mainmorte ... appartiennent à l'Etat.... ``Les membres des congrégations supprimées pourront disposer du mobilier...vêtement, linge... personnel ``Inventaire sera dressé des bibliothèques, collection....le ministre de l'instruction publique [statuera] sur la vente... ou leur répartition dans les bibliothèques et musées....

M. Alexandre Zévaès : Ce que nous voulons...c'est frapper les congrégations dans ce qui fait leur force; c'est les frapper au cour, c'est à dire à la caisse. .

.. [amendement repoussé par 42O voix contre 135 ]

Article 18 : ``Les congrégations existantes au moment de la promulgation de la présente loi et qui n'auraient pas été antérieurement autorisées ou reconnues devront, dans un délai de six mois, justifier qu'elle cas ont fait les diligences nécessaires pour se conformer à ses prescriptions. En cas de dissolution... [ ..et les débats vont continuer sur ce sujet ô combien épineux ]

28 mars 1901

Dépôt par M. Arbouin, d'une proposition de loi tendant à la mise à la longueur normale des écluses du canal de haute Seine entre Troyes et Marcilly et la mise eau du canal entre Troyes et Maison-Blanche.

Dépôt, par M. Beauquier , d'une proposition de loi ayant pour objet la protection des sites pittoresques. . [ ... et on continue à attaquer et défendre les congrégations ... ]

29 mars 1901

Dépôt et lecture , par M. du Perier de Larsan, du rapport sur le projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la réparation des dommages causés aux récoltes par le gibier. Déclaration de l'urgence et adoption du projet de loi. ...

Adoption de la proposition de loi de M. Chapuis et plusieurs de ses collègues, tendant à ouvrir un crédit de 25 000 francs au ministre de l'instruction publique et des beaux-arts pour l'érection d'un monument à la mémoire de Alsaciens Lorrains morts pour la France et, depuis, dans les expéditions coloniales. ...
 

Communication d'une demande d'interpellation de M. Charles Bernard au Gouvernement sur les motifs qui l'ont déterminé à interdire la représentation de ``Question des huiles'' au Grand Guignol.

.. [ L'article 19 est adopté après les mêmes longs et parfois houleux discours.]

Article 20 : "Un règlement d'administration publique déterminera les mesures propres à assurer l'exécution de la présente loi'' - adopté.

Article 21 ``Sont abrogés les articles 291, 292, 293 du code pénal, ainsi que les dispositions de l'article 294 du même code relatives aux associations; l'article 20 de l'ordonnance du 5-8 juillet 1820; la loi du 10 avril 1834; l'article 13 du décret du 28 juillet; l'article 7 de la loi du 30 juin 1881; la loi du 14 mars 1872; le paragraphe 2, l'article 2, de la loi du 24 mai 1825; le décret du 31 janvier 1852 et généralement toutes les dispositions contraires à la présente loi. ``Il n'est en rien dérogé pour l'avenir aux lois spéciales relatives aux syndicats professionnels, aux sociétés de commerce et aux sociétés de secours mutuels.''

[ 342 députés contre 185 voteront pour que ce soit tout l'article 294 qui soit supprimé . ]

M. le Myre de Vilers : [propose un article additionnel...] ``La présente loi n'est pas applicable dans les colonies et pays de protectorat. ...[dans] une lettre que j'écrivais en 1899... ``L'indoChine n'est pas régie par le Concordat; nous jouissons de la liberté religieuse complète avec toutes ses garanties... ``Nous ignorons en IndoChine les querelles religieuses et il serait dangereux de les provoquer par des récriminations . ... ...Est-ce à dire que nous avons toujours été, nous, administrateurs, en complet accord avec les missionnaires ? Evidemment non; mais chaque fois que j'ai fait appel à leur concours ou à leur obéissance, ils se sont montrés de fidèles et dévoués serviteurs du gouvernement de la République. ...

M. Gaston Doumergue : J'ai habité les colonies dont parle M. Le Myre de Vilers, notamment la Cochinchine; je me permets de lui poser simplement une question. Notre collègue vient de nous expliquer les services qu'ont rendus les missions à l'influence française. Je me demande si nous aurons l'assurance que les missions apprendront le français à leurs élèves..... ....car j'ai eu là-bas à traduire des rapports de fonctionnaires indigènes du latin en français...

M. le ministre des colonies : La loi que va voter la chambre n'est pas faite pour les colonies; elle ne les vise pas, et son silence sur ce point est parfaitement clair. Rien n'est changé au régime sous lequel les colonies sont placées, je veux dire au régime des décrets. .... ...Quand c'est la volonté du législateur d'étendre une loi aux colonies, il le dit expressément.. . ( Il y aurait beaucoup à écrire sur ce qui vient d'être dit. J'en laisse le soin à d'autres...)

[L'amendement est repoussé par 296 voix contre 254]

* Vote sur l'ensemble de la loi *
 

M. Antoine Gras : Messieurs, je voterai l'ensemble du projet....mais il me sera permis d'exprimer le regret qu'après une si longue discussion...on n'ait pu aboutir qu'à une demi-mesure... ...mon regret est pleinement justifié, d'abord par le fait que nombre de congrégation vont rester, qui continueront à thésauriser et à donner à la jeunesse un enseignement détestable....que M. Léon Bourgeois a si justement qualifié d'enseignement de discorde et de haine. Mon regret est justifié encore par l'attitude et le langage de tous les défenseurs des congrégations, qui, tous, sans exception, ont porté un défi hautain à la société civile, à la société issue de la Révolution. C'est ainsi que M. Ramel ...est venu déclarer que devaient disparaître lois, ministres, gouvernement et que, seule, l'Eglise devait rester. C'est ainsi que M. Gayraud n'a pas craint de venir dire ici que l'inquisition avait été organisée pour la défense de l'ordre civil public de l'époque.... C'est ainsi que M. Lasies a poussé le cri de guerre contre les juifs, les protestants, les francs-maçons et les libres penseurs; ... ... C'est donc un appel à la guerre civile, je le constate comme le collègue dont je viens de parler. ... Je termine ...Je voterai la loi...parce qu'elle constitue un progrès, un pas en avant, un pas vers l'affranchissement définitif, vers le jour où la France inféodée au cléricalisme, comme tous les pays latins, secouera enfin le joug qui pèse sur elle depuis de si long siècles. .....

M. Renault-Morlière : Le projet de loi a été tellement amendé par la chambre et remanié par la commission elle-même qu'il subsiste peu de choses du texte primitif. L'opposition que nous avons faite n'est donc pas demeurée stérile, mais nos efforts ont échoué sur deux ponts essentiels. ...les congrégations.... ...la liberté d'enseignement...

[La loi sera adoptée en première lecture par 303 voix contre 224]
 
 


 

11 juin 1901

M. Fallières , président du Sénat : L'ordre du jour appelle la 1ère délibération dur le projet de loi, adopté par la Chambre des députés, relatif au contrat d'association. En déposant son rapport, M. le rapporteur a demandé l'urgence au nom de la commission, d'accord avec le gouvernement. La parole est à M. Wallon sur l'urgence.
 

M. Wallon : .. Autant j'applaudis à la liberté des associations en général, autant je répudie les mesures prises contre les congrégations dans le projet en discussion, et, j'en dirai en deux mots la raison : j'y vois le premier acte de guerre dirigée contre la religion catholique........ .... Le Gouvernement résiste à ceux qui lui demandent de dénoncer le Concordat ,...,Mais j'ai le regret de le lui dire, le projet de loi sur les associations qu'il a présenté et qu'il soutient est une atteinte directe à ce contrat solennel. ....... (...Et les discussions vont reprendre sur les congrégations et la liberté d'enseignement. Ce jour là les sénateurs s'échangeront les arguments des députés lus au Journal Officiel )
 

13 juin 1901

Dépôt, par M. Alexandre Lefèvre, des rapports sur quatre projets de loi adoptés par la Chambre des députés, tendant 1-..... 2-..... 3-..... 4- à diviser la ville de Marseille( Bouches-du-Rhône ) en douze cantons . ... ( Les opinions des sénateurs sont très vives et les dérapages de langages sont nombreux....)

M. Le Provost de Launay : C'est l'opinion de beaucoup, et c'est la mienne, bien que je ne sois pas de l'Académie.

M. Victor Leydet : Alors, vous posez votre candidature! (Sourires)

M. le président : Veuillez, monsieur Le Provost de Launay, vous abstenir d'exprimer des opinions de ce genre.

M. Le Provost de Launay : Tant qu'un projet n'est pas devenu loi, j'ai le droit de le qualifier comme il me plaît.

M. le président : Vous avez des collègues qui vont voter certainement cette loi. (Mouvements divers) Vous avez employé une expression qui est absolument inacceptable.

M. Le Provost de Launay : Elle traduit mon opinion et je ne la retirerai pas.

M. le président : Il n'y a pas de discussion possible, messieurs, si l'on se sert de mots pareils. Il se peut qu'ils traduisent votre opinion, mais alors vous devez garder celle-ci pour vous, et ne pas l'exprimer. . (...Il y a lieu à rendre hommage aux présidents des deux chambres. Ils feront tous les efforts possibles pour que les débats restent dans des limites tolérables de courtoisie, et que chaque orateur puisse s'exprimer sans être interrompus par leurs adversaires politiques. Ils avaient à apprendre la démocratie aux députés... ...Et on continue à parler des congrégations si utiles pour le rayonnement de la France et de la langue française à l'étranger...)
 

14 juin 1901

Dépôt au nom du ministre des finances, d'un projet de loi, adopté par la Chambre des députés, concernant les dépenses de l'expédition de Chine . Renvoi à la commission des finances. ...

Dépôt par M. Combes , président de la commission du contrat d'association, d'une proposition d'affichage du discours de M. le président du conseil, ministre de l'intérieur et des cultes.... ...

Dépôt, par M. Thomas, d'une proposition de loi tendant à déclarer férié le lendemain de la fête nationale. Renvoi à la commission d'initiative parlementaire.. ...

Communication d'une lettre de M. le président de la Chambre des députés, portant transmission d'une proposition de loi, adoptée par la Chambre des députés, relative à l'établissement d'une surtaxe sur les figues d'origine européennes, importées d'ailleurs que des pays de production. Renvoi à la commission à la commission des douanes. ... [ ...et on continuera de s'étriper à propos des congrégations..... ]

M. Milliard : .... Il y a toute une première partie de la loi dont je n'ai rien à vous dire, tout le monde étant d'accord. Ce sont les deux premiers titres qui consacrent la liberté des associations, les congrégations exceptées. C'est ce que j'appellerai les régions sereines de la loi. Je n'en dirai pas autant de la seconde partie, de celle qui commence à titre III et qui à trait aux congrégations; ici, nous sommes sur un terrain brûlant, nous avons quitté les régions sereines; car la question des congrégations a le don d'exciter même les indifférents, à plus forte raison les convaincus. Il ne faut pas s'en étonner, car les passions religieuses passent pour être les plus ardentes, à moins que ce ne soient les passions antireligieuses. Et comme vous le disait l'autre jour l'honorable rapporteur, les unes et les autres se rencontrent, se heurtent et se combattent à outrance autour de cette malheureuse question des congrégations. Il faut pourtant qu'on ait une loi sur les associations, s'occuper des congrégations; c'est peut-être la raison pour laquelle nous sommes encore sous l'empire des articles 291 et suivants du code pénal et de la loi de 1834, après trente ans de République. S'il y a des républicains qui redoutaient la liberté pour les associations politiques à cause des agitations qu'elles peuvent créer dans le pays, il y en a beaucoup qui étaient préoccupés des congrégations. On peut dire que, depuis vingt-cinq ou trente ans, le parti républicain, à propos de cette loi sur les associations, a été partagé entre deux sentiments qui expliquent son impuissance, son inaction, son inertie : d'une part, la crainte de favoriser, par un régime libéral, le développement des congrégations; de l'autre, l'embarras et la gêne de mentir à ses principes en faisant une loi de liberté d'où elles seraient complètement exclues. Il suffit, pour s'en convaincre, de parcourir les trente-trois projets qui, depuis 1871, ont été soumis au Parlement. On y voit nettement se dessiner ce double courant : les uns refusant toute liberté aux congrégations; les autres, leur accordant la liberté en sauvegardant les droits de l'Etat. C'est à la première que se rattache le projet originaire du Gouvernement et celui qui vous est proposé par votre commission. C'est à la seconde école que se rattachent certains projets présentés par des républicains éprouvés : le projet Dufaure, le projet Floquet, le projet Goblet , enfin le projet de l'honorable président du Sénat. C'est à la seconde école que nous entendons nous rattacher...et au cours de la discussion, quand nous aurons à nous expliquer sur l'article 13, c'est à l'un de ces projets, au projet Floquet, que nous emprunterons la disposition que nous entendons lui substituer...... ........Voilà très brièvement, et avec beaucoup de perspicacité, résumé le pourquoi de la dureté des débats. La discussion générale sera close avec cette séance, la discussion article par article va pouvoir commencer...
 

15 juin 1901

M. le rapporteur : [en réponse à un dépôt d'amendement qui sera repoussé ] .... Si des jeunes gens,..., veulent s'associer pour former une confrérie, ou si des femmes mariées veulent se réunir pour discuter des questions de féminisme, ou s'appliquer à certaines oeuvres de charité, comment feront-elles au cas où le père de famille, d'une part, le mari d'autre part s'y opposeraient ? Eh, mon Dieu ! les uns et les autres feront ce qu'ils font aujourd'hui; ils agiront en vertu de la permission tacite, très suffisante, qu'ils tiennent de ceux sous l'autorité desquels ils sont placés. Nous ne voulons et nous ne pouvons pas, par cette loi, porter atteinte aux droits de père de famille ou du mari. Mais leur silence, à l'un comme à l'autre, équivaudra à une autorisation et notre loi ne fera perdre, soyez-en bien assurés, ni un membre à l'association des étudiants, ni une femme aux oeuvres qu'il leur plaît de soutenir et de propager. Que si le père intervient, que si le mari met son veto, ce seront là convenances ou querelles de famille; mais il n'appartient pas au législateur de les trancher à propos de la loi sur les associations. .

. [L'article 1er sera adopté ...]

M. Alfred Rambaud : [à propos de l'article 2 ] ... Il a été démontré qu'à Marseille, la population italienne s'élève à 90 000 ou 94 000 âmes; que sur ce nombre, à peu près 53 000 italiens sont ou peuvent être considérés comme des travailleurs; que ce chiffre est trop considérable, eu égard à l'effectif d'ouvriers que comportent les diverses industries de Marseille; l'excédent serait de 20 000 hommes environ. .....Voilà le résultat des efforts tentés à diverses époques, au prix de luttes et de grèves, par des ouvriers français pour améliorer leur situation. Par cela même que le prix de la journée de travail, il s'est fait comme mécaniquement, un appel de main-d'oeuvre étrangère, un afflux de travailleurs étrangers; cette offre excessive de main d'oeuvre dépassant si fortement l'offre et les possibilités de travail, a provoqué dans la classe ouvrière française un malaise qui, à son tour, a engendré des grèves. Au cours de ces grèves, nous voyons constamment, au premier rang, agir des éléments étrangers. C'est un député italien, M. Morgari; c'est un journaliste italien, M. Campolongi, qui semblent prendre en main la direction de la grève et prétendent discuter avec les autorités françaises. Je dois dire que la réciproque n'a pas été admise par les autorités italiennes, car lorsqu'un député de Marseille a voulu aller défendre auprès des autorités de Gênes les intérêts des ouvriers français, on ne l'a même pas reçu.

M. Hervé de Saisy : Ce n'est pas un article d'exportation. .........

M. Alfred Rambaud : ....Il en résulte qu'à Marseille, où il y 90 ou 94 000 résidents , où il y a 53 00 travailleurs italiens, dont 20 000 sont de trop sur le marché de l'offre et de la demande, en fait de main d'oeuvre, les italiens ont été à un moment maîtres de Marseille. Les grévistes des docks ont pu retarder le départ des paquebots qui devaient emporter des renforts pour notre corps expéditionnaire de  Chine ! (  C'était pour participer à une expédition internationale contre les "Boxers", si pompeusement magnifiée dans le film : "Les 55 jours de Pékin". Les coalisés (Grande-Bretagne, Russie, Japon, Etats-Unis, Allemagne, France, Italie et Autriche) délivrent les légations de Pékin assiégées et mettent à sac la capitale. Des expéditions punitives sont organisées par les Allemands en Chine septentrionale. 90 ans plus tard, ces mêmes dockers de Marseille refuseront de charger des armes à destination de l'Arabie Saoudite pendant la guerre du Golfe. Les médias rappelleront à cet effet qu'il y avait eu un précédent pendant la guerre française d'Indochine : Un autre corps expéditionnaire en orient. Ils n'ont rien signalé de ce genre pendant la guerre d'Algérie. Y aurait-il une allergie typique aux expéditions trop ouvertement ``coloniales ?'') ... voilà notre grand port de commerce de la Méditerranée, celui par lequel nous sommes en relations avec la plupart de nos colonies,.... entre des mains étrangères ! ... Supposez qu'un tel phénomène se généralise, supposez qu'à Calais, il y ait 20 000 ouvriers anglais qui décident de la grève, supposez qu'à Nancy ou à Belfort 20 000 ouvriers allemands qui agissent de même. Savons-nous quels hommes peuvent se cacher sous le bourgeron de l'ouvrier, et ne voyez-vous pas que c'est la sécurité même du territoire qui est en péril? ..... Qu'est-ce que le collectivisme ? C'est une doctrine étrangère, allemande, dont le fondateur est Karl Marx . Ses tendances et ses procédés sont étrangers comme la doctrine elle-même, car le collectivisme exige de ses membres une discipline que je qualifierai de prussienne. Il n'y a peut-être pas d'ordre religieux où on exige de ses adhérents une obéissance aussi absolue. ... Ai-je eu tort de qualifier comme je l'ai fait cette rigoureuse discipline ? Ai-je exagéré en disant qu'elle a un aspect étranger, un aspect allemand, comme la doctrine elle-même, et, comme cette doctrine, elle est en opposition avec les doctrines socialistes qui sont nées sur le sol français et qu'aux environs de 1848 on appelait communistes. Le communisme d'origine française est souvent tout le contraire de ce collectivisme allemand; la doctrine de Proudhon , par exemple, de Proudhon qui était français de France, de Proudhon dont les écrits apparaissent, à l'heure qu'il est, comme une réfutation anticipée, peut-être la meilleure réfutation et le meilleur antidote du collectivisme d'origine allemande. Car Proudhon avait surtout en aversion ce qu'adore le collectivisme : l'omnipotence de l'Etat....( Cet hommage à Proudhon au communisme, de la part d'un homme bien à droite est pour le moins étrange....et bien éloigné du fait associatif .) .... Voilà donc, malgré la loi, les étrangers dans nos syndicats, dans nos grèves, peut-être même dans notre corps électoral, car on dit que lors de l'élection qui a eu lieu, en mai 1898, dans la 3ème circonscription de Marseille, une révision exacte des listes électorales avait amené la radiation de nombreux étrangers, notamment italiens.... ... Ne l'oublions pas, messieurs, les étrangers en France sont très nombreux: ils tendent à le devenir de plus en plus et, en général, ils ont tendance à décrier tout ce qui se passe en France. ... Mais une fois installée en France, ils ne veulent plus sortir.  Si l'on consulte les statistiques, on voit que de 1851 à 1896, c'est à dire en quarante-cinq ans, le nombre des Anglais résidant en France s'est élevé d'environ 20 000 à plus de 36 000; celui des Allemands et des Autrichiens - il est fâcheux que la statistique n'ait pas distingué entre eux - de 55 000 à 91 000; celui des belges de 128 000 à 395 000; celui des Italiens de 63 000 à 292 000; le chiffre total s'est élevé de 362 000 à plus d'un million, exactement 1 051 907. ( Soit 2,5% de la population française. En 1990 cette proportion était de 6,25%... avec d'autres nationalités...) Ces étrangers, chez nous, s'occupent de tout : ils font de la politique, de l'agiotage, de l'accaparement...Ils font du journalisme, ...Ils y font de la philosophie; ils y font de la propagande religieuse ... ...Le plus grand nombre de ceux-ci,..., est paisible, inoffensif; beaucoup cherchent à se rendre utiles....; mais quelques-uns sont vraiment encombrants, envahissants, et des noms étrangers ont marqué parfois d'une façon tragique nos annales les plus récentes. .... Jamais peuple n'a exercé une hospitalité aussi large à tous les points de vue, même à l'égard des droits politiques. Est-ce qu'il ne suffirait pas, le plus souvent, d'admettre les étrangers à l'exercice de tous nos droits civils, sans leur accorder encore, sans leur imposer parfois les droits politiques ? ( En 1999, en parle encore de ce problème, et on en reparlera encore pendant quelques années) ... Elle nous a coûté cher, la conquête du suffrage universel; eh bien ! tandis que nous négligeons parfois d'user de notre droit d'électeur, nous l'accordons d'amblé, avec une facilité qui n'est pas faite pour en relever le prix, à des étrangers qui ne nous demandaient rien de semblable, qui n'ont pas encore perdu l'accent du pays natal, qui resteront longtemps, peut-être toujours, ce qu'ils étaient en arrivant chez nous, car seule une élite parmi eux comprendra notre générosité et s'efforcera de s'assimiler complètement à nous. ( On entend encore ces propos de nos jours ....)

M. le rapporteur : Messieurs, à propos de l'article 2, qui ne paraissait pas devoir soulever de bien grandes difficultés, le Sénat vient d'entendre deux conférences savamment développées; l'une sur le collectivisme, l'autre sur la facilité trop grande avec laquelle la France accorderait l'hospitalité aux étrangers. Ces conférences ne sont pas contradictoires,..., car je ne vois pas l'utilité d'encombrer la discussion du projet, de semblable développement. ... L'article 2 dit, sans faire de distinctions entre les associations composées de français seulement et les associations comprenant à la foi des français et des étrangers, que ces associations pourront se former sans déclaration ni autorisation préalable. ...

M. Franck Chauveau : Est-ce que l'article 5 qui règle la capacité civile ne s'applique pas aux associations qui comprennent des étrangers ?

M. le rapporteur : Oui; mais pour bénéficier de l'article 5, il faut faire une déclaration, et dans ce cas, c'est à dire quand l'association demande la petite personnalité, l'honorable M. Rambaud a satisfaction. M. Béranger. Mais la déclaration que demande M. Rambaud devra porter le nom de tous les étrangers faisant partie de l'association, tandis que la déclaration de l'article 5 ne comprendra que le nom des étrangers qui seront membres du conseil d'administration, qui seront chargés de la direction de l'association.

....

M. le rapporteur : ... la Chambre et votre commission n'ont pas jugé nécessaire,...., de prendre des mesures préventives de défiance à l'égard d'étrangers qui viennent simplement se mêler à des associations qui n'ont pas même de capacité juridique. Elles ont estimé en même temps qu'aussitôt que ces étrangers seraient en nombre suffisant pour donner quelque inquiétude, il appartenait au gouvernement, sous la responsabilité de la Chambre, d'en prononcer la dissolution, en vertu de son droit de haute police.

M. de Lamarzelle : Dans ces deux cas seulement!

M. le rapporteur : Ils sont suffisants et le Gouvernement n'a pas besoin d'autres armes. ... C'est une des formes de la pensée moderne, et on ne réfléchit peut-être pas assez que, quand on dit :'' Plus d'étrangers en France '', on doit dire aussi : '' Plus de Français à l'étranger. '' ... Il est évident que le fait d'introduire des étrangers dans une association ne met pas cette association sous le coup d'une espèce de suspicion. Il faudrait quelque chose de plus pour justifier des mesures spéciales. Il faudrait, ainsi qu'il est dit dans l'article 12, que l'association donne à l'Etat des raisons de se défendre. ... ``Comment ! parce qu'il entre quelques étrangers dans une association de tir, de gymnastique, dans une association littéraire et philosophique, vous allez la mettre hors de la loi des associations ! .... Il [M. Rambaud] vous dit : Voici ce que font certaines associations étrangères; elles s'occupent du mouvement social, de socialisme, de collectivisme; ce sont là des choses détestables ! Et alors, à quoi conclut-il ? C'est un esprit trop libéral pour faire une loi contre les idées. ... L'honorable M. Rambaud a parlé des grèves.... Eh bien ! Vous ferez toutes les lois possibles sur les associations, vous n'empêcherez jamais les grèves de se produire. Du moment où vous admettrez que les ouvriers étrangers peuvent venir travailler en France, vous serez bien obligés de leur reconnaître le droit de grève, comme vous le reconnaissez au profit des ouvriers français. ..... [.L'article 2 sera adopté..] ....

M. le président : Il y a sur l'article 3 un amendement de M. Ponthier de Chamaillard [ qui renonce à prendre la parole] Il y en a un second de M. Alfred Rambaud ainsi conçu: '' Après les mots intégrité du territoire national,'' ajouter ceux-ci :'' y compris l'Algérie et les colonies.'' .....

M. Alfred Rambaud : ...C'est que , depuis longtemps, ces missionnaires anglais sont établis dans plusieurs localités des provinces d'Alger, d'Oran et de Constantine. ... N'oubliez pas, en ce qui concerne la Grande Kabylie, qu'il a fallu en faire deux conquêtes, celle de 1857 par le maréchal Randon, celle de 1881 après l'insurrection. ... ...Un Mzabite, après des conversations avec des missionnaires et des diaconesses, en a emporté cette impression : '' Les Anglais sont bons et riches, les trois quart du monde leur appartient; la France leur paye un impôt; s'ils étaient les maîtres ici, les Arabes seraient plus heureux, ceux qui voudraient travailler gagneraient 5 et 6 francs par jour dans les grandes usines qui seraient fondées; les indigènes se gouverneraient; on rendrait aux Arabes leurs terres et leurs titres d'autrefois.'' Or, ces missionnaires touchaient là un des points les plus délicats dans la situation actuelle de l' Algérie. Vous savez qu'après la répression de 1871 , on a pris aux indigènes une quantité considérable de leurs meilleures terres. Certaines tribus de la grande Kabylie, réfugiées sur les hauteurs, dans des cantons rocheux et arides, ont tous les jours sous les yeux le spectacle de plaines riches opulentes, fécondes, dont elles furent dépouillées il y a trente ans et qu'elles voient aujourd'hui possédées par d'autres. (..Elles récupéreront leurs terres soixante ans plus tard...) Ailleurs, le missionnaire anglais montre aux indigènes des portraits de la reine d'Angleterre, accompagnée d'officiers musulmans de l'Indoustant, derrière lesquels marchent des généraux anglais. Et naturellement cette estampe est commentée par l'étranger: ``Voyez comme les Anglais aiment les musulmans; ils font marcher les capitaines musulmans tout de suite après la reine d'Angleterre, même avant les généraux anglais''. D'où cette conséquence :''Si l'Algérie devenait anglaise, vous seriez beaucoup plus heureux''.. (Aujourd'hui, on entend dire par les algériens qui ont connu la colonisation, que c'est du manque de considération qu'ils ont le plus souffert. C'était pourtant si simple .......). ..Les Arabes, les Berbères, on ne les convertira ni au protestantisme, ni au catholicisme; le musulman ne se converti jamais . Jamais il ne consent à échanger le Koran contre la Bible ou contre l'Evangile. Dans la grande Kabylie, les jésuites ont subsisté longtemps. Aujourd'hui, les Pères blancs y possèdent de nombreux établissements. Eh bien, je ne connais pas un exemple de conversion. Donc, les missionnaires anglais ne peuvent alléguer qu'ils ont uniquement pour objet la propagande religieuse. Quant à des vues philanthropiques, j'estime que ces étrangers auraient de quoi exercer leur zèle humanitaire dans le vaste empire anglais, ne fût-ce que dans les Indes britanniques ou même en Irlande. .....

M. le rapporteur : ...ces mots '' territoire national'' comprennent à la fois, bien évidemment, toutes les possessions françaises, qu'il s'agisse de l'Algérie ou de la Tunisie. M. Rambaud doit être donc pleinement rassuré.

M. Alfred Rambaud : Dans ces conditions, je retire mon amendement.

M. Victor Leydet : Et votre discours aussi ?

M. Alfred Rambaud : Ah non ! ......

.. [.L'article 3 sera adopté sans modifications. Les 4, 5, sans aucune discussions... ]
 

17 juin 1901

[ Les articles 6 et 7 seront adoptés après rejet de tous les amendements. Les débats ne m'ont pas paru passionnants ..]
 

18 juin 1901

Discussion sur la prise en considération de la loi de M. Béranger et plusieurs de ses collègues, relative à l'institution de conseils consultatifs du travail.- Adoption de la prise en considération.

Article 8 : Seront punis...... ....

M. Charles Riou : . ... Il a dit, je l'ai lu ce matin au ``Journal officiel'', et son mot a été l'objet d'une riposte de l'honorable M. de Pontbriand :'' La liberté, si vous ne l'avez pas, à qui la faute ? '' ce qui signifie que la faute en serait à nous qui voulons la liberté avant tout. ...

M. le rapporteur : Vous avez dit que ce pays-ci n'était pas habitué à la liberté. Je vous ai répondu, à vous qui représentez les anciens régimes :''A qui la faute ?''

M. Clamageran : Quand vous étiez au pouvoir, vous ne l'avez pas donnée, la liberté !

M. Charles Riou : Je vous dirai que je ne représente aucun ancien régime, je représente purement et simplement la liberté... ( Il faut quand même un certain culot pour dire ça..) ... J'ajoute aujourd'hui que l'Angleterre, monarchique et aristocratique dans ses formes, est réellement, de par ses traditions de liberté, plus près de la vraie république qu'un système sectaire et un régime de jacobins.

[ L'article 8 sera adopté après le rejet de tous les amendements. Il n'y aura aucun problèmes pour l'adoption des articles 9, 10, 11, 12. Mais pour l'article 13 .... ] ....

M. le président : .Je dois d'abord soumettre au Sénat une proposition préjudicielle au titre III, déposé par M. Marcère et qui est ainsi conçue: ``Supprimer le titre III et les articles 17 et 18 du projet de loi.'' ...

M. Marcère : ..... Cela signifie que je demande au Sénat de considérer que les congrégations ne doivent pas être placées sous le régime de la loi qui vous est proposée, qu'elles doivent être considérées comme faisant partie intégrante de l'Eglise, et, par conséquent, être placées sous le régime du Concordat; et, pour le cas où cette opinion ne serait pas partagée par le Sénat, je demande que les congrégations soient placées sous le régime des associations ordinaires, et qu'on ne fasse point pour elles une loi d'exception. ...

(Un sénateur à droite) C'est le mot connu : les discours peuvent changer les opinions, mais non les votes ! ...

M. le comte de Goulaine : Il faut bien voter !

M. le président : Non, messieurs, il n'y a précisément pas à voter. M. de Marcère demande la suppression de tous les articles du titre III; or, les suppressions ne se mettent pas aux voix. La sanction des observations qu'il a présentées ne peut résider que dans l'adoption ou le rejet des articles. Nous passons, en conséquence, à l'article 13. ..... [ ...après sa lecture, son étude est reportée à la séance suivante... ]
 

19 juin 1901

Dépôt par M. Ratier de trois projets de loi adoptés par la chambre des députés: Le 1er, concernant l'exploitation provisoire des services postaux entre la France, les Antilles et l'Amérique centrale. Le 2e.... Le 3e.. ....... (Et on reparlera des congrégations, de leurs bienfaits , de leur légitimité...de leurs méfaits , de leur illégitimité.)

...
 

20 juin 1901
( Les arguments pour ou contre les congrégations ont un arrière goût de déjà entendu... ..)

M. Francis Charmes : Toutefois, vous n'ignorez pas les mouvements d'opinion qui se produisent au dehors; et, quant à moi, je lutte contre eux de toutes mes forces. Mais enfin, messieurs, dans ce système de gouvernement qu'on appelle le gouvernement parlementaire, les Chambres délibèrent, discutent, décident : le Gouvernement agit. ......

[ L'article 13 sera adopté après rejet de tous les amendements et des dispositions additionnelles.] ( Et comme on parlera du bienfait des missions envoyées par les congrégations ...)

M. Trarieux : J'ai, sans doute, entendu avec émotion le développement des sentiments patriotiques de notre honorable collègue, mais en l'écoutant, une pensée me venait à l'esprit et je lui pose cette question : ``Que dirait-il si l'on envoyait en France des missionnaires chinois pour convertir à la religion de Confucius de jeunes Français.'' ...Au-dessus de vos combinaisons politiques, il y a une loi morale: ``Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas que l'on te fasse. N'envoie pas de missionnaires en Chine, si tu ne veux pas que la Chine t'en envoie.''

M. Mézières. Mon honorable collègue me permettra de lui répondre que, partisan comme lui de toutes les libertés, j'admets celle de la propagande, une des plus justes et des plus louables dont le monde ait pu profiter. Autant je répudie la violence, autant il m'est doux de penser que nos idées, ou même des idées contraires aux nôtres, ne peuvent être défendues avec courage, avec noblesse, pacifiquement, dans quelque monde et dans quelque région que ce soit.
 

21 juin 1901

Dépôt, par M. Caillaux , ministre des finances, de quatre projets de loi, adoptés par la chambre des députés; Le 1er... Le 2e... Le 3e... Le 4e, au nom de M. le ministre de la guerre, tendant à modifier l'article 1er de la loi du 14 avril 1832, en ce qui concerne les nominations, au grade de caporal ou de brigadier, des militaires ayant justifié, avant leur incorporation, de certaines aptitudes. - Renvoi à la commission de l'armée. .....

M. le président ..nous en sommes arrivés à l'article 14 ..Nul n'est admis à diriger....un établissement d'enseignement...s'il appartient à une congrégation religieuse non autorisée.... Il y a sur cet article un certain nombre d'amendement.... Le 1er, de MM. de Lamarzelle et le comte de Blois: ``Supprimer cet article'' Le 2e de MM. Alfred Rambaud, Gauthier, Gourju.... ``Remplacer cet article par la disposition suivante: ``L'organisation du contrôle de l'Etat sur l'enseignement libre, au moyen de l'inspection et des sanctions qu'elle comporte, sera l'objet d'une loi spéciale.'' Le 3e, de M. le comte de Blois: ``Dans le premier paragraphe, supprimer les mots: ``ni à y donner l'enseignement'' Le 4e, de M. Ollivier: ``Remplacer les mots: ``Les contrevenants seront punis des peines prévues par l'article 8, paragraphe 2, ``Par les suivants : ``Les contrevenants seront passibles des peines édictées à l'article 40 de la loi du 30 octobre 1886'' Le 5e, de M. le comte de Goulaine: ``après les mots: ''...par le jugement de condamnation, ``ajouter ceux-ci : ``Le jugement ne sera exécutoire qu'après l'année scolaire terminée'' Et un paragraphe additionnel de M. Charles Riou ainsi conçu: '' Toutes les dépenses de quelque nature qu'elle soit qu'entraînera l'application de cet article seront exclusivement à la charge de l'Etat, notamment celles relatives à la création d'écoles ou de classes nouvelles et à l'augmentation du personnel existant''. ... ....

M. le comte de Blois : ...Voici un religieux qui voit sa congrégation dissoute, sa congrégation a demandé l'autorisation. Pour une cause ou une autre, le Parlement la lui a refusée. Cet homme est-il, oui ou non, en rébellion contre la loi ? Ses supérieurs ont fait diligence pour obtenir la reconnaissance. Ils n'ont pas obtenu cette reconnaissance qu'ils sollicitaient. Cet homme est-il le révolté dont a parlé M. le président du conseil ? Non, assurément.

M. le rapporteur: S'il entre dans la vie civile, il est certain qu'il sera comme tous les citoyens et qu'il pourra enseigner.

(Un sénateur à gauche) Mais peut-il y rentrer, dans la vie civile ?

M. Charles Riou : S'il change de robe, comme l'a dit M. Francis Charmes.

M. le comte de Blois . On me dit : "S'il rentre dans la vie civile.'' Précisons un peu: Pourra-t-il conserver son habit ? Je ne pense pas que vous vouliez lui imposer l'obligation de porter tel ou tel habit. Ce serait la question de savoir s'il doit porter un frac ou une redingote, au lieu de porter une cagoule de moine. ... Si vous lui laissez la faculté d'enseigner dans la vie civile, si vous le laissez libre de venir dans un collège comme professeur, je retiens la déclaration et je m'en servirai dans un autre amendement que j'ai présenté à l'article 14; mais si vous maintenez ce que M. Trouillot a dit à la Chambre des députés et que je croyais être votre thèse, je maintiens que vous violez la Déclaration des droits de l'homme, que vous manquez à la charte de 1830 et à la constitution de 1848....que vous manquez aux promesses qui ont été faites bien des fois ici et ailleurs, ainsi qu'à la parole de Jules Simon: ``La République n'exclut que les ignorants et les indignes.'' ...

M. Combes , président de la commission :Messieurs, je monte à la tribune pour exposer au Sénat, au nom de la commission, les raisons d'ordre à la fois politique et juridique, mais plus politique que juridique, qui l'on déterminé à consacrer, par un texte formel, l'incapacité légale des membres des congrégations non autorisées en matière d'enseignement. Et, je commence par déclarer tout d'abord que, s'il fallait voir réellement, dans l'article 14 du projet de loi, ce que M. le comte de Blois a cru y découvrir, une sorte d'attentat contre la liberté d'enseignement, je laisserais à d'autres la charge ingrate et pénible de le défendre. Car, je serais mal venu de l'assumer. Naguère, dans un projet de loi, j'ai protesté de mon attachement à la liberté de l'enseignement. ... Je ne viens pas démentir mes paroles. La liberté de l'enseignement demeure ce qu'elle était : un honneur, une force du Gouvernement républicain. C'est notre devoir à nous, républicains, je le dis bien haut, de la maintenir, de la respecter dans son expansion légitime. Mais il ne dépend pas de nous que d'autres en abusent, et qu'ils nous contraignent, par ces abus mêmes, de les ramener à la vraie compréhension de cette liberté. ... On retrouve, en effet, souvent cette antinomie. A la différence d'autres libertés qui sont des libertés de droit, inhérentes soit à la nature de l'homme, soit à la forme du régime politique, la liberté d'enseigner n'est et ne peut être qu'une liberté de fait. Il suffira, pour éclairer cette distinction, de citer quelques-unes unes des libertés de droit : la liberté individuelle, la liberté de penser, la liberté de parole, la liberté de conscience, qu'il est impossible de mutiler sans mutiler l'homme lui-même et sans lui enlever un de ses attributs naturels. Toute restriction, quelle qu'elle soit, mise à l'exercice de ces libertés, détruit, du moins en partie, la liberté humaine et est inconciliable avec le régime de la liberté. Il n'en est pas de même de la liberté de l'enseignement. Ni l'individu, en naissant, n'apporte ce droit avec lui, ni le citoyen d'un pays libre ne peut crier à l'oppression, si la constitution politique du pays subordonne l'usage de cette liberté à certaines garanties ou s'il édicte, dans l'intérêt de l'ordre public, certaines incompatibilités. ... Au regard des droits naturels de l'individu, écoutez Victor Cousin . La page que je vais lire est saisissante de clarté : ``J'ai beau parcourir toutes les déclarations des droits de l'homme et du citoyen, qui certes n'ont pas manqué depuis plus d'un demi-siècle, je ne rencontre dans aucune celui d'enseigner. ``C'est que ce prétendu droit est une chimère. Qu'est-ce, en effet, qu'un droit naturel ? Celui dont ne peut être dépouillé l'homme naturel et cet homme développé et achevé qu'on appelle le citoyen, sans cesser d'être un citoyen ou un homme.... Est-ce être opprimé que de n'avoir pas le droit de façonner à son gré ses semblables et de ne pouvoir imprimer, en de jeunes âmes, ses propres mours et ses propres principes, sans avoir fait connaître quelles sont ces mours et quels sont ces principes ? ``Il appartient donc à la société d'intervenir dans l'éducation et de la faire un peu à son image, pour que l'éducation lui rende ce que la société lui donne. Autrement, c'est la société qui sème de ses propres mains l'inquiétude, le mécontentement, les révolutions. ``A ce point de vue, qui est le vrai, le droit d'enseigner n'est ni un droit naturel de l'individu, ni une industrie privée; c'est un pouvoir public. ... Donc, messieurs, si le droit d'enseigner n'est pas un droit naturel et si la liberté d'enseigner n'est pas une faculté essentielle du citoyen, que peut être cette liberté, sinon une liberté de fait, et que peut-être ce doit, sinon une concession ou, suivant l'expression de Cousin, une délégation de l'autorité publique ? ... ...M. Jules Ferry, citant l'opinion de M. Maynard, conseiller à la cour de cassation, qui avait eu grande autorité vers 1850, observait que les principes de notre droit public considèrent comme illicites les congrégations non autorisées, et que, pour les admettre légalement à enseigner, la loi de 1850 aurait dû consentir, en leur faveur, une stipulation expresse. C'est précisément ma thèse: la loi de 1850 est restée muette sur ce point. M. Jules Ferry ajoutait: '' Quand nous seront à la discussion des articles, je serai peut-être amené à vous montrer d'où est sortie la rédaction ( de 1850 ), qui a abouti, en définitive à faire le silence sur les congrégations non autorisées....Elle est sortie des colloques qui avaient lieu entre M Thiers et M. Dupanloup .....M. Dupanloup, à un jour donné, et lorsque la résistance de M. Thiers paraissait faiblir, en vint à dire :'' Quant aux congrégations non autorisées, nous ne vous demandons que le silence .'' M. Thiers lui répondit une parole dont les congrégations doivent garder bonne mémoire: ``Va pour le silence, dit-il, seulement j'en appelle à l'avenir.'' Jules Ferry terminait par ces mots: ``L'avenir, c'est aujourd'hui.'' Messieurs, malheureusement, M. Jules Ferry se trompait, l'avenir, ce n'était pas 1879; l'avenir, ce devait être vingt ans après, en 1901. L'avenir, ce sera aujourd'hui. ... Les conquêtes libérales qui nous sont les plus chères : loi scolaire, loi militaire, loi sur le divorce et d'autres, inspirent à toutes ces congrégations le même sentiment d'horreur et leur arrachent les mêmes cris de colère. C'est toute notre organisation politique, toute notre vie sociale, qui se trouve enveloppées par elles dans la même réprobation. Nous avons donc le devoir rigoureux de soustraire la jeunesse à leur enseignement et nous en puisons le droit dans les mêmes raisons que les hommes de la monarchie invoquaient avec tant de justesse pour se défendre de leur abandonner l'éducation de leurs enfants. ... Les statistiques les plus sérieuses constatent qu'à l'heure actuelle les congrégations non autorisées élèvent le tiers au moins de la jeunesse de nos collèges, celle-là même qui semble destinée par sa naissance, sa position, sa fortune, ses relations, à exercer une influence prépondérante dans les milieux ouverts à son action. Elles façonnent à leurs idées rétrogrades les fils de la bourgeoisie. Comme si le danger n'était pas assez grand pour la République d'avoir en majorité contre soi les anciennes classes dirigeantes, d'autres congrégations accomplissent la même oeuvre dans une sphère inférieur et saturent des mêmes idées le cerveau des enfants du peuple. ... Ne vous laissez pas abuser, messieurs, par le grand mot de liberté ! Dites à l'opposition qui s'abrite derrière ce mot pour demander un privilège en faveur des congrégations non autorisées, que le droit d'enseigner ne saurait se concevoir sans le droit d'exister et que ce droit fait absolument défaut aux congrégations non autorisées. ...

M. Le Provost de Launay : J'ai été élevé dans un Lycée, et vous dans un séminaire ! ...

M. le président de la commission : ( M. Combe )... Je suis fils d'ouvrier; je n'ai pas eu comme vous, la bonne fortune de venir au monde avec un nid tout préparé et une situation toute faite. ... J'ai dû chercher l'instruction là où j'ai pu la trouver. Mais je l'ai payée, monsieur de Lamarzelle, et je ne dois rien à personne. ... ...C'est malheureusement une vérité, une vérité connue et déplorée de chacun de vous, que, dans toutes les carrières administratives, et particulièrement dans l'armée, la marine, dans la magistrature, dans le génie civil, l'avancement à mérite égal a toujours été, jusqu'à ces derniers temps, beaucoup plus facile et rapide pour les sujets sortis de l'enseignement congréganiste que pour les sujets sortis de nos écoles. ...

M. l'amiral de Cuverville : Je proteste comme ancien chef d'état-major.

M. Destieux-Junca : Silence aux archevêques de la marine ! ...

M. le président de la commission : La congrégation, par les mille moyens dont elle dispose, a su, de longue date, s'emparer des emplois les plus élevés dans toutes les administrations. L'esprit de camaraderie a fait le reste.

M. l'amiral de Cuverville : Cela n'est pas exact, pour la marine du moins. Encore une fois, je proteste !

M. Ournac : C'est dans la marine qu'on a inventé le terme de ``fils d'archevêques !'' ... ...

M. le ministre de l'instruction publique : Messieurs, la liberté de conscience et la liberté religieuse ne sont pas compromises par le projet de loi sur les associations. On a beaucoup abusé de cet argument, mais, même aux époques où les polémiques étaient les plus ardentes on n'y a jamais insisté et ni Lamenais , ni Lacordaire , ni Montalembert n'ont soutenu que l'interdiction aux congrégations non autorisées du droit d'enseigner ait entravé le recrutement du clergé et le libre exercice du culte. Ces adversaires implacables de la société moderne n'ont jamais dissimulé le but qu'ils poursuivaient. Ils ont parlé haut et clair, ils ont revendiqué pour l'Eglise la formation exclusive des âmes et la direction des esprits. Le sort de la religion n'est pas lié au sort des congrégations non autorisées...


 

28 juin 1901 à la Chambre des Députés

M. le président : Nous revenons au projet de loi relatif au contrat d'association. Je vais donner lecture des articles; mais conformément à l'usage, je n'appellerai la Chambre à statuer que sur ceux qui ont été modifiés par le Sénat ou ceux qui font l'objet d'amendements: Article 1er (sans changement) Article 2 modifié...adopté Articles 3 et 4 (sans changement) Article 5 modifié...adopté Articles 6, 7, 8, 9, 10 et 11 (sans changement) L'article 12 n'a pas été modifié, mais la suppression en est demandée par un amendement de MM. Edouard Vaillant, Allard, Bénézech, Chauvière, Coutant, Dejeante, Dufour, Arthur Groussier, Létang, Sauvanet, Marcel Sembat, Walter et Zévaès. ...

M. Edouard Vaillant . Messieurs, quand cette loi est venue en discussion pour la première foi devant vous, mes amis et moi l'avons votée pour deux motifs. D'abord, nous ne pouvions pas refuser au Gouvernement les moyens qui nous étaient déclarés nécessaires pour la défense de la République contre les congrégations; ensuite, parce que, depuis de nombreuses années, tous les gouvernements opportunistes et radicaux ont déclaré que s'ils ne dénonçaient pas le Concordat, s'ils retardaient la séparation des Eglises et de l'Etat, s'ils n'acceptaient pas la suppression du budget des cultes, c'était qu'une loi sur les associations était tout d'abord indispensable pour leur permettre de réaliser ces réformes... ( Cette séparation qui aura lieu en 1905, sous le ministère de M. Combe dont on a pu estimer le talent à la tribune du Sénat, vient donc de très loin ...) ... Quand l'article 12 est venu en discussion devant vous, j'ai demandé à M. le président du Conseil et à la Chambre si cet article était par eux tourné contre nous. Nous n'avons obtenu aucune réponse précise, mais l'aveu a été fait au Sénat. Quant au Sénat, on a demandé au Gouvernement de s'armer d'avantage contre les socialistes, M. le président du conseil a répondu qu'avec l'article 12 il avait une arme suffisante pour nous frapper quand il y aurait lieu.

M. Gailhard-Bancel . Vous en doutiez ?

M. E. Vaillant. Nous n'en avons pas douté un instant, et la meilleure preuve c'est que je l'ai affirmé lors du premier débat ici même : j'ai déclaré que si l'ancienne loi contre l'internationale était abolie par un article de la loi, on la rétablissait dans l'article 12. ... Ainsi, on pourra à tout moment attaquer les organisations internationalistes, par conséquent ouvrières et socialistes..... [.. L'article 12 sera adopté]

M. le président : .. Article 13 (sans changement) Article 14...M. Massabuau demande la parole sur cet article

M. Massabuau : Je dépose un amendement. ... La Chambre n'ignore pas que, parmi les congrégations de femmes, il est un grand nombre de leurs membres encore affectés à l'enseignement public. Ces écoles seront laïcisées dans un avenir plus ou moins lointain, au fur et à mesure des ressources budgétaires. Si l'article 14 doit être appliqué dans toute sa teneur, certaines de ces congrégations,...,verraient leurs membres,..., dans l'obligation de cesser immédiatement l'enseignement; c'est à dire qu'il nous faudrait pourvoir immédiatement aux ressources pour la laïcisation de ces écoles de filles. ...... (suite à la réponse de M. Waldeck-Rousseau) Alors, c'est la laïcisation des écoles de filles ! ...

M. le président .... La chambre des députés n'a pas adopté. En conséquence, l'article 14 est maintenu. Articles 15, 16, 17 (sans changements) [L'article 18, sur les biens des congrégations dissoutes déclenchera de nouvelles polémiques, il sera adopté ].. l'article 18, MM. Viviani, Ferrero, Renon, Calvinhac, Gras, Fournier, Ferroul, Rouanet, Labussière, Palix, Narbonne, Carnaud, Pastre, Chassaing, Légitimus, Colliard, Poulain, Krausse, Jourde, Devèze, Clovis Hugues, Fournière, Lassalle, Allemane, Basly, Cadenat et Pascal Grousset proposent l'addition suivante : ``Les membres des congrégations dissoutes ne pourront arguer d'une prétendue société de fait ayant existé entre eux pour réclamer tout ou partie dudit actif.''.... ..repoussé par 428 vois contre 143.P Articles 19, 20, 21 (sans changements) Trois orateurs sont inscrits sur l'ensemble du projet de loi. . ...

M. Armand Porteu :... On l'a dit, mais il faut le répéter : ce ne sont pas seulement les associations qu'on vise, c'est le catholicisme, c'est la religion du peuple français...

M. de Baudry d'Asson : Permettez-moi de vous donner connaissance, à la fin de cette discussion, d'une très courte et très modérée déclaration. Messieurs, vous allez en finir avec les congrégations religieuses par une exécution sommaire. ...C'est par la guillotine sèche...que vous allez exécuter les victimes que vous ont livrées les loges maçonniques. Vous avez consommé votre oeuvre de proscription par un déni de justice; vous finissez par l'infamie et l'horreur du coupe gorge.

M. le président : Vous aviez promis d'être modéré, M. de Baudry d'Asson.

M. de Baudry d'Asson : Votre parti pris est immuable. C'est un verdict impitoyable, c'est une sentence de mort que le Gouvernement vous impose sans sursis, sans appel, sans aucun recours au peuple, au prétendu souverain qui vous demandait de bonnes lois de justice sociale et à qui dans votre radicale impuissance vous donner à manger du prêtre, du moine et de la bonne sour. ...

M. de Grandmaison : ..... Je ne la voterai pas comme ami des ouvriers; et je vais vous dire pourquoi. J'ai l'honneur de représenter une ville où 1500 ouvriers et ouvrières sont occupés à la fabrication d'objets religieux. ..........

M. le président : Voici le résultat du dépouillement du scrutin :Nombre de votants : 562 Majorité absolue : 282 Pour l'adoption : 313 Contre : 249 La Chambre des députés a adopté (Vifs applaudissement à gauche et à l'extrême gauche.) ( A gauche et à l'extrême gauche. ``Vive la République !'' ( A droite et au centre .''Vive la liberté )
 
 


 
 

Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur Ecole
ISBN 2 - 9505795 -2 - 3
Dépôt légal 2ème trimestre 1999